En RDC de nombreux enfants ont été témoins d'exactions | © Photod'illustration:NazareneMissionsInternational/Flickr/CC BY 2.0
Dossier

RDC: le pape rencontrera des victimes d'exactions

4

Durant son voyage en République démocratique du Congo (RDC) (31 janvier-3 février 2023), le pape François doit rencontrer à Kinshasa des personnes victimes des violences à l’est du pays. Mgr Melchisédech Sikuli, évêque du diocèse de Butembo-Beni, raconte la situation tragique de sa région où les attaques perpétrées par des groupes rebelles sont devenues ordinaires.

En août prochain, Mgr Melchisédech Sikuli fêtera les 25 ans de son ordination épiscopale pour le diocèse de Butembo-Beni, un territoire à l’est de la RDC, près de la frontière avec l’Ouganda. Durant ce quart de siècle, l’évêque de 70 ans a vécu au rythme des atrocités commises par les nombreux groupes armés dans la région du Nord-Kivu. En 2003, c’était lui qui avait alerté la presse pour dénoncer l’attaque de localités au moyen d’hélicoptères lance-flammes. Les années ont passé et la sécurité dans cette région riche en minerais ne s’est pas améliorée.

Ainsi, le 15 janvier dernier, un attentat dans une église pentecôtiste de Kasindi, sur le territoire du diocèse, a fait 14 morts et une quarantaine de blessés. «Cela aurait très bien pu avoir lieu dans une église catholique», raconte l’évêque. «D’ailleurs, il y a un an, on a eu une grenade qui a explosé dans une de nos églises. Heureusement, des mamans venues avant la messe avaient remarqué quelque chose de bizarre. La grenade a explosé avant l’arrivée des fidèles», poursuit-il.

Pillages, meurtres et enlèvements

L’attentat dans l’église pentecôtiste a été attribué aux terroristes d’ADF/MTM. La nébuleuse que certains affilient à l’État islamique aurait voulu se venger de pertes infligées par l’armée dans ce territoire de Beni, qui borde l’Ouganda. Pour l’évêque de Butembo-Beni, la région n’a en réalité pas connu la paix depuis la fin du règne du dictateur Mobutu, en 1997.

«À partir de 2010, on a vu se développer ces rebelles d’ADF/MTM, avec leur islam fondamentaliste. Il y a des attaques, des kidnappings… Des jeunes sont emmenés dans les forêts et ne reviennent pas. Les quelques rescapés nous racontent qu’on leur apprend là-bas une nouvelle manière de prier, on leur change leur nom, on leur inculque cette idéologie: ‘celui qui n’est pas comme eux est contre eux’», alerte Mgr Sikuli. Partout où ils font irruption, les rebelles appliquent leurs sinistres méthodes: «Villages, écoles, structures médicales… Ils tuent à l’arme blanche, pillent les biens, emmènent avec eux enfants, jeunes, adultes femmes et hommes pour transporter les biens pillés… Puis ils incendient maisons et autres biens avant de se retirer», décrit l’évêque.

«Difficile de déterminer qui se cache derrière ‘les égorgeurs’»

Parmi les personnes enlevées, Mgr Sikuli se souvient bien sûr des trois prêtres assomptionnistes de la paroisse Notre Dame des Pauvres de Mbau, dans le territoire de Beni (Nord-Kivu). «Cela fait plus de 10 ans maintenant… Nous n’avons plus beaucoup d’espoir de les revoir un jour», confie-t-il.

Une religieuse assassinée

Des drames comme celui-ci, Mgr Sikuli pourrait en raconter des dizaines encore. En octobre dernier, une incursion armée à Maboya a fait plusieurs morts, dont une religieuse. «Ils sont venus des forêts car ils avaient besoin de médicaments. On ne sait pas combien ils sont dans leurs forêts. Parfois, ils viennent chercher des filles… Mais là, ils voulaient des médicaments et sont allés défoncer la pharmacie. Ils se sont trouvés devant une religieuse qui venait d’aider une femme à accoucher. Ils ont pris les médicaments et ont demandé à la sœur de les accompagner dans la forêt. Elle a refusé. Ils lui ont tiré une balle dans la poitrine puis ont mis le feu à la pharmacie. On a retrouvé son corps calciné», retrace l’évêque.

L’évêque de Beni-Butembo, Mgr Sikuli Paluku Melchisédech (Nord-Kivu) | © Radio Okapi/Alain Wandimoyi

Difficile pour lui de déterminer précisément qui se cache derrière ceux que tous surnomment «les égorgeurs». «C’est un mélange: il y a des Ougandais, qui prennent la RDC comme une base arrière pour leur rébellion, des Rwandais, arrivés avec le génocide, des Tanzaniens ou encore des Arabes», énumère-t-il.

Trafic de matières premières

À la question de savoir pourquoi la communauté internationale ne fait rien pour enrayer les violences et mettre au pas les groupes rebelles, le prélat ne se fait pas d’illusion. «La région est riche en minerais, en coltan notamment, en fer, en pétrole. On sait que les puissances occidentales, par acteurs interposés, viennent se fournir ici. Elles n’ont pas intérêt à ce que la situation change», accuse-t-il, rapportant qu’un trafic de matières premières, et d’or notamment, existe à la frontière avec le Rwanda.

«Le pape a raison de dénoncer l’exploitation de l’Afrique par les puissances occidentales»

Mgr Melchisédech Sikuli

«Le pape a raison de dénoncer l’exploitation de l’Afrique par les puissances occidentales», insiste-t-il. Lors de son périple en RDC, il est probable que le pontife argentin condamne à nouveau ce commerce. D’ailleurs, dans un entretien avec Mundo Negro publié le 13 janvier dernier, le pontife a encore déploré cette «idée que l’Afrique existe pour être exploitée»; une idée «injuste» et pourtant présente dans «l’inconscient collectif de nombreuses personnes».

Le pape rencontrera des orphelins des massacres

Dans le premier programme du voyage en RDC, prévu originellement en juillet 2022, le pape François devait se rendre à Goma, pour rencontrer des victimes des violences et célébrer une messe dans un camp de déplacés. Pour des raisons de sécurité et de santé, ce déplacement a été annulé. Dans le nouveau programme, cette étape à l’est du pays a été supprimée.

«Ce fut une grande déception évidemment», souffle Mgr Sikuli, qui tempère toutefois. «Ce sera quand même un réconfort de le voir à Kinshasa. Nous attendons le pape depuis 37 ans et la dernière venue de Jean Paul II. Je suis certain qu’il ne manquera pas d’évoquer le défi de la sécurité et de la réconciliation dans notre région», assure-t-il.

Le pape, qui – selon l’agence I.MEDIA– tenait fermement à se rendre à Goma, a finalement insisté pour intégrer dans le deuxième programme une rencontre avec les victimes des violences du Nord-Kivu. Selon ces informations, ils devraient être une cinquantaine en tout à retrouver le pape à la nonciature de Kinshasa, des femmes violées, des hommes mutilés, des ex-enfants soldats ou travaillant dans les mines.

«Notre diocèse emmène une dizaine d’enfants dont les parents ont été égorgés devant eux. C’est un petit échantillon des 800 écoliers orphelins que le diocèse, avec des organisations caritatives», explique l’évêque. À 70 ans et après près d’un quart de siècle à la tête d’un diocèse meurtri, il espère que cette rencontre avec le successeur de Pierre sera un temps de compassion et d’espérance. (cath.ch/imedia/hl/rz)

Suite
En RDC de nombreux enfants ont été témoins d'exactions | © Photod'illustration:NazareneMissionsInternational/Flickr/CC BY 2.0
19 janvier 2023 | 17:45
par I.MEDIA

Le pape François effectuera son 40e déplacement à l’étranger depuis son élection en Afrique, du 31 janvier au 5 février 2023. Il visitera d’abord la République démocratique du Congo (RDC), atterrissant à Kinshasa le 31 janvier.

Articles