Le Premier ministre indien Narendra Modi  suit la ligne nationaliste hindoue (Photo:  Wikimedia Commons)
International

Violences au Jammu-et-Cachemire: l’Eglise catholique favorise les initiatives de paix

Alors que d’importantes manifestations sont violemment réprimées par l’armée dans l’Etat indien du Jammu-et-Cachemire, faisant des dizaines de morts et des milliers de blessés, le diocèse catholique de Jammu-Srinagar, Caritas India et les écoles catholiques de la région se mobilisent pour la paix.

Malgré un climat de guerre larvée, le 21 septembre dernier, Journée internationale de la paix, l’Eglise catholique a réuni des centaines de jeunes pour une journée de prière commune. Cette région du nord de l’Inde est minée par une escalade des violences depuis la mort, le 8 juillet dernier, de Muzaffar Wani, jeune chef charismatique d’un groupe séparatiste cachemiri, tué par des militaires indiens.

Clubs pour la paix et veillées de prière

«Nous prions pour la paix et le retour à une vie normale», a confié le Père Mathew, curé de la paroisse de la Sainte-Famille, à Srinagar, la capitale d’été de l’Etat. «Alors que l’Etat indien a annoncé vouloir déployer 4’000 hommes de troupe supplémentaires dans la région, l’Eglise catholique veut appréhender le conflit en favorisant le dialogue», a-t-il expliqué. Selon le Père Shaiju Chacko, porte-parole du diocèse catholique de Jammu-Srinagar, des veillées de prières pour la paix, en hommage aux victimes du conflit, ont été organisées dans toutes les paroisses du diocèse.

Des centaines d’étudiants de différentes régions du Jammu-et-Cachemire ont également lancé le programme «Maitri Abhiyan» (›amitié’), des clubs pour la paix rassemblant une trentaine d’étudiants prêts à s’investir quotidiennement dans la diffusion d’un message de paix, d’unité et de solidarité, précise le Père Chacko.

Une région paralysée et sous tension

Depuis près de quatre-vingts jours, un couvre-feu paralyse en effet le quotidien des habitants de cet Etat enclavé entre l’Inde, le Pakistan et la Chine. Les réseaux internet et de téléphonie mobile ont été coupés, afin d’affaiblir la capacité de rassemblement des jeunes séparatistes, très présents sur les réseaux sociaux.

La plupart des écoles, des commerces et des administrations publiques sont fermées depuis trois mois, alors que les groupes séparatistes appellent toujours à la grève et aux manifestations. Ces protestations, qui sont réprimées dans la violence, ont causé la mort de dizaines de personnes et blessé de nombreux manifestants. «Beaucoup de personnes tuées ou blessées sont très jeunes», déplore le Père Mathew. «Nos prières et notre compassion s’adressent également à tous ces enfants innocents qui ont été mutilés ou sont sur le point de perdre la vue, du fait des tirs de billes à plomb», ajoute-t-il. Plus de 300 personnes auraient ainsi perdu la vue du fait de l’utilisation par les forces armées de ce type de munition.

Un conflit ancien et complexe

Le Jammu-et-Cachemire, seul Etat à majorité musulmane de l’Union indienne, avec 68,3 % de musulmans (*), est, depuis plus de soixante ans, le théâtre de troubles incessants entre l’armée et les séparatistes musulmans, revendiquant leur rattachement au Pakistan. Ces vingt dernières années, le conflit a provoqué la mort de plus de 80’000 personnes et l’exil de milliers d’hindous, malgré un processus de paix entamé avec le Pakistan en 2004.

Dans cette vallée de l’Himalaya administrée par l’Inde, où quelque 70’000 soldats sont déployés, une loi votée en 1990 protège les soldats et les policiers de toute poursuite judiciaire pour les exactions commises en zone de troubles, ce qui leur confère une large impunité, et les accusations de viol, d’assassinat et de saisie de biens à leur encontre sont régulières, note Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP).

Pour Dibyesh Anand, professeur de relations internationales à l’Université de Westminster, à Londres, et spécialiste du Cachemire indien, «le conflit au Cachemire est utilisé pour alimenter le nationalisme indien. Quand quelqu’un est tué, les médias indiens s’en emparent afin d’en faire un problème national. De cette façon, ils déshumanisent les Cachemiris en les représentant comme violents».

Affrontements militaires et manœuvres diplomatiques

Du côté pakistanais, on cherche à décrédibiliser internationalement l’Inde, en évoquant le sort des Cachemiris, victimes de «la répression du gouvernement Modi». Pour les médias occidentaux, l’Inde et le Pakistan sont des partenaires économiques privilégiés, notamment dans le domaine de l’armement, et «on préfère ignorer ce qui s’y passe», estime Dibyesh Anand.

L’accord signé le 23 septembre dernier entre le gouvernement indien et la France pour l’achat de 36 avions de combat Rafale est ainsi présenté, par certains médias indiens, comme un moyen pour l’Inde de prouver au Pakistan «sa supériorité aérienne», puisque New Delhi sera désormais capable d’attaquer des cibles en territoire pakistanais, sans violer l’espace aérien d’Islamabad.

Pour d’autres médias, comme le Hindustan Times, plus modéré, l’escalade militaire n’est pas la solution, et le quotidien appelle plutôt à isoler le Pakistan sur la scène internationale. D’autres, comme l’Indian Express, brandissent la menace de couper l’eau potable au Pakistan, les deux pays se partageant le bassin de l’Indus, fleuve transfrontalier, où l’Inde, située en amont, jouit d’une position dominante sur son voisin pakistanais, où le bassin de l’Indus représente l’axe vital autour duquel s’organise la majeure partie de la vie du pays.

Pot de terre contre pot de fer

«La violence ne peut avoir comme réponse la violence. Nous devons redoubler d’énergie pour favoriser une solution diplomatique au plan international. Ces derniers temps, les violences se sont intensifiées et c’est une grande inquiétude pour notre pays», a pour sa part affirmé Mgr Theodore Mascarenhas, secrétaire général de la Conférence épiscopale catholique en Inde (CBCI), interrogé par l’agence de presse catholique asiatique UcaNews.

Le 29 août dernier, à New Delhi, une cinquantaine de responsables religieux, hindous, musulmans et chrétiens s’étaient rassemblés afin d’appeler le gouvernement indien à prendre des mesures pour que cesse le conflit au Cachemire indien. «Nous devons comprendre les raisons exactes qui pousse la jeunesse cachemirie à la violence, que ce soit le chômage ou l’absence de perspectives d’avenir», a souligné Mgr Anil Couto, archevêque de Delhi. «En tant que responsables religieux, nous avons le devoir de créer des ponts entre le gouvernement et les citoyens, afin d’apporter la paix à notre pays», a-t-il insisté. (cath.ch-apic/eda/nfb/be)

(*) Le Jammu-et-Cachemire, compte, selon le recensement de 2011, quelque 12,55 millions d’habitants, dont 68,3% de musulmans, 28,4% d’hindous, 2,4% de sikhs, 0,9% de bouddhistes. Les chrétiens représentent moins de 1% de la population du Cachemire indien.

Le Premier ministre indien Narendra Modi suit la ligne nationaliste hindoue
28 septembre 2016 | 17:52
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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