«Nous vous supplions d’aider notre peuple syrien qui souffre», lance l’archevêque d’Alep
Syrie: L’initiative de Kofi Annan est une grande source d’espoir, estime Mgr Jeanbart
Genève/Alep, 14 mai 2012 (Apic) L’initiative de Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies, pour ramener la paix et la réconciliation en Syrie, est une grande source d’espoir pour le peuple syrien, estime le métropolite Jean Clément Jeanbart, archevêque grec-catholique melkite d’Alep, la ville principale du nord-ouest de la Syrie.
De passage en Suisse la semaine dernière (*), l’archevêque de la deuxième ville du pays, située non loin de la frontière turque, a confié à l’Apic que s’il était favorable au «printemps arabe» à ses débuts, il s’oppose à la politique du pire qui verrait les fondamentalistes islamiques prendre le pouvoir et imposer leur vision étroite et intolérante à toute la société syrienne. «Malheureusement, la violence et les luttes fratricides ont fait couler beaucoup de sang, un sang qui de toute part crie vengeance, tout cela perpétré par des groupes intégristes qui rêvent d’un islam belliqueux et exclusif… Le fondamentalisme vient de prendre la relève des soulèvements populaires, dans le monde arabe en général, et en Syrie en particulier».
Des groupes radicaux et fondamentalistes du type d’Al-Qaïda se sont introduits dans le pays «avec leurs idéaux de guerre religieuse et leurs méthodes qui relèvent d’un terrorisme systématique effroyable», affirme Mgr Jeanbart, qui est également visiteur apostolique de la diaspora grecque-melkite catholique en Europe occidentale, une communauté de près de 25’000 âmes.
Un appel au secours lancé par l’Eglise
«Nous prions jour et nuit pour que l’initiative de Kofi Annan réussisse, et nous vous supplions d’aider notre peuple syrien qui souffre, en l’appuyant par tous les moyens, et notamment en communiquant aux gouvernements et aux instances que vous représentez, l’appel ’Au secours !’ que vous lance l’Eglise, au nom des chrétiens et de tous les citoyens de ce pauvre pays au bord de la catastrophe !»
Bien que critique à l’égard de la dureté du régime en place à Damas, de la dictature du parti unique et de la corruption de certains de ses cadres, le métropolite Jeanbart souhaite une évolution progressive. Une chute brutale du système serait fatale pour les minorités religieuses, estime-t-il. Il redoute une évolution à l’irakienne, où le renversement de la dictature de Saddam Hussein a entraîné la fuite de la majorité des chrétiens du pays.
Un système de type dictatorial
«Vos pays peuvent empêcher les livraisons des instruments de la mort, arrêter les instigations à la violence et faire pression sur les uns et les autres, pour dialoguer et trouver une voie d’entente et de réconciliation, seule vraie victoire qui puisse mener à la paix et à la concorde», supplie-t-il. Il reconnaît que les populations du Moyen-Orient ne sont pas habituées à un modèle de démocratie non confessionnelle et respectueuse des droits fondamentaux des minorités, et que le régime syrien «n’a pas toutes les vertus de la démocratie». L’autoritarisme de l’Etat a restreint les marges des libertés politiques des citoyens, «mais, grâce à Dieu et au printemps arabe, des réformes ont été décrétées et une nouvelle constitution plébiscitée le 26 février dernier, pour éradiquer le dirigisme et la dictature du Parti unique, et libérer les choix politiques des citoyens».
Si le régime syrien, «laïc et non confessionnel dans son ensemble», garantit le respect de la religion, «qui est privilégiée dans le pays et à tous les échelons», son dirigisme a produit un système «qui avait une forme bel et bien dictatoriale, à l’image de certains pays de l’Est».
Malgré tout, affirme Mgr Jeanbart, «on peut dire qu’en Syrie, un chrétien a les mêmes droits qu’un musulman. Il peut accéder, de même que les femmes, aux plus hautes responsabilités politiques et civiles. L’Eglise est respectée comme la Mosquée, et les cultes sont favorisés indistinctement. A quelques exceptions près, les enfants fréquentent les mêmes écoles et vont continuer leurs études dans les mêmes universités. Ils sont enrôlés ensemble pour faire leur service militaire ou s’engager dans les forces de l’ordre».
Jusqu’à maintenant, les chrétiens se sentaient bien en Syrie
La fonction publique autant que les postes à responsabilités dans les administrations, poursuit Mgr Jeanbart, sont ouverts aux uns et aux autres. «Les chrétiens peuvent jouir de tous les avantages sociaux au même titre que les musulmans. L’Etat accorde certains privilèges aux différentes communautés religieuses, aux Mosquées et aux Eglises. Les hommes de religion sont dispensés du service militaire, les maisons de culte ne paient ni l’eau, ni l’électricité, leurs biens fonciers et immobiliers sont exonérés des taxes et un espace important est laissé aux Tribunaux ecclésiastiques pour juger dans le cadre des statuts personnels reconnus de chaque communauté».
Le métropolite d’Alep souligne que les fidèles de son Eglise «se sentent bien en Syrie et jouissent de leurs droits autant que leurs concitoyens musulmans, sans discrimination institutionnelle notable».
Oui aux réformes, non à un régime islamiste fondamentaliste
Cependant, la montée du confessionnalisme dans la région est indéniable, note-t-il. Elle a surtout pris de l’ampleur avec la guerre civile au Liban en 1976, puis avec l’émergence de mouvements islamistes salafistes et fondamentalistes, alimentés par les deux guerres du Golfe et leurs retombées dramatique. «Tout ceci a suscité un regain d’identité confessionnelle et a attisé les sentiments d’appartenance communautaire partisane chez beaucoup de musulmans. L’amitié confiante et la convivialité interreligieuse s’en sont fortement ressenties dans différents milieux, au détriment de la tranquillité des chrétiens».
Ces derniers craignent désormais le pire, en raison des multiples manifestations de l’intégrisme religieux et «de la vague fondamentaliste qui atteint un certain nombre de musulmans». Ce fondamentalisme provoque, chez certains individus, «des gestes maladroits parfois violents, qui enveniment l’atmosphère de confiance mutuelle et de convivialité qui doit être la marque d’une société civile multiconfessionnelle».
Faire face au désastre annoncé
Les chrétiens, en Syrie, se trouvent face au défi le plus important de leur histoire. «C’est une question ’de vie ou de mort’», souligne Mgr Jeanbart, en citant le titre de l’ouvrage «Vie et mort des chrétiens d’Orient», écrit par Jean-Pierre Valognes, il y a bientôt deux décennies. «C’est un danger certain, mais ce n’est pas pour autant une fatalité, ne serait-ce que parce que nous en sommes de plus en plus conscients, et qu’un bon nombre de responsables et de chrétiens laïcs engagés veulent agir pour faire face au désastre».
Les chrétiens vivent sur le territoire de la Syrie depuis saint Paul et les Apôtres. «On peut dire que la Syrie est le berceau du christianisme et, d’une certaine façon, si l’Eglise est née à Jérusalem, c’est en Syrie qu’elle a vécu ses premières années, et c’est là qu’elle a grandi et pris forme».
A Damas, saint Paul reçoit sa vocation et se convertit pour devenir l’Apôtre des Nations, souligne le métropolite d’Alep. C’est à Antioche que les premiers disciples du Christ ont reçu le nom de ’chrétiens’. «Dès le début du 7e siècle, l’ensemble de la population syrienne aurait embrassé le christianisme. Cette Eglise a donné à l’humanité des saints illustres, des martyrs, des papes et des docteurs. Elle joua un rôle considérable dans l’évolution du christianisme que nous connaissons aujourd’hui».
Face à l’émigration qui saigne sa communauté depuis des décennies, le métropolite d’Alep déplore que certains, en Occident, aient proposé «généreusement» d’accueillir les chrétiens de Syrie et du Moyen-Orient. «Cette solution déracine les chrétiens et en fait des réfugiés. Elle prive le pays de leur présence, de leur apport et du témoignage porté par la convivialité fraternelle entre l’islam et le christianisme. Cette éventualité malheureuse donnerait un coup de grâce aux chrétiens d’Orient, déjà affaiblis. L’Orient qui a vu naître le christianisme serait vidé de ses fidèles, descendants des premiers chrétiens baptisés par les Apôtres eux-mêmes».
Mgr Jeanbart demande ainsi que l’on ne les traite pas «comme un reliquat du passé ou un phénomène éphémère de l’histoire». «Nous sommes bel et bien vivants et ce que nous attendons de nos frères d’Occident, ce n’est pas tant leur aide matérielle, mais plutôt leur compréhension, leur sympathie et leur soutien moral!» JB