«C’est l’Etat qui favorise cette violence…»

Brésil: Les assassinats de militants écologistes sont de plus en plus fréquents en Amazonie

Amazonie, 26 juillet 2011 (Apic) Avocat de la Commission pastorale de la terre (CPT) et membre de la Commission des Droits de l’Homme au sein de l’Ordre des avocats du Brésil, José Batista Gonçalves Afonso, fait le point sur la violence dont sont victimes les militants écologistes en Amazonie. Une violence favorisée, selon lui, par la politique de croissance menée par le gouvernement.

L’image a été diffusée en boucle sur toutes les chaînes brésiliennes. Au pied d’un châtaignier, près d’une moto renversée, deux corps inertes gisent face contre terre. Le 24 mai dernier, à 7h30, à 45 km de la commune de Nova Ipixuna, dans l’état du Para, au cœur de l’Amazonie brésilienne, José Claudio Ribeiro da Silva, 52 ans, et son épouse Maria do Espirito Santo da Silva, 51 ans, deux militants écologistes, étaient assassinés par deux hommes armés. Leur tort? Avoir dénoncé sans relâche la déforestation sauvage dans la région.

Pour José Batista Gonçalves Afonso, avocat de la CPT, ce double meurtre n’est malheureusement pas une surprise. Le couple Ribeiro avait en effet reçu de nombreuses menaces de mort et se savait en danger. Comme pour Dorothy Stang, la religieuse américaine, abattue en février 2005, le crime semble avoir été commandité. Pour preuve, les assassins ont sectionné l’oreille droite de José Claudio Ribeiro da Silva. Comme s’il s’agissait d’un «trophée». Pour l’Apic, José Batista fait le point sur cette violence dont sont victimes les militants écologistes.

Apic: Deux mois après l’assassinat de José Claudio Ribeiro da Silva et de Maria do Espirito Santo da Silva, où en est l’enquête?

José Batista: Le 20 juillet dernier, la police civile de l’état du Para a rendu les conclusions de ses investigations. Elle a désigné le fazendeiro José Rodrigues Moreira, comme le commanditaire du double meurtre, et a communiqué les noms des deux pistoleiros qui ont assassiné les militants. Il s’agit de Lindon Jonhson Silva Rocha, le propre frère de José Rodrigues Moreira, et d’Alberto Lopes do Nascimento. Mais malgré la demande d’emprisonnement temporaire formulée par la police, le juge Murilo Lemos Simao, de la quatrième chambre pénale de Maraba, n’a pas donné suite à cette requête. Cette décision, en plus de faciliter une possible disparition des trois suspects, représente une menace sévère pour les témoins. Elle constitue surtout une preuve supplémentaire de l’impunité dont bénéficient les grands propriétaires et forestiers illégaux de la région.

Apic: Les assassinats de ces deux militants vous ont-ils surpris?

José Batista: Malheureusement, non. Les menaces de mort, tentatives d’assassinat et homicides sont hélas devenus fréquents dans cette région du Brésil. Mais ils sont avant tout le résultat d’une politique de l’Etat brésilien qui favorise, depuis de nombreuses années, un modèle de développement de l’agrobusiness. En fait, le gouvernement n’a jamais vraiment cherché à s’opposer aux intérêts des grands propriétaires ni à la l’occupation illégale des terres publiques. Il en résulte un climat de violence, qui est désormais ancré dans la vie quotidienne de tous les militants, en particulier en Amazonie.

Apic: Comment l’Etat du Para et la région Amazonienne sont-ils devenus les plus violents du Brésil?

José Batista: Le relevé fait chaque année par la CPT sur le thème des conflits agraires démontre que les indices les plus importants de violation des Droits de l’Homme sont concentrés dans une région formée par les Etats du Para, du Tocantins, du Maranhao, du Mato Grosso et du Rondônia. C’est sur cet «arc amazonien» que progresse en effet le plus fortement l’agrobusiness. Et c’est aussi là que sont enregistrés les plus forts taux de conflits agraires et de violation des Droits de l’Homme, dans le monde rural au Brésil. C’est également sur cet arc que les investissements des grandes entreprises privées multinationales en Amazonie sont les plus importants. Mais cela ne pourrait pas être ainsi sans l’existence de politiques incitatives de la part du gouvernement. C’est donc bien en partie grâce à la politique de développement, – notamment la Politique d’Accélération de la Croissance (PAC) – menée par le gouvernement, que la situation est devenue si tendue.

Apic: Ce double assassinat a eu lieu le jour même de l’approbation par le gouvernement du «Nouveau Code Forestier», largement favorable à l’agrobusiness et aux exploitants forestiers. Doit-on y voir un symbole?

José Batista: Je ne crois pas que ces homicides ont été prémédités à ce point. Mais le climat d’impunité qui existe est bien réel. Le «Nouveau Code Forestier» constitue bien entendu un facteur supplémentaire en ce qui concerne l’accroissement de la violence. Mais ce dernier fait partie d’un ensemble de politiques publiques, dont l’objectif est d’exploiter toutes les richesses de la région. C’est dans ce sens que sont également initiés les grands projets, tels que les complexes hydroélectriques, les ports, etc. Ces mégaprojets, tout comme le «Nouveau Code Forestier», sont possibles grâce à une flexibilité de la législation sur l’environnement. Elle ouvre la porte à l’expansion de l’agrobusiness et à l’exploitation des ressources naturelles de la région.

Apic: Et pourtant, le Brésil cherche à donner au reste du monde l’image d’un pays qui protège son environnement…

José Batista: Il y a effectivement une double attitude du gouvernement. D’un côté, les politiques publiques sont largement orientées vers une exploitation à outrance des richesses naturelles de l’Amazonie. De l’autre, il y a une volonté de montrer l’image d’un pays respectueux de l’environnement, en valorisant notamment le travail de traque des forestiers illégaux par les fonctionnaires de l’Institut Brésilien de l’Environnement (IBAMA). Mais ces derniers manquent cruellement de moyens pour être réellement efficaces.

Apic: Doit-on en conclure que la violence va perdurer?

José Batista: Il faut malheureusement s’y préparer et on peut être inquiet pour les dizaines de leaders de mouvements ruraux, qui sont aujourd’hui menacés de morts au Brésil. Car la politique de Dilma Rousseff, l’actuelle présidente du Brésil, est dans la droite ligne de celle menée par son prédécesseur Lula. Seule la mobilisation des mouvements sociaux, avec l’appui de la Communauté internationale, pourra mettre un frein à cette situation et à ce climat de violence. (apic/jcg/nd)

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