Une pastorale pour le plus vieux métier du monde
Salvador de Bahia, 2 avril 2011 (Apic) Implantée depuis l’an 2000 à Salvador de Bahia, au Brésil, la Pastorale de la Femme Marginalisée (PMM) accueille des femmes en situation de prostitution. Avec un objectif: les aider à prendre leur destin en main. Un travail de libération et de reconstruction appuyé par la Congrégation espagnole des Sœurs Oblates, auquel participent religieuses, laïcs et animateurs sociaux. (*)
Les visages marqués par des années de vie difficile sont concentrés mais visiblement détendus. Arque-boutées sur leur rectangle de toile, Camilla, Daiane, Daren et quelques autres femmes travaillant dans le Pelourinho, le quartier historique de Salvador de Bahia, au nord-est du Brésil, sont venues participer à l’atelier de peinture proposé chaque mercredi après-midi par Gerson Melo, l’animateur.
Enormes cœurs souriants ouvrant les bras, arbres chargés de fruits, fleurs aux couleurs vives… Les créations sont libres, mais répondent à une demande précise. «Le thème proposé aujourd’hui est la notion d’espace délimité, explique cet artiste peintre de formation. L’idée consiste à composer une œuvre où différentes couleurs doivent cohabiter sans se mélanger. L’objectif final de cette création, combinée à des conversations informelles, est de faire prendre conscience à ces femmes qu’il y a un espace délimité, une différence entre les circonstances qui les ont amenées à exercer le ›plus vieux métier du monde’ et ce qu’elles peuvent construire aujourd’hui, en prenant conscience qu’elles sont maîtres de leur destin».
Bienvenue au «Projet Força Feminina» (PFF), nom donné à la Pastorale de la Femme Marginalisée de Salvador de Bahia. Implanté localement par la Congrégation espagnole des Sœurs Oblates du Saint Rédempteur (voir encadré) en 2000, le PFF possède des locaux au cœur même du quartier historique et touristique de la troisième ville la plus peuplée du pays (2,9 millions d’habitants), réputée pour être un des hauts lieux de la prostitution au Brésil.
«Le Projet Força Feminina est une institution sociale de caractère pastoral, explique Sœur Fernanda Priscila, la responsable de la Pastorale. Notre mission consiste à favoriser la promotion intégrale des femmes en situation de prostitution, de manière à collaborer au processus de prise de conscience et d’insertion citoyenne. Cette institution est imprégnée des principes de l’Evangile et nous sommes engagés dans l’humanisation et la participation des femmes dans la société».
Une mission motivée par «la foi dans la vie, la valeur de la personne humaine, la solidarité et la communion», et qui s’appuie sur une démarche pédagogique construite collectivement, inspirée des principes de l’Education Populaire, chère au fameux pédagogue brésilien Paulo Freire.
«Notre travail d’approche de divise en trois phases, explique Sœur Fernanda. La première consiste à ›draguer’ les femmes en situation de prostitution». Pour y parvenir, les membres de la Pastorale sortent en binômes composés d’un ou d’une religieuse et d’un animateur ou d’une animatrice, et vont à la rencontre des prostituées.
«Nous allons dans les bars et les rues où ces femmes travaillent, précise Sœur Fernanda. C’est une étape difficile, où il faut savoir être patient pour établir le contact. Parfois, cela peut durer plusieurs mois avant que la relation s’établisse vraiment. Il nous arrive de rester assis de longues heures avec la personne, à discuter de choses et d’autres. Ou même à ne rien dire. Mais parfois aussi, les femmes nous reconnaissent et viennent spontanément vers nous.»
Une démarche qui requiert calme et courage. Mais les résultats sont là. A force d’être «draguées», les prostituées finissent par accepter l’invitation à se rendre dans les locaux du Projet Força Feminina pour participer à différentes activités ludiques. «On entre alors dans la phase d’accueil».
Les activités sont variées et répondent toutes à la même logique. «Elles sont là pour se détendre et oublier un temps la réalité de leur quotidien, assure Gerson Melo. Peu à peu, nous cherchons à convaincre les nouvelles venues de venir régulièrement à ces activités, puis de passer aux ateliers ›qualifiant’, permettant de transformer une pratique ludique en une démarche de formation».
Ainsi Camila, manifestement douée pour peindre et dessiner des fleurs de toutes les couleurs et de toutes les formes, est sollicitée pour venir à l’atelier du matin et appendre la peinture sur céramique. Objectif ? «Démontrer à ces femmes qu’une activité, au départ ludique, peut devenir une source de revenus». Une mission loin d’être évidente. «Le plus difficile est de leur faire admettre qu’elles sont capables de faire autre chose de leur vie, assure Gerson Melo. Car elles ont une image d’elles-mêmes extrêmement dévalorisée». A l’instar de Camila qui, sourire gêné et regard fuyant, assure ne pas pouvoir venir le matin avant de lâcher qu’elle ne se croit pas capable de gagner de l’argent avec la peinture.
Arts plastiques, musique, esthétique et coiffure, informatique, alphabétisation, textile, composition florale, cuisine… l’éventail des formations proposées répond pourtant à cette volonté d’offrir des perspectives concrètes aux quelque 250 femmes accueillies chaque année. «Notre objectif est d’atteindre la troisième phase, au cours de laquelle ces femmes vont chercher elles-mêmes à construire des alternatives à la prostitution, explique Sœur Fernanda. Nous ne sommes pas là pour les juger ni les forcer à abandonner leur activité. Nous souhaitons que cette décision soit le fruit d’une prise de conscience de leur valeur».
Une démarche en phase avec l’approche des autres membres de la Pastorale. «Nous travaillons dans une parfaite harmonie avec les religieuses, assure Rose Salvador, administratrice de la PMM et animatrice de l’atelier musique. Sans prosélytisme, ni jugement moral». Et avec un respect mutuel, notamment sur les thèmes liés à la sexualité, la contraception ou l’avortement. «Il peut y avoir des différences de convictions, reconnaît Sœur Fernanda. Mais il y accord sur l’essentiel: la vie vaut plus que tout ! «.
Cet esprit d’ouverture est visible également dans les locaux de la Pastorale. Une petite pièce y a été transformée en chapelle œcuménique, où la croix et la Bible côtoient des statuettes du candomblé, une des religions afro-brésiliennes pratiquées au Brésil. «Chacun doit pouvoir se recueillir selon ses convictions religieuses», insiste Sœur Fernanda qui, après dix années au sein de la Pastorale, admet qu’elle «croit en un Dieu beaucoup plus grand, qui ne fait pas de distinction entre les religions».
Mais la religieuse a surtout le sentiment que le travail de la Pastorale de la Femme Marginalisée s’inscrit dans une «théologie de la libération toujours bien vivante, où l’émancipation de l’individu est un souci central». Une démarche pas toujours bien comprise la hiérarchie de l’Eglise catholique, qui a tendance à raisonner de manière quantitative, déplore-t-elle.
«La question est toujours la même, sourit-elle. Combien de femmes avez-vous sorti de la prostitution ? C’est à la fois pragmatique et moraliste, car le processus de transformation et de libération de ces femmes est souvent long et chaotique». Un chemin difficile donc, mais rempli d’espérances. La preuve ? A la demande des femmes qui participaient depuis quelques temps aux activités, la Pastorale de la Femme Marginalisée a changé de nom en 2002, au profit de «Projet Força Feminina». «C’était moins péjoratif à leurs yeux, explique Sœur Fernanda. Mais surtout, cela a démontré qu’elles venaient de s’approprier le projet de la Pastorale». Et qu’elles étaient prêtes à se (re)construire.
(*) Cette présentation fait partie d’une série, chaque mois de cette année, sur l’une des pastorales particulières de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB).
(**) A la demande des prostituées accueillies par la Pastorale de la Femme Marginalisée, qui ont demandé le respect de leur anonymat, leur visage a été flouté.
La Congrégation des Sœurs Oblates du Saint Rédempteur a été créée le 2 février 1870 en Espagne par le Père José Benito Serra et la Mère Antonia. Objectif ? Accueillir et faire preuve de solidarité et de miséricorde, mais aussi lutter pour l’humanisation et la libération des femmes en situation de prostitution. La Congrégation est présente aujourd’hui dans 15 pays, répartis sur quatre continents.
Les Sœurs Oblates se sont implantées au Brésil en 1935, par le biais de sept religieuses venues créer un centre d’éducation pour des adolescentes pauvres et sans structures familiales. Au fil du temps, la Congrégation s’est développée dans plusieurs Etats du Brésil.
Actuellement, et après avoir décidé de recentrer son travail uniquement sur l’accueil des femmes en situation de prostitution à travers la Pastorale de la Femme Marginalisée, la Congrégation des Sœurs Oblates est implantée dans trois autres villes: Juazeiro (Bahia), Belo Horizonte (Minas Gerais) et Santo Amaro (Sao Paolo).
Les femmes qui y sont accueillies présentent souvent les mêmes caractéristiques, comme le démontre une étude réalisée en 2007 par la Pastorale. Ainsi, 70 % des femmes n’ont pas terminé l’école primaire. 80 % d’entre elles sont noires et proviennent de familles pauvres souffrant de la faim. Et 58% d’entre elles sont seules responsables de leurs familles et tirent l’essentiel de leurs revenus de la prostitution.
Pour mener à bien sa mission, le «Projet Força Feminina» à Salvador de Bahia dispose d’un budget annuel de près de CHF 200’000, financé à 80% par la Congrégation des Sœurs Oblates et complété par d’autres institutions publiques et privées. L’effectif de la Pastorale à Salvador de Bahia est de 14 personnes: 3 religieuses, un franciscain, un laïc et 9 salariés (animateurs, psychologue et personnel administratif). (apic/jcg/be)
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