Abbé Pascal Lukadi – Chapelle de Glace, Leysin, VD
« Aimez vos ennemis, souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent ».
Hier comme aujourd’hui, ces paroles de Jésus qui retentissent sous le ciel de Galilée nous interpellent, nous bouleversent et même nous contrarient énormément ! Non seulement Jésus nous déclare heureux lorsque nous pleurons ou lorsque nous sommes persécutés (Evangile du dimanche dernier) quitte à regarder vers le Ciel d’où nous vient le secours, mais encore il nous demande aujourd’hui l’impossible : aimer nos ennemis ! Oui, impossible pour l’homme seul c’est un fait, mais pas pour l’homme habité par l’Esprit de Dieu. C’est pourquoi je pense parler du dimanche de l’impossible possible.
Le discours qui ouvre la prédication de Jésus sur la montagne tel que rapporté par l’évangéliste Luc en ce 7ème dimanche du temps Ordinaire insiste sur la Loi de la charité : l’amour des ennemis, l’entraide, le pardon. Il érige ainsi en loi une vertu qu’avaient déjà pratiquée les meilleurs parmi les hommes du passé. Nous le verrons avec David, le futur roi d’Israël.
Cet amour d’agapè que nous demande Jésus ne concerne ni l’affect, ni les émotions, ni même les sentiments. Comment pourrions-nous être attachés aux êtres qui nous veulent du mal ? Cet amour que nous demande Jésus prend sa source dans le Père, il est donc toujours déjà donné, toujours déjà reçu, avant même que nous puissions aimer à notre tour.
L’impossible nous est proposé
En ce dimanche, c’est l’impossible qui nous est proposé : aimer vraiment, aimer au-delà de nos limites humaines, et par exemple aimer ceux qui ne nous aiment pas ! Impossible à vue humaine, certes, impossible à vie humaine. Mais le Dieu de Jésus est celui de tous les possibles, sa Vie qu’il donne à foison déborde nos limites. Alors peut-être, si nous nous laissons aimer par ce Dieu-là, qui nous a aimés jusqu’à mourir sur une croix, pourrons-nous goûter une paix intérieure qui nous permette d’aimer l’autre, tout autre, sans calculer, simplement parce qu’il est notre frère, notre sœur, enfant d’un même Père.
Voici un exemple, mieux un témoignage : Jésus l’ réalisé !
Dans Jean 13, 34, Jésus, après avoir lavé les pieds à ses disciples, nous dit : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Le « comme » du commandement nouveau que nous donne Jésus au soir de sa vie explique tout, il rend possible l’impossible, c’est un « comme » de fondement. C’est bien parce que Jésus nous aime le premier que nous pouvons à notre tour aimer, parce que son amour nous remplit, qu’il déborde de nous-mêmes pour toucher d’autres frères et sœurs, amis ou ennemis. C’est par son Esprit que nous pouvons aimer ainsi, sans juger, sans être troublé, mais peut-être faut-il toute l’épaisseur d’une vie pour parvenir en paix à faire ainsi.
Une puissance d’amour qui vient du Père
C’est ainsi que Paul nous présente Jésus comme le Chef d’une humanité nouvelle, vivant pour Dieu, le nouvel Adam. Certes nous venons de la terre (Adamah en hébreu), et au fur et à mesure de notre longue histoire, nous avons appris à domestiquer notre violence native pour pouvoir vivre en société. Argile nous sommes et nous restons, mais déjà pris dans une puissance d’amour qui nous dépasse, celle qui vient du Père dans le Crucifié. Et nous naissons à nouveau !
C’est cette naissance pour Israël en tant que nation, qu’évoquent les livres historiques dont celui de Samuel que venons d’entendre en 1ère lecture de ce jour. D’abord sous forme de regroupements de tribus ou de groupes divers, puis sous forme d’une institution fédératrice, la royauté. Ce passage montre la grandeur d’âme de David, qui deviendra le second roi d’Israël : le jeune homme refuse de se venger de Saül qui, aveuglé par la jalousie, cherche pourtant à le faire mourir.
De même que nous sommes à l’image de celui qui est pétri de la terre, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel, le Christ. Pour cela, il nous faut sortir de nos certitudes, de nos sécurités, qui sont d’ailleurs éphémères et des fois illusoires, afin d’opérer en nous une métanoia, une transformation de l’être intérieur qui nous fait entrer dans la vision du Père : celle de la miséricorde, de la patience, du pardon, vecteur de la paix. L’accueil de l’autre sans jugement, un partage et un service désintéressés, la douceur et le réconfort des faibles (que nous sommes tous d’ailleurs) sont les ingrédients pour vivre en présence du Seigneur tous les jours de notre, en commençant par maintenant et pour les siècles !
7e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : 1 Samuel 26,2-23; Psaume 102; 1 Corinthiens 15, 45-49; Luc 6, 27-38