Le pape François a-t-il fait avancer sa mission de paix en rencontrant le président ukrainien Volodymyr Zelensky le 13 mai 2023? | © KEYSTONE/NEWSCOM/Ukrainian President Press Office
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Ukraine-Russie: que sait-on de la «mission secrète» du Vatican?

Le pape François a révélé le 30 avril 2023 l’existence d’une «mission» du Vatican pour mettre fin à la guerre entre la l’Ukraine et la Russie. Une démarche évidemment gardée secrète, mais dont quelques indices ont pu se révéler ces dernières semaines.

Le 13 mai, les mains du pape François et celle de Volodymyr Zelensky se sont à nouveau serrées pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine. La rencontre était attendue de longue date, mais a tardé à se concrétiser. Elle a été annoncée très peu de temps avant sa réalisation, qui a accompagné une tournée du président ukrainien en Europe de l’Ouest.

L’événement a soulevé une question cruciale de la part des observateurs: l’entrevue était-elle reliée à la récente révélation du pape sur une «mission» du Vatican pour tenter de mettre fin à la guerre en Ukraine?

«Les chancelleries russe et ukrainienne ont certainement un seul mot d’ordre: ne pas paraître intéressées par une quelconque médiation»

François avait assuré lors de son vol de retour de Hongrie qu’une telle démarche était «en cours». Une activité diplomatique confirmée le 10 mai par le cardinal Pietro Parolin. La «mission» a connu de «nouveaux déveveloppements, mais bien sûr confidentiels», a déclaré le secrétaire d’Etat du Vatican devant des journalistes à l’Université du Latran. Sans donner plus de détails, le prélat italien a ajouté: «Je crois que la mission de paix ira de l’avant». Une indication que cette dernière ne serait donc pas un souhait vague et général, un «voeu pieux» esquissé par le Saint-Père, mais une action concrète et en phase de déploiement.

Démentis démentis

On aurait pourtant pu en douter, alors que Kiev et Moscou ont nié, presque immédiatement après l’annonce du pape, avoir connaissance d’une telle démarche. Des démentis qui ont cependant à leur tour été démentis par le cardinal Parolin dans une entrevue avec des journalistes, le 3 mai. «Je sais que les deux parties ont été informées», a ainsi assuré le secrétaire d’Etat.

Et le cardinal de donner sa propre interprétation de la situation: «Vous savez comment ces choses se passent, au milieu du labyrinthe de la bureaucratie, les communications peuvent ne pas arriver là où elles sont censées parvenir.» Pietro Parolin note bien que ce ne sont là que ses «propres interprétations.»

Guerre en Ukraine, pompiers à Kiev après un bombardement | Flickr Felipe Dana CC-BY-SA-2.0

La missive du pape en faveur de la paix mise à la poubelle par mégarde par des fonctionnaires peu précautionneux? La chose semble douteuse, et l’interprétation du cardinal semble plutôt destinée à ne pas mettre les instances concernées dans l’embarras.

Les chancelleries russe et ukrainienne ont certainement un seul mot d’ordre: ne pas paraître intéressées par une quelconque médiation. Dans les ambassades, chaque mot est soigneusement pesé et l’on sait que feindre l’ignorance est souvent plus adéquat que de se lancer dans de délicates explications.

Anticipation?

Dans l’état actuel, il est clair que ni Kiev ni Moscou n’ont d’intérêt à cesser les hostilités. Tant que les deux parties ont encore l’espoir de pouvoir l’emporter militairement, toute évocation de négociation ressemblera à un aveu de faiblesse.

«Il est très probable que la ‘campagne’ pacifique du Vatican ait commencé de longue date»

Mais, sachant évidemment cela, pourquoi donc le pape François et ses conseillers ont-ils lancé en un tel moment leur initiative de médiation?  Il y a sans doute plusieurs réponses à cette question. L’une d’elle peut être la nécessité d’anticipation. La stagnation militaire ne durera pas éternellement. L’un ou l’autre côté prendra un jour ou l’autre un avantage décisif. Il semble actuellement plus vraisemblable que ce soit l’Ukraine, notamment grâce à l’aide occidentale, dans la perspective de sa prochaine contre-offensive de printemps.

Mais quel que soit le «gagnant», les diplomates du Vatican sont bien conscients de la nécessité dès à présent de  »préparer le terrain». Le Vatican s’estime probablement mieux placé que d’autres Etats pour construire la route vers la paix. Il peut mettre en avant sa neutralité, son expérience des médiations, ainsi que son autorité morale.

La Hongrie comme «pont» vers le Kremlin?

En fait, il est très probable que la «campagne» pacifique du Vatican ait commencé de longue date. Elle est apparue sans doute en filigrane dans de nombreuses attitudes, paroles et décisions du pape François. Tout d’abord dans sa réticence à dénoncer explicitement la Russie et Vladimir Poutine comme les agresseurs.

Le pontife a, à maintes reprises, exprimé ses pensées et son soutien pour le peuple ukrainien. Mais il y a presque systématiquement ajouté le souci des Russes. Au-delà de la considération chrétienne pour tout être humain quel qu’il soit, François a sans doute toujours pris soin de ne pas s’aliéner définitivement Moscou, de laisser une mince ouverture, afin de pouvoir rouvrir plus facilement la porte le moment venu.

«Le pape a pu voir en Hilarion un levier utile pour faire avancer le dossier de la paix»

Des signes révélateurs d’une action en coulisses du Saint-Siège peuvent certainement être vus dans le choix des voyages et des rencontres du pape François. Le séjour en Hongrie notamment, a été perçu par maints observateurs comme une visite dans «l’anti-chambre» du bureau de Poutine. Le Premier ministre magyar Viktor Orban est en effet l’un des chefs d’Etat les plus proches du président russe en Europe. Le Hongrois n’a aucun intérêt à voir cette guerre continuer, du moment qu’elle le place dans un tiraillement très douloureux entre l’Union européenne et Moscou. Nul doute que le pape a pu voir en lui un levier utile pour faire avancer le dossier de la paix, ou en tout cas pour jauger les possibilités de dialogue

La carte religieuse

Le voyage à Budapest a aussi été l’occasion de rencontrer le métropolite Hilarion, ancien «ministre des Affaire Etrangères» du Patriarcat de Moscou. Pour Gerard O’Connell, journaliste au magazine jésuite America, la démarche est à relier à la tentative de François d’utiliser des canaux non-diplomatiques pour communiquer avec les dirigeants russes. Il miserait dans cette perspective sur l’Eglise orthodoxe, dont on sait le patriarche Cyrille Ier proche du président Poutine.

Le métropolite orthodoxe russe Hilarion a rencontré le pape François à Budapest | © Vatican Media

Alors que les deux responsables religieux avaient conclu une rencontre historique, en 2016 à Cuba, leurs relations se sont nettement dégradées depuis le début de la guerre en Ukraine. Cyrille n’aurait pas apprécié le terme «d’enfant de choeur de Poutine» utilisé par le pape lors d’une visioconférence, peu après le déclenchement des hostilités.

«La paix se fait toujours par l’ouverture de canaux; jamais par la fermeture»

Pape François

Des tentatives de réchauffement ont cependant eu lieu plus tard, mais sans que cela ne débouche sur une nouvelle date de rencontre. Dans l’avion le ramenant de Budapest, François s’est montré sûr qu’un tel face-à-face «aura lieu». America cite des sources anonymes du Vatican selon lesquelles une rencontre serait en effet envisageable, mais «peu probable» avant la fin de la guerre.

La conviction du dialogue

La visite d’Hilarion au pape en Hongrie a été considérée comme de courtoisie entre deux hommes qui s’estiment et s’apprécient depuis longtemps. Ce premier a assuré que la politique n’avait pas été abordée lors de leur entretien. Mais on peut penser que le pontife a joué dans ce moment sa carte religieuse pour tenter de trouver un passage vers le Kremlin. Le métropolite est en effet perçu comme une personnalité plus ouverte et modérée que Cyrille Ier, coutumière de l’Europe de l’Ouest. C’est probablement sa perplexité vis-à-vis de la guerre qui lui a valu d’être destitué de son poste chef du Départment des affaires extérieures du Patriarcat et envoyé à Budapest.

D’une manière générale, le pape François semble chercher à rencontrer des personnes «ponts» entre les deux côtés du nouveau Rideau de fer.

Mais Jorge Bergoglio vise-t-il réellement les résultats, ou son action est-elle juste le fruit de ses convictions? Il a en effet toujours préféré le principe du dialogue à celui de la confrontation. De retour du Kazakhstan, en septembre 2022, il avait déclaré: «Je n’exclus pas le dialogue avec une puissance en guerre, quelle qu’elle soit, même si c’est avec l’agresseur. Cela peut ‘puer’, mais il faut le faire». Une profession de foi qu’il avait rappelée dans l’avion Budapest-Rome, en assurant que «la paix se fait toujours par l’ouverture de canaux; jamais par la fermeture.»

Rien d’autre que le plan «ukrainien»

En ce sens, la rencontre avec le président Zelensky était-elle juste une application de ce principe? Rien de réellement concret n’a bien sûr filtré. «L’entretien s’est concentré sur la situation humanitaire et politique en Ukraine à la suite de la guerre en cours», a expliqué laconiquement le Saint-Siège, suite à l’entrevue qui a duré environ 40 minutes. Tout le monde sait pourtant que bien des éléments de la discussion, secret d’Etat oblige, ne seront pas divulgués.

«C’est la première fois que Zelensky s’adresse à un dirigeant qui a une position différente sur la guerre»

Andrea Riccardi

Une lecture en filigrane des propos du président Zelensky suite à la rencontre ne semble pourtant pas être de bon augure pour le «plan du pape». Dans un communiqué diffusé sur son canal Telegram, le dirigeant ukrainien a affirmé avoir demandé le soutien du pape pour «la mise en œuvre de la formule ukrainienne de paix, en particulier en matière de sécurité alimentaire, de libération des prisonniers et des déportés et le rétablissement de la justice». Il a ajouté que «puisque la guerre est sur le territoire de l’Ukraine, le plan de paix peut être seulement ukrainien». «Pour moi, cela a été un honneur de rencontrer Sa Sainteté, mais il connaît ma position: la guerre est en Ukraine, le plan doit être en Ukraine, pour les Ukrainiens », a-t-il ajouté. «Nous n’avons pas besoin d’un médiateur entre l’Ukraine et le pays agresseur», car la Russie « bloquera tout.»

Espoir ou illusion?

Des propos qui pourraient sonner comme un faire-part de décès pour la «mission» du pape. C’est bien ce que pense Il Sismografo, qui s’interroge sur la réalité-même de la démarche. «À ce stade, les faits démontrent que la prétendue médiation du pape était davantage le fruit d’un récit journalistique, en particulier des soi-disant experts des affaires du Vatican, assure le média italien (…) la hiérarchie du Vatican savait que le gouvernement ukrainien n’accueillerait aucune proposition n’ayant pas pour point de départ la réalité ukrainienne sur le terrain, à savoir celle d’un pays attaqué sans raison, bombardé chaque jour, soumis à des attaques militaires féroces et de cruelles actions contre la population civile».

D’autres observateurs ont cependant un point de vue moins pessimiste. Dans le média Vatican Insider, le 15 mai, le vaticaniste Andrea Riccardi estime ainsi que «la soif de pacification est telle que d’un sommet de 40 minutes, nous attendons un miracle, nous superposons l’espoir à la réalité». Pour le fondateur de la communauté Sant’Egidio, «nous arrivons donc à des conclusions un peu déçues, sans imaginer que même si Zelensky avait voulu s’engager dans un processus de paix, il ne l’aurait pas dit. Il travaille à une offensive et son langage restera ‘notre victoire et la reconquête de nos territoires’».

Andrea Riccardi est ainsi convaincu que le face-à-face «ne sera pas inutile sur le plan diplomatique». «Notamment parce que c’est la première fois que Zelensky s’adresse à un dirigeant qui a une position différente sur la guerre». (cath.ch/arch/america/vaticaninsider/imedia/rz)

Le pape François a-t-il fait avancer sa mission de paix en rencontrant le président ukrainien Volodymyr Zelensky le 13 mai 2023? | © KEYSTONE/NEWSCOM/Ukrainian President Press Office
15 mai 2023 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 8  min.
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