"Le mauvais riche et le pauvre Lazare", huile sur toile par Bonifazio Veronese vers 1540 | © Wikimedia/DP
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Le président Trump et ses conseillers ignorent Lazare

Pour le jésuite Thomas Reese, les décisions de l’administration Trump à propos de la question migratoire et de l’aide étrangère contredisent les enseignements de Jésus. Les catholiques qui s’offusquent des propos du pape à cet égard et qui disent se référer plutôt à Jean Paul II ont la mémoire courte, selon le prêtre étasunien.

Le débat théologique autour de la responsabilité sociale et personnelle des catholiques vis-à-vis de leur prochain a rebondi aux États-Unis depuis la nouvelle investiture de Donald Trump. Il s’est plus particulièrement cristallisé autour de la question migratoire, comme l’a fait remarquer sur cath.ch Raphaël Zbinden dans un blog récent. Les propos de JD Vance, vice-président du pays, à propos de sa conception catholique du mot «prochain» a déclenché des échanges entre catholiques via les réseaux sociaux.

La question migratoire et la fermeture de l’USAID

La Conférence épiscopale américaine et plusieurs évêques du pays, à titre personnel cette fois, ont critiqué les décrets anti-migrants de Donald Trump. Ainsi de Mgr Mark J. Seitz, évêque d’El Paso, qui a déclaré: «Le recours à des généralisations abusives pour dénigrer un groupe (…), afin de les priver de la protection de la loi, est un affront à Dieu qui a créé chacun d’entre nous à son image.» Ces remises en cause morales sont vues d’un mauvais œil par nombre de catholiques conservateurs.

Il en est de même à fortiori de l’intervention du pape François sur ce même dossier migratoire. Dans une lettre ouverte aux évêques américains, rendue publique le 11 février, le pape s’indigne d’une idéologie qui «impose la volonté des plus forts comme critère de vérité». Ce qui a aussitôt été dénoncé par des responsables catholiques de l’administration Trump comme une ingérence dans les affaires politiques américaines.

Depuis, un autre dossier remettant en cause les principes de solidarité divise le monde catholique américain: la fermeture brutale, le 10 février 2025, de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).

Jean Paul II plutôt que François, un faux débat

«Les catholiques, comme le vice-président JD Vance, qui reprochent au pape François d’être trop politique, affirment qu’ils ont la nostalgie de l’époque du pape Jean Paul II», écrit le Père Thomas Reese sj, éditorialiste depuis une dizaine d’années au National Catholic Reporter. «Mais la vérité est qu’ils n’ont pas écouté Jean Paul lorsqu’il a remis en question leurs opinions politiques», décrypte-t-il.

Et de rappeler le prêche de Jean Paul II lors de la messe qu’il avait célébrée au Yankee Stadium de New York, le 2 octobre 1979, sur la parabole de Jésus de l’homme riche et de Lazare (Luc 16,19-22). L’homme riche, «vêtu de pourpre et de fin lin», festoyait quotidiennement, tandis que le pauvre Lazare se tenait «couché à sa porte, couvert d’ulcères», dans l’espoir de se nourrir de ses miettes. Les deux hommes moururent, Lazare allant au ciel et l’homme riche en enfer.

La responsabilité du riche

Jean Paul II, relate le Père Reese, avait alors «regardé la foule d’Américains bien nourris» qui assistaient à la messe et leur a dit: «L’homme riche a été condamné parce qu’il n’a pas prêté attention à l’autre homme», Lazare. Le pape avait ensuite évoqué les droits de l’homme, transcrivant la parabole en termes de relations entre le Nord, riche, et le Sud, pauvre.

«Nous ne pouvons pas rester les bras croisés alors que des milliers d’êtres humains meurent de faim, avait-il déclaré. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés, jouissant de nos richesses et de notre liberté, si, en quelque lieu que ce soit, le Lazare du 20e siècle se tient à nos portes. À la lumière de la parabole du Christ, la richesse et la liberté impliquent une responsabilité particulière. La richesse et la liberté créent une obligation particulière.»

Des conséquences néfastes à plus d’un titre

Pour l’ancien rédacteur en chef de la revue America publiée par les jésuites des États-Unis, le message est clair. «Lorsque des hommes riches comme le président Donald Trump et Elon Musk ferment l’USAID et éliminent les programmes d’aide à l’étranger», ils ne rejettent pas seulement les enseignements du pape François, mais aussi ceux de Jean Paul II et de Jésus. «Ils ignorent Lazare. Ils le condamnent, lui et des millions d’autres comme lui, à la famine. Ils abandonnent les réfugiés qui ont fui les persécutions, les guerres et la famine. Ils cessent de fournir des soins médicaux aux malades. Ils permettent à des fléaux comme Ebola, la variole du singe et le VIH/SIDA de se propager sans contrôle.»

Cette situation sera dévastatrice pour les pays pauvres, mais elle nuira également à l’Amérique, avertit le chroniqueur. «Les réfugiés désespérés se tourneront vers des leaders radicaux comme ISIS, ou tenteront d’immigrer aux États-Unis ou en Europe.» (cath.ch/ncr/lb)

«Le mauvais riche et le pauvre Lazare», huile sur toile par Bonifazio Veronese vers 1540 | © Wikimedia/DP
25 février 2025 | 14:26
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 3  min.
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