Le célibat: anachronique ou nécessaire? [6/7]
Le célibat sacerdotal, encore en vigueur dans l’Eglise catholique romaine, est une règle qui s’est imposée au XIe siècle. Dix siècles plus tard, cette pratique interroge. Dérange parfois. Est-elle infondée pour autant?
Le code de droit canon, qui régit l’Eglise catholique latine, est formel: Les prêtres sont «astreints au célibat pour s’unir plus facilement au Christ». Mais le célibat sacerdotal n’est pas gravé dans le marbre pour autant. La pratique pourrait évoluer. D’autant que cette norme ne s’applique pas à l’intégralité du clergé catholique.
Alors que certains rejettent une pratique «d’un autre temps», d’autres y trouvent encore un sens. Jean-Marc Tétaz et Pascal Desthieux en débattent.
Pascal Desthieux: «Le célibat consacré est donc prophétique»
Nécessaire, le célibat sacerdotal? Je ne sais pas. Utile et avantageux? Certainement. Si l’Eglise catholique de rite latin choisit encore aujourd’hui, malgré toutes les pressions pour lui demander de changer cette pratique, de n’ordonner prêtres que des hommes qui acceptent librement de rester célibataires, c’est qu’elle continue d’y voir un avantage et un bienfait.
À commencer par celui de la disponibilité. Personnellement, je n’accepterais pas d’être engagé tous les week-ends, pratiquement tous les soirs, et bien souvent de tôt le matin à tard le soir si j’avais fondé une famille. Ou alors, je ne serais pas un bon mari et un bon père.
Mais cet argument de la disponibilité n’est pas le plus important: des personnes mariées se rendent pleinement disponibles, parfois bien plus que certains prêtres. L’Eglise continue de choisir comme prêtres des hommes qui «donnent tout», s’engagent à fond. Devenir prêtre, ce n’est pas juste choisir un métier qui va nous occuper une quarantaine d’heures par semaine, c’est donner entièrement sa vie à la suite du Christ, et conserver un lien profond avec lui. Un prêtre qui ne prie plus ne va pas tenir longtemps. Mon célibat me demande, jour après jour, d’avoir une relation intime, profonde, avec Dieu, qui est capable de me combler et de remplir ma vie.
Le célibat consacré, pas seulement celui des prêtres, est donc prophétique. C’est le témoignage vivant et concret de la présence et de l’amour de Dieu pour chaque personne, un amour assez réel pour combler une vie.
Je suis prêtre et vicaire épiscopal pour le canton de Genève – qui m’a vu naître il y a 47 ans. Depuis mon ordination sacerdotale en 1997, j’ai exercé mon ministère dans plusieurs paroisses dans les cantons de Vaud, de Fribourg et de Genève. Je suis également l’auteur de plusieurs ouvrages sur la messe, la confession et, plus récemment, sur le silence dans la liturgie.
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Jean-Marc Tétaz: «La sexualité n’est pas le lieu par excellence de la tentation ou du péché; elle est une manifestation parmi d’autres de la vie humaine»
L’abolition du célibat des prêtres fut l’une des premières mesures prises par les Réformateurs. Elle obéissait à un motif théologique. La redécouverte du sacerdoce universel des croyants par Luther (dans L’Appel à la noblesse allemande, de 1520) privait de toute justification l’idée d’un état sacerdotal qui serait caractérisé par un mode de vie particulier. Si tous sont prêtres, tous appartiennent à l’état sacerdotal! Cette prêtrise de tous s’exprime dans une vie sanctifiée au sein du monde, une sanctification inscrite dans les ordres de la société qui encadrent la vie de tous: profession, famille et droit.
Le pasteur ne se distingue des autres fidèles que par la fonction spécifique qui lui est confiée: prêcher l’Evangile et administrer les sacrements. Cette fonction est un ministère, et non un sacerdoce. Elle ne présuppose ni ordination (la consécration n’est pas une forme déguisée d’ordination), ni dignité spécifique (le sacerdoce), ni forme de vie particulière (le célibat) marquant cette différence d’état. Le pasteur doit donc être marié et participer à la vie de tous, comme époux et comme père de famille – ou comme épouse et mère de famille!
Le célibat obligatoire ne saurait donc être justifié par l’idée que par l’ordination, le prêtre serait rendu conforme au Christ: pour un protestant, cela vaut de tous les chrétiens. Et cette conformité ne saurait trouver son expression la plus accomplie dans le renoncement à la sexualité. Car la sexualité n’est pas le lieu par excellence de la tentation ou du péché; elle est une manifestation parmi d’autres de la vie humaine. Et la sanctification attendue de tous ne consiste pas à renoncer à la vie terrestre pour anticiper une forme de vie céleste (qui relève de toutes façons de la projection fantasmatique bien davantage que de la spiritualité); elle consiste, au sein du monde, à conformer sa vie à la prodigalité surabondante de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. De cette prodigalité, la sexualité est appelée à être une sorte de parabole. Pourquoi le pasteur devrait-il y renoncer?
Je suis théologien et philosophe. J’ai enseigné dans diverses universités de Suisse et d’Europe; je suis actuellement professeur invité à l’Institut protestant de théologie à Paris. J’ai traduit et édité de nombreux théologiens protestants allemands. Mes recherches portent en particulier sur la théologie protestante des XIXe et XXe siècles.
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Des prêtres catholiques mariés, ça existe
En Suisse romande, le dernier en date s’appelle Naseem Asmaroo. Il a été ordonné prêtre le 25 novembre 2017. D’origine irakienne, il est issu de l’Eglise chaldéenne, une Eglise orientale pleinement unie à l’Eglise catholique. Il est appelé à officier comme prêtre auprès de la communauté chaldéenne de Suisse, mais aussi auprès des catholiques de la région d’Yverdon-les-Bains. Les catholiques de rite oriental avancent plusieurs arguments pour fonder leur pratique: liberté de choix, gage d’équilibre affectif ou encore capacité de comprendre de l’intérieur le vécu des familles. Cette pratique, minoritaire, subsiste au sein de l’Eglise catholique où la plupart des prêtres et des religieux s’engagent à vivre dans le célibat. Un renoncement, pour ceux qui le choisissent, ordonné à un autre but: être signe de l’amour de Dieu pour tous.