Avec Trump les US tireront leur épingle du jeu, dans un monde plus incertain
Difficile de penser à autre chose, le jour où de l’autre côté de l’Atlantique, se décide qui sera, pour les prochaines années, la femme ou l’homme le plus puissant du monde. L’enjeu aujourd’hui est donc planétaire, alors que – paradoxalement – le verdict final semble dépendre d’une frange d’indécis de Pennsylvanie que les meetings de la dernière heure auront poussé à voter dans tel ou tel sens.
Ainsi, à l’extrême: les 13 millions d’habitants de Pennsylvanie décident de l’avenir de 8 milliards de femmes et d’hommes. Vous avez dit «démocratie» ? Comme chacun le sait, le paradoxe – ou plutôt l’asymétrie – tient à la fois au système électoral américain avec ses grands électeurs et, surtout, au poids des Etats-Unis dans les affaires du monde.
Que le reste du monde le veuille ou non, il aura donc à s’accommoder du résultat, aussi bien pour ce qui est des options géo-stratégiques qu’économiques de la nouvelle administration américaine. Le problème est que ces options restent floues, tant les candidats ont mené des campagnes centrées sur les personnalités et les caractères en lice plutôt que sur des propositions concrètes, et encore moins sur des programmes articulés. Les yeux rivés sur les sondages, les deux candidats ont évité les sujets «secondaires» à la fois trop clivants et ceux qui ne le sont pas assez: les premiers pour éviter d’ostraciser des indécis, les seconds pour éviter d’être consensuels. Il en a été autrement des sujets prioritaires autour desquels chacun a construit son électorat. En résumé: le droit à l’avortement pour Harris, l’arrêt de l’immigration pour Trump. Thèmes à faible portée internationale, mais à haute portée morale: l’accueil de la vie d’un côté, l’accueil du migrant de l’autre.
«Trump va certainement continuer le travail de sape du multilatéralisme»
Pour ce qui est de la manière dont les Etats-Unis vont assumer leur rôle de première puissance économico-militaire, trois points méritent attention. Le premier concerne l’importance des droits de l’homme comme fondement de l’ordre mondial. Donald Trump n’a jamais caché ni sa volonté de se libérer des engagements internationaux qui lient les Etats-Unis à long terme, ni ses sympathies pour les hommes de pouvoir, autocrates confirmés ou en herbe, qui à un stade ou à un autre ont malmené la démocratie et les droits de l’homme qui en sont l’assise.
Il en va, très probablement, autrement de Kamala Harris qui paraît plus soucieuse de la légitimité et du bon fonctionnement des institutions. Ainsi, face à un monde où le «cercle des autocraties» (cf. le livre récent de A. Appelbaum – Autocracy Inc.) met ouvertement en question l’existence même de principes universels sur lesquels repose tout le système onusien, Trump va certainement continuer le travail de sape du multilatéralisme commencé lors de son premier mandat. Il lui préférera des contacts et des «deals» conclus au nom de America first, donc ponctuels, directs, basés sur le seul rapport de force et avec une bonne dose de cynisme et d’opacité. Au contraire Harris, dans la continuité de Biden, sera plus sensible à la question des principes et à des engagements de moyen et long terme dans un contexte institutionnel assaini.
Un deuxième point est celui de la politique commerciale: les deux candidats voient dans la Chine un danger à la fois économique et technologique qu’il faut contenir à coup de contrôles du contenu technologique des échanges et droits de douane. Dans le domaine du protectionnisme, Trump semble vouloir aller plus loin que Harris, puisqu’il se propose de taxer l’ensemble des importations américaines – pas seulement celles en provenance de Chine – et, parallèlement, d’alléger la fiscalité des entreprises qui rapatrient de la production sur le sol américain. Une brique de plus qui serait ainsi enlevée à l’édifice du libre-échange – par ailleurs en panne de croissance depuis le début du siècle.
«Pour l’éventuelle administration Harris, l’Europe restera un allié de premier plan»
Troisième point enfin, celui des rapports transatlantiques. A juste titre, en son temps, Trump avait mis les membres de l’OTAN devant leurs responsabilités pour ce qui est des dépenses d’armement. L’invasion de l’Ukraine a mis ensuite en lumière les conséquences délétères de la réduction des dépenses d’armement en Europe. Pour Trump, l’OTAN n’a de raison d’être que si les intérêts américains – militaires aussi bien qu’économiques – sont dûment respectés.
Or, selon Trump dans la situation actuelle tel n’est pas le cas parce que, primo, le poids économique est inéquitablement réparti, secundo parce que du point de vue géostratégique l’arrêt des hostilités est plus avantageux pour les Américains que leur poursuite au nom du principe de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Même si Harris n’a pas – à ma connaissance – précisé son attitude par rapport à l’OTAN, elle a réaffirmé – à l’instar de Biden – son soutien indéfectible à l’Ukraine. Or, les soutiens des alliés sont coordonnés par l’OTAN. Ceci laisse à penser que pour l’éventuelle administration Harris, l’Europe restera un allié de premier plan, même si des ajustements sont à prévoir.
Les électeurs de Pennsylvanie diront s’ils veulent vraiment un monde où la prééminence systématique et cynique des intérêts économiques américains de court terme sera recherchée en toutes circonstances quitte à rendre ce monde plus incertain pour ses autres habitants et, à long terme, également pour les Américains eux-mêmes.
Paul Dembinski
5 novembre 2024
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