Une année difficile pour la diplomatie vaticane
La diplomatie du Saint-Siège a traversé une année 2022 difficile. Impuissante face à l’offensive russe en Ukraine, elle s’est aussi trouvée en difficulté sur plusieurs dossiers complexes, notamment face aux attaques anticatholiques du gouvernement de Daniel Ortega au Nicaragua. La reconduction de l’accord provisoire sur les nominations épiscopales en Chine, dans un contexte de restriction des libertés, a aussi suscité de nombreuses critiques et interrogations.
Le pari chinois et ses inconnues
La Chine demeure l’objet d’un pari risqué pour le pape François. Mise à part une brève escale de Paul VI le 4 décembre 1970 à Hong Kong, alors concession britannique, la terre chinoise n’a jamais été arpentée par un pape. Cet horizon constitue une préoccupation centrale pour le premier pontife non-européen, qui sait que la tradition jésuite, portée notamment par le Père Matteo Ricci (1552-1610), peut apporter des opportunités de rapprochement avec une culture chinoise rétive aux influences occidentales.
Le pape François avait ainsi tenté d’établir un contact personnel avec le président chinois Xi Jinping en lui écrivant dès le début de son pontificat, concomitant de la prise de pouvoir du leader chinois. Le président lui avait poliment répondu, révèlera le pape quelques années plus tard. Les deux chefs d’État ne se sont jamais rencontrés – malgré leur présence au même moment au Kazakhstan en septembre 2022 -, mais le pape persiste à vouloir établir un dialogue avec Pékin.
L’année a ainsi été marquée par la reconduction, en octobre 2022, de l’accord entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine sur les nominations épiscopales, signé à Pékin le 22 septembre 2018. Ce document, dont le contenu précis demeure secret, stipule notamment que les nominations d’évêques sont le fruit d’un choix du pape, parmi trois noms présentés par les autorités chinoises.
Ce modèle serait comparable au dispositif assumé au Vietnam, qui a contribué à la renaissance du catholicisme dans ce pays du sud-est asiatique. Mais dans un contexte d’autoritarisme croissant du gouvernement chinois, cette disposition suscite des inquiétudes. Notamment liées au risque d’emprise de l’Association patriotique des catholiques chinois, c’est-à-dire de l’Église officielle affiliée au Parti communiste, sur les communautés clandestines demeurées fidèles à Rome mais contraintes de s’enregistrer officiellement.
Après quatre ans, le bilan semble mince: seules six nominations d’évêques ont pu être menées selon les dispositions prévues par cet accord. Dans un entretien à l’agence Reuters, en juillet 2022, le pape reconnaît que le processus de nomination des évêques «va lentement», mais explique qu’il s’agit de la «’méthode chinoise’, parce que les Chinois ont ce sens du temps où personne ne peut les presser». Le pontife défend la ligne tenue par sa diplomatie, que certains voient comme une compromission ou une trahison vis-à-vis de l’Église clandestine. «Lorsque vous faites face à une situation bloquée, vous devez trouver la voie possible, et non la voie idéale, pour en sortir», justifie le pape.
Cependant, le 26 novembre 2022, le Saint-Siège a publié un communiqué au ton inhabituel. Exprimant pour la première fois une divergence publique avec les autorités chinoises, le Saint-Siège dit «avoir pris connaissance avec surprise et regret» de la cérémonie d’installation de Mgr Peng Weizhao, ex-évêque clandestin de Yujiang, en tant qu’évêque auxiliaire de Jiangxi’, un diocèse de l’Église officielle «non reconnu par le Saint-Siège». Le Vatican assure que cet acte n’est «pas conforme à l’esprit de dialogue» instauré entre Rome et Pékin depuis l’accord provisoire du 22 septembre 2018 sur les nominations épiscopales.
Ce communiqué du Saint-Siège sur la situation de Mgr Peng Weizhao met en lumière les désaccords persistants entre Rome et Pékin, malgré la volonté personnelle du pape François de garder les canaux ouverts avec la Chine. La stratégie de «sinisation» opérée par le président chinois Xi Jinping et son refus des ingérences étrangères entre en contradiction avec le principe de communion de l’épiscopat avec Rome.
L’arrestation du cardinal Zen, le 11 mai, pour le non-enregistrement d’une association venant en aide aux manifestants, avant sa rapide libération, n’a suscité que des réactions discrètes du pape et du Saint-Siège. Le dimanche 22 mai, lors de la prière du Regina Caeli, à l’avant-veille de la fête de Notre-Dame-de-Sheshan, le pape François a toutefois assuré «suivre avec attention et participation la vie et les histoires des fidèles et pasteurs, souvent complexes» de Chine et prier pour eux «chaque jour». Le cardinal Zen sera finalement condamné, en novembre, à une amende symbolique, avant de faire appel.
Nicaragua: une Église persécutée
Le 12 mars 2022, le Saint-Siège exprime sa «surprise» et son incompréhension après l’expulsion du nonce apostolique au Nicaragua, Mgr Waldemar Stanislaw Sommertag. Pour le Vatican, la décision du gouvernement nicaraguayen de retirer au représentant diplomatique son agrément est «incompréhensible» et constitue une mesure «grave et injustifiée». Le nonce apostolique, qui était à Managua depuis 2018, avait notamment œuvré comme médiateur dans le cadre de la «Table de dialogue national» instituée dans le contexte des manifestations contre le pouvoir populiste de gauche.
Le Saint-Siège exprime alors sa conviction que «cette mesure unilatérale, grave et injustifiée, ne reflète pas les sentiments du peuple du Nicaragua, profondément chrétien». Il renouvelle en outre sa «pleine confiance» à son diplomate polonais, qui sera ultérieurement nommé nonce auprès de plusieurs États africains. Il n’est pas le seul diplomate étranger à avoir été expulsé: l’ambassadrice de l’Union européenne a subi le même sort.
Dans l’avion de retour du Kazakhstan, le pape a assuré vouloir maintenir le dialogue avec le gouvernement pour «résoudre les problèmes». Mais le président nicaraguayen Daniel Ortega, qui a eu des relations contrastées et sinueuses avec l’Église catholique au long de ses différents mandats, se montrera d’une agressivité croissante avec le pape. Le président ira jusqu’à déclarer voir dans l’Église «une dictature parfaite, une tyrannie parfaite», tout en s’affirmant lui-même catholique.
En août 2022, l’arrestation de l’évêque de Matagalpa, Mgr Rolando Alvarez, qui sera assigné à résidence, marque une étape supplémentaire dans la répression du régime à l’égard des évêques catholiques, accusés par le régime de fomenter un coup d’État.
Guerre en Ukraine: une neutralité incomprise
L’offensive russe en Ukraine, débutée le 24 février, constitue un bouleversement géopolitique majeur de l’année 2022, un conflit armé d’une telle ampleur ne s’étant pas produit sur le continent européen depuis la Seconde guerre mondiale. Le pape François prendra de court ses propres services en se rendant en personne à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège dès le lendemain de l’invasion.
Au fil des mois, la diplomatie pontificale s’active pour tenter de tracer une ligne de sortie du conflit, sans succès. Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, rencontre notamment le chef de la diplomatie russe, Sergeï Lavrov, à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre. Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire pour les Relations avec les États, se rend pour sa part en Ukraine du 18 au 22 mai.
L’archevêque britannique y manifestera son soutien à «l’intégrité territoriale de l’Ukraine» assurant exprimer un point essentiel de la doctrine diplomatique du Saint-Siège, sans pour autant exprimer une position personnelle du pape François. «Je parlais au nom du Saint-Siège, et le Saint-Père ne m’a pas encore corrigé sur ce que j’ai dit en son nom», précisera l’archevêque britannique dans un entretien à la revue America, donnant tout de même l’impression d’une distance entre le pape et la secrétairerie d’État.
À plusieurs reprises, le pape François suscitera l’étonnement par des déclarations semblant renvoyer dos à dos l’Ukraine et la Russie, notamment en affirmant qu’il n’y a «pas de bons et de méchants» dans cette guerre. Ces propos susciteront un malaise profond en Ukraine, tout comme sa mention des «aboiements de l’OTAN aux portes de la Russie», une expression semblant reprendre les éléments de langage de Moscou, dans son entretien du 3 mai au Corriere della Sera.
L’approche controversée de la Russie par le pape François peut néanmoins être interprétée comme étant liée à l’impératif de neutralité établi par les accords du Latran de 1929, qui avaient rétabli la souveraineté du Vatican et la reconnaissance du Saint-Siège en droit international. Son article 24 stipule en effet que «le Saint-Siège demeurera étranger aux compétitions temporelles envers les autres États et aux réunions internationales convoquées pour cet objet, à moins que les parties en litige ne fassent un appel unanime à sa mission de paix, se réservant en chaque cas de faire valoir sa puissance morale et spirituelle».
La discrétion du Saint-Siège, dans le cas de l’invasion de l’Ukraine en 2022, comme pour celle de la Pologne en 1939 ou de la France en 1940, suscite parfois scandale et incompréhension, mais elle est donc la condition sine qua non de sa légitimité sur la scène internationale et de son aptitude à effectuer des médiations.
Même si, en décembre 2022, la proposition d’organiser un sommet au Vatican entre l’Ukraine et la Russie a rencontré une fin de non-recevoir du Kremlin, les diplomates pontificaux espèrent toujours contribuer à ce que les canaux de communication entre Moscou et l’Occident ne soient pas coupés, et continuent à assumer, à temps et à contre-temps, le pari d’une paix future à construire sans humiliation du vaincu.
Ces derniers mois, les visites de nombreux dirigeants européens au Vatican, venus notamment d’Europe centrale, ont montré que le pape et le Saint-Siège gardaient une place particulière au sein de la communauté internationale. La France a aussi affirmé ses convergences avec le pape sur le dossier ukrainien lors de la visite au Vatican du président français Emmanuel Macron, le 24 octobre, qui a donné lieu à son troisième entretien avec le pontife argentin. Une diplomatie ‘désarmée’ et ›désarmante’ peut donc encore avoir son mot à dire et éloigner le risque d’un embrasement général du conflit à l’échelle européenne. (cath.ch/imedia/cv/rz)