Pour Anne Seydoux-Christe le ’C’ de PDC ne doit pas être qu’une façade
Delémont, 8 septembre 2011 (Apic) Pour Anne Seydoux-Christe, être chrétien en politique impose des obligations, en particulier la défense des valeurs et le refus de l’exclusion et de la discrimination. La Conseillère aux Etats jurassienne regrette que dans son propre parti, le PDC, certains soient prêts à des concessions avec une certaine droite nationaliste et xénophobe au détriment des droits de l’homme.
L’élection au Conseil des Etats en 2007 de la Delémontaine Anne Seydoux-Christe, devant la sortante Madeleine Amgwerd, avait suscité une certaine surprise dans le Jura. Elue au Conseil de Ville de Delémont en 2001, députée depuis 2003 et candidate au gouvernement en 2006, elle n’était certes pas une inconnue, mais passait plutôt pour une outsider. Connue au départ pour son engagement dans les associations de parents d’élèves, la politicienne jurassienne préfère le travail de fond à la politique spectacle. La cohérence de son engagement passe avant le souci de se faire voir.
APIC : Quel a été votre parcours comme croyante ?
Anne Seydoux-Christe : Je suis née dans une famille catholique pratiquante à Delémont. Mon grand-père maternel chantait à l’église. J’ai été élevée dans la foi avec le parcours classique pour un enfant de l’époque: catéchisme, 1ère communion, confirmation. En 1974, à la fin de mon école secondaire, j’ai été envoyée comme interne à Fribourg au collège Ste-Croix. A cette époque, ce collège était encore sous la responsabilité des sœurs d’Ingenbohl. Mais la responsable de l’internat, Soeur Anne-Roch, était très dynamique et ouverte. Elle nous laissait faire notamment beaucoup de sport. J’ai ensuite étudié le droit à l’Université de Fribourg, mon futur mari faisant sa médecine à Berne. Nous nous sommes mariés en 1982 à la chapelle du Vorbourg à Delémont.
Les années suivantes ont été concentrées sur ma famille, avec la naissance de mes enfants en 86, 88 et 90. C’est à ce moment aussi que j’ai commencé à m’engager au niveau des parents d’élèves.
APIC : Quelle est la place de votre foi dans votre vie quotidienne ?
A. S.-C. : Ma relation à la foi reste la même, avec des périodes de doute aussi. Elle imprègne mon engagement pour la famille et pour les autres. Pour moi, ce sont les valeurs fondamentales : respect, tolérance, solidarité, attention au prochain. Je crois que nous ne pouvons pas laisser des personnes au bord du chemin.
APIC : Au moment du choix de vos études et de votre profession, vous avez opté pour le droit. Pourquoi ?
A. S.-C. : Le choix du droit s’est imposé par tradition familiale. Mon grand-père et mon père étaient avocats-notaires. Pour moi, comme pour eux, le droit est avant tout au service de la vie en commun. Il imprègne toute la société, marque toutes les étapes de la vie. Il doit servir à aider les autres dans les problèmes du quotidien. Il ne s’agit pas d’une discipline aride et technique, mais d’une pratique ancrée dans la vie. J’aime bien aussi l’aspect du débat et de la joute oratoire, même si, pour des raisons de famille et de santé, je n’ai pas passé mon brevet d’avocate.
APIC: Avec ce parcours et cette vision du monde, vous étiez destinée à la politique.
A.S.-C. : Je me suis engagée d’abord dans l’association des parents d’élèves, mais j’ai senti bientôt l’envie d’aller plus loin. Comme parents d’élèves, nous étions certes consultés, mais nous n’avions pas de pouvoir de décision. En outre, ces années étaient celles de la naissance du canton du Jura, avec une certaine effervescence politique que j’ai suivie avec beaucoup d’intérêt. Par ma famille, j’avais un accès privilégié au monde politique et j’en connaissais aussi les mauvais côtés, avec les querelles de personnes ou les petits arrangements. Le choix du PDC était assez évident. Il y avait la tradition familiale et le fait que le PDC était chrétien et séparatiste alors que le PLR était laïc et pro-bernois.
APIC : Etes-vous plutôt une chrétienne en politique ou une politicienne chrétienne ?
A.S.-C. : Je dirais chrétienne en politique. Des chrétiens en politique, il n’y en a d’ailleurs pas qu’au PDC. Cela impose des obligations pour la défense des valeurs et le refus de l’exclusion et de la discrimination. C’est le sens notamment de mon engagement comme co-présidente du groupe parlementaire pour les droits humains. C’était une évidence dans le climat actuel, en Suisse et en Europe.
APIC: Eprouvez-vous des difficultés à concilier cet engagement religieux et l’engagement politique ?
A.S.-C. : J’essaie d’être cohérente avec ce que je crois. Si je suis convaincue d’une position, je la défends jusqu’au bout. Il peut y avoir des difficultés, par exemple dans les assurances sociales où on ne peut pas être toujours plus généreux et où il faut faire des compromis face aux réalités financières ou politiques.
APIC: Vous est-il déjà arrivé que ces engagements s’opposent ?
A.S.-C. : Sur la question de la procréation médicalement assistée, je ne suis pas dans la ligne catholique-romaine. En tant qu’épouse d’un gynécologue, je suis favorable au progrès technique dans la mesure où il permet à des couples en souffrance d’avoir des enfants. Je suis favorable de même au diagnostic préimplantatoire (DPI) afin d’éviter la transmission de handicaps ou de maladies graves, plutôt que de recourir plus tard à l’avortement. La peur de voir se développer l’eugénisme est à mon avis infondée, le corps médical ayant une conscience éthique. La solution proposée par le Conseil fédéral reste très restrictive. Lorsque, confronté à un réel problème de handicap ou de risque de perte d’un enfant, un couple ne souhaite pas que cela se reproduise pour un prochain enfant, je ne peux que leur témoigner de l’empathie. Et me dire qu’il est préférable d’éviter des souffrances inutiles, si on peut le faire.
APIC: Sur les questions de droits de l’homme, vous n’avez pas hésité à prendre position contre votre propre parti ?
A. S.-C. : Notre Constitution fédérale protège les droits fondamentaux des personnes et la Suisse a adhéré à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). L’initiative sur l’interdiction de la construction des minarets, comme celle sur l’expulsion des étrangers criminels portent très clairement atteinte à ces droits. J’ai défendu au Parlement l’invalidation de ces deux initiatives. En soutenant le contre-projet du Conseil fédéral sur l’expulsion des criminels étrangers, le PDC a manqué de courage. On ne peut pas transiger ni faire de compromis sur de tels sujets. J’appelle de mes vœux la création d’une Cour constitutionnelle en Suisse, car les Chambres fédérales ont très clairement montré leurs limites dans ce domaine.
Lorsque l’UDC ose envisager que la Suisse se retire de la CEDH, je pense que c’est très grave. On ne peut pas prétendre que la démocratie directe suffise à garantir les droits de l’homme. Le type d’affiches que l’on voit sur nos murs rappelle fâcheusement le climat des années 30, et le pire, c’est que l’on s’y accoutume.
Au sein du PDC, certains pensent qu’il ne faut pas contrarier l’UDC, mais j’estime qu’il faut se positionner sur nos valeurs, quitte à perdre des sièges. J’aimerais que le PDC soit plus clair sur ces questions. Je pense qu’il faut abandonner les mythes sur le «peuple» qui a toujours raison et la démocratie «directe», dont on abuse, auxquels certains veulent encore faire croire, mais qui ne correspondent pas à la réalité de la Suisse actuelle. Pour moi, le ’C’ de PDC n’est pas seulement une façade, mais un engagement profond et une volonté de défendre ces valeurs.
APIC: Sur la base des paroles du Christ, certains estiment que les chrétiens «ne sont pas de ce monde». Doivent-ils alors s’abstenir de la politique, ou au contraire y sont-ils particulièrement appelés ?
A.S.-C. : Le chrétien ne peut pas s’abstenir de l’engagement. Il doit s’impliquer dans la vie sociale, le bénévolat, les associations ou le domaine politique. Je déplore que la politique soit de plus en plus polarisée et de plus en plus médiatisée, autour d’effets d’annonce et de petites phrases. Et donne beaucoup dans les attaques personnelles, à l’exemple de journaux alémaniques comme la ’Weltwoche’. Je pense que c’est un obstacle pour l’engagement des femmes en politique. Les femmes ont davantage l’habitude de gérer les conflits et de chercher des solutions dans l’intérêt du groupe. Ce qui par ailleurs est aussi un aspect typiquement chrétien.
APIC : Quelle est à vos yeux la place de la religion sous la coupole fédérale ?
A.S.-C.: Elle me semble assez faible. Elle ne sert guère à l’heure actuelle de cadre de référence. Nous avons eu une législature mouvementée, avec pas mal de crises. Nous avons été très loin dans l’individualisme et le libéralisme. On commence à en voir les limites. A mon avis, la solution à ces crises passe par un retour à des bases plus solides. Il s’agit de définir et de mettre en place un cadre pour protéger les personnes. Une prise de conscience existe, mais il faut davantage penser aux intérêts de l’ensemble et pas seulement à ceux des groupes particuliers.
Sexe : Féminin
Etat civil : Mariée, 3 enfants adultes
Profession : Juriste
Eglise: Catholique-romaine
Parcours politique: Conseillère de Ville à Delémont, députée au Parlement jurassien, Conseillère aux Etats
Fonction politique: Conseillère aux Etats
Une figure qui l’inspire: La femme politique française Simone Weil, pour son courage, sa volonté d’aller de l’avant et sa cohérence
Un verset / une phrase qui l’inspire: Je ne fonctionne pas comme cela. C’est trop réducteur. Mais si j’avais une devise, le mot cohérence y figurerait certainement.
Bébé médicament : La question est mal posée. Certains parlent de «bébé espoir» ou de «bébé sauveur». Tout enfant est d’abord désiré et aimé pour lui-même. Dans la mesure où les intérêts et les droits de l’enfant sont protégés, il n’est pas impensable éthiquement d’imaginer un don de matériel biologique en faveur d’un frère ou d’une sœur malade.
Les minarets: Je me suis battue contre l’interdiction des minarets, qui est discriminatoire.
Les centrales nucléaires: Pour un abandon progressif, jusqu à la fin de la durée de vie des centrales actuelles.
0,7% du PNB pour l’aide au développement: Pour. Je me suis engagée au Parlement, où nous avons réussi finalement à obtenir 0,5%.
La révision de la loi sur l’assurance-chômage adoptée en septembre 2010 : Pour, avec certaines réserves. Il faut pérenniser cette assurance. Mais il faut aussi voir les conséquences sur les personnes en difficulté. Il faudra probablement rectifier le tir sur certains points
Des photos d’Anne Seydoux Christe sont disponibles auprès de l’agence apic : apic@kipa-apic.ch au prix de 80.– francs la première et 60.– francs les suivantes
(apic/mp)
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