L’ONG catholique dans le collimateur des milieux conservateurs

Québec: Des intellectuels montent en ligne pour défendre «Développement et Paix»

Montréal, 13 juin 2011 (Apic) Vilipendé par les milieux «pour la vie» américains et canadiens, notamment «LifeSiteNews» et la Campagne «Québec-Vie», relayés par des évêques conservateurs, l’organisme catholique «Développement et Paix» (D&P) déchaîne toujours les passions dans les milieux catholiques canadiens.

Cette «Action de Carême» fondée en 1967 par les évêques canadiens, dans la foulée du Concile Vatican II, est en crise récurrente depuis 2009. La raison officielle invoquée par ses détracteurs acharnés: le choix des partenaires de D&P à l’étranger.

L’œuvre d’entraide serait coupable – selon eux – d’allouer des subventions à des projets liés à la promotion de l’avortement. Visé: le Centre mexicain pour la défense des droits humains (ProDH), dirigé par les jésuites. Le Centre ProDH est spécialisé dans la défense légale des autochtones et des paysans mexicains, qui figurent parmi les groupes les plus vulnérables au pays. Ces allégations ont été démenties par une commission d’enquête envoyée au Mexique par la Conférence épiscopale canadienne. (*)

Crainte de la montée du conservatisme

Une bonne quarantaine d’intellectuels québécois ont apporté publiquement la semaine dernière leur appui à cet organisme catholique. Dans une lettre ouverte, ils fustigent «la nouvelle mais très conservatrice politique de coopération avec le Sud qui prend forme» au sein de l’organisme. Ils la qualifient d’ «inacceptable». Les noms de Gérald Larose et de Gregory Baum figurent parmi les 42 signataires. Bien que les signatures proviennent de plusieurs Facultés réparties dans diverses Universités du Québec, on n’y retrouve aucun nom de professeur actuellement en poste dans une Faculté de théologie. Seulement trois signataires sont théologiens: G. Baum, René Lachapelle et Florent Villeneuve.

Aucun signataire ne provient des Facultés de théologie des Universités de Montréal, de Laval, de Sherbrooke ou de Saint-Paul. Idem pour l’Institut de pastorale des Dominicains, ou encore le Grand Séminaire de Montréal.

Les signataires s’inquiètent que le travail de D&P et d’autres organisations de coopération internationale (OCI) ne soit «gravement compromis par la montée au Canada d’un fort courant conservateur tant au plan politique que religieux». Dans leurs reproches, ces intellectuels dénoncent autant la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) que la direction de D&P.

A la première, ils reprochent «la remise en question du caractère de mouvement démocratique de l’organisme au bénéfice d’une structure d’intervention et de contrôle direct de la CECC». A la seconde, ils déplorent «le choix de la haute direction de l’organisation de maintenir secret le débat en cours, comme si ›Développement et Paix’ était un groupe privé et non une association présente dans l’espace public et bénéficiant de financements multiples provenant de la population québécoise et canadienne».

Pour la première fois dans le débat, l’affaire D&P est directement rattachée aux luttes de pouvoir et aux coupures budgétaires qui ont caractérisé la vie d’autres organisations canadiennes depuis les trois dernières années, dont «Droits et démocratie», «Kairos» et «Alternatives». Les 42 scientifiques annoncent à la fin de leur lettre qu’ils ont créé un collectif de recherche sur la coopération internationale en soutien à D&P et à d’autres OCI menacées.

De son côté, D&P rappelle, dans une lettre du 18 mai signée par son président Ronald Breau et son directeur général Michael Casey, que le mandat reçu par «Développement et Paix» à sa fondation en 1967 est d’appuyer des programmes de développement mis en place par des gens du Sud, sans égard à leurs convictions religieuses. «Bien que nous ayons souvent travaillé et continuons de bénéficier de relations proches avec des organisations de l’Eglise catholique autour du monde, l’affiliation religieuse n’a jamais été un critère d’acceptation des projets qui sont présentés à D&P».

Des évêques «pas très heureux» de la campagne contre leur organisme

C’est suite aux informations demandées par l’archevêché d’Ottawa à l’Eglise du Mexique – qui indiquait «qu’elle avait encore de sérieuses préoccupations quant au travail du Centre ProDH» – que les responsables de D&P ont décidé de cesser le partenariat avec le centre jésuite, avec lequel l’ONG catholique canadienne maintenait «des liens étroits (…) depuis 1995». Notons que deux évêques siègent actuellement au Conseil national de D&P, Mgr Claude Champagne, évêque d’Edmundston, et Mgr Richard Grecco, évêque de Charlottetown. Cette instance administrative de l’organisme comprend 23 membres, dont 21 sont des laïcs élus à travers le Canada.

Mgr Champagne souligne que les évêques canadiens ne sont pas très heureux de la qualité de certaines interventions de groupes (les détracteurs de D&P) qui n’ont pas de liens officiels avec les évêques. «Il s’agit d’initiatives personnelles qui n’ont rien d’officielles. Mais elles peuvent avoir un impact sur les fidèles ! Sur ›Carême de partage’ par exemple, ça peut faire mal», a-t-il déclaré en faisant référence à la grande campagne annuelle de collecte de dons pour D&P qui a lieu chaque année dans les quarante jours avant Pâques.

(*) Suite aux attaques des milieux conservateurs contre le Centre mexicain pour la défense des droits humains (ProDH), accusé d’avoir eu des liens avec des groupes pro-avortement, la Conférence épiscopale canadienne avait créé un Comité d’enquête pour examiner ces allégations, composé de plusieurs évêques. Trois représentants de D&P étaient aussi présents pour aider au bon déroulement de la visite au Mexique et faciliter les rencontres avec les divers intervenants. Le Comité d’enquête de la CECC a, en juin 2009, rendu public son rapport, et a rejeté les allégations et accusations portées contre D&P. Les subventions de l’organisme de l’épiscopat canadien n’ont pas servi à des projets reliés à la promotion de l’avortement. Mais ce rapport n’a pas calmé les esprits: Mgr Terrence Prendergast, archevêque d’Ottawa, a fait annuler les conférences du Père jésuite mexicain Luis Arriaga, directeur du ProDH, que D&P avait invité comme hôte de sa dernière campagne «Carême de partage». (apic/rvm/be)

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