Vatican: la communication parallèle du pape François 2/2

Les critiques que le pape a adressées aux journalistes lors de son passage dans les locaux des médias du Vatican, le 24 mai 2021, ont révélé un profond malaise. De fait, une fracture est apparue entre le pape et les services de communication du Vatican, souvent en décalage avec le pontife.

Par l’agence I.Média

Au problème de la tension entre le travail des journalistes et le poids du Vatican, s’ajoute une difficulté apparue avec l’élection du pape François en mars 2013. Dès les premiers jours du pontificat, le premier pape sud-américain de l’histoire bouleverse les habitudes par son style direct, ses formules improvisées et ses gestes chocs.

Cette communication détonante dans un univers bien ordonné est vite appréciée par un large public. Beaucoup, même à l’intérieur du Vatican, reconnaissent le succès de ce pape qui est parvenu à atteindre des périphéries et à donner une image de l’Église plus miséricordieuse.

Mais la spontanéité de François et son caractère imprévisible ont aussi leurs limites dans une institution peu habituée aux turbulences. Dans les services de communication du Vatican, des voix se disent déconcertées par ce pontife qui se détourne des canaux traditionnels pour faire passer ses messages, quitte parfois à générer de la confusion. 

Un «divorce» entre le pape et sa communication

«Beaucoup de décisions ne sont pas transmises à la communication», commente une source bien informée, qui n’hésite pas à qualifier les rapports entre le pape et sa communication de «froids» et «méfiants». «Depuis l’été dernier, on observe un divorce total entre eux», souffle-t-il.

Cette situation a provoqué nombre de déconvenues. La dernière en date remonte seulement au lundi 24 mai. Invité à inaugurer l’Assemblée générale de la Conférence épiscopale italienne, le pape devait prononcer un discours public retransmis en direct. En tout cas, la salle de presse du Saint-Siège l’avait annoncé ainsi aux dizaines de journalistes accrédités.

Mais au dernier moment, le pape a décidé de s’exprimer en privé. Selon une source, l’information n’est pas remontée à temps jusqu’au Dicastère pour la communication. En constatant que le pape s’exprimait comme s’il était à huis clos, le dicastère a finalement coupé la retransmission du direct. Plus de cinq minutes s’étaient écoulées et le pape avait évoqué des sujets sensibles sur un ton plus direct qu’à l’accoutumée.

«La situation nous a fait écrire des choses grotesques»

Autre exemple qui manifeste le fossé existant entre le pape et ses services de communication: «l’affaire Becciu», du nom de ce cardinal brutalement démis de ses fonctions en septembre 2020.

À l’époque, l’annonce de sa démission a l’effet d’un véritable coup de tonnerre au Vatican où l’on raconte même que le secrétaire d’État Pietro Parolin n’en est informé que par le bulletin officiel. La communication du Saint-Siège s’est contentée de relayer un communiqué lapidaire n’apportant aucun élément permettant de comprendre, ni d’interpréter cette décision inédite. La raison d’État peut expliquer une telle attitude.

Situation très inconfortable

Mais un événement va placer les médias du Vatican dans une situation très inconfortable. Il survient six mois après la chute du cardinal Becciu, le 1er avril dernier. Le pape – qui n’a jamais dit le moindre mot sur l’affaire – décide de se rendre chez son ancien préfet de la Congrégation des causes des saints pour y célébrer la messe du Jeudi saint en fin d’après-midi.

L’information sort dans la presse mais elle n’est reprise par Vatican News que tardivement, avec cette indication surprenante de la part d’un média officiel: «comme il s’agit d’un engagement privé du Saint-Père, il n’y a pas de confirmation officielle». Un employé du dicastère commente amèrement: «la situation nous a fait écrire des choses grotesques».

Le risque d’une communication à deux vitesses

Autre exemple – aux conséquences sans doute plus problématiques pour la vie de l’Église cette fois – de cette communication parallèle du pape: la note de la Congrégation pour la doctrine de la foi rappelant la position de l’Église quant aux bénédictions des couples homosexuels. Publiée le 15 mars dernier, elle a suscité de vives réactions dans certains diocèses comme en Allemagne. 

Et le trouble s’est étendu quand des bruits ont commencé à circuler selon lesquels le pape n’aurait pas apprécié le ton de cette note – pourtant officiellement passée sur son bureau. Ces bruits, I.MEDIA a pu les vérifier et est en mesure de confirmer que le pape a bien pris soin de signifier sa perplexité vis-à-vis de la note lors de rencontres privées avec des professionnels de l’information.  

Résultat, une fois encore, les canaux officiels du Saint-Siège ont été dans l’incapacité de proposer une lecture claire de la séquence sur un sujet dont on sait pourtant le caractère hautement sensible. 

L’épisode a de nouveau manifesté le sentiment d’impuissance dans lequel le pape François place ses propres services. Et le risque de cette communication à deux vitesses et à deux niveaux – officiel et officieux – est de laisser libre cours aux interprétations partisanes. (cath.ch/imedia/ah/cd/hl/cg/bh)