Haïti: L’historien Damien François analyse le rôle du vaudou dans la reconstruction du pays

Une religion aux multiples fonctions

Genève, 16 janvier 2011 (Apic) Dans un ouvrage intitulé «Le Vaudou haïtien persécuté», le professeur Damien François essaie de comprendre pourquoi le vaudou résiste depuis longtemps aux attaques en tout genre. Partant du rejet de cette religion populaire des Haïtiens par les prêtres bretons installés dans l’île jusqu’au 20e siècle, l’historien haïtien garde l’espoir que le pays finira par s’en sortir, notamment par l’effet de la solidarité internationale mais aussi par les ressources de son héritage culturel.

«En tant qu’historien, je me suis intéressé au vaudou, parce que c’est la religion de la grande majorité des Haïtiens», rappelle Damien François. Pour lui, ce culte a joué un rôle fondamental dans la lutte des Haïtiens pour leur libération du système colonial. Tout en affirmant par ailleurs son appartenance catholique à part entière, le Professeur François tient à préciser qu’Haïti doit en grande partie sa naissance comme Etat indépendant au vaudou. «Le grand savant haïtien Jean-Price Mars est allé jusqu’à dire que l’indépendance d’Haïti vient du vaudou», note l’historien qui analyse cette religion en partant de la campagne de 1941-1942, qui est la plus virulente selon lui, même si elle n’a pas atteint ses objectifs. «J’ai voulu par exemple savoir les raisons qui ont poussé les prêtres bretons d’Haïti à s’attaquer au vaudou et pourquoi celui-ci, explique-t-il, a pu résister et devenir même plus fort après cette campagne.»

Une tradition au cœur du dialogue œcuménique

L’analyse de l’historien ne diffère pas de celle de la psychologue Claudine Michel. Pour cette chercheuse, haïtienne aussi, le vaudou repose sur une vision globale du monde, un système compréhensif qui façonne l’expérience humaine de ses adeptes dans leur quête spirituelle et le désir de bien remplir leur mission terrestre. «On ne doit pas oublier que la lutte des Africains de Saint-Domingue, colonie française, a conduit à la naissance de la première République noire du monde», souligne Damien François, en ajoutant que cette victoire est l’une des plus grandes conquêtes de l’Homme sur le racisme, l’esclavagisme et le colonialisme.

Selon Damien François, les anciens esclaves noirs de Saint-Domingue, devenus Haïtiens le 1er janvier 1804, ont été les premiers à mettre en application les idéaux inscrits dans les textes des Déclarations des Droits de l’Homme de 1776 et de 1789: liberté, égalité, quête du bonheur. «Et si les Haïtiens ont pu survivre comme peuple fier de ses origines malgré l’hostilité des puissances colonisatrices de l’époque, c’est en grande partie grâce au vaudou», insiste l’historien, rappelant que même feu Mgr Joseph Serge Miot, archevêque de Port-au Prince emporté par le séisme du 12 janvier 2010, s’en était rendu compte. «Le prélat accordait une place de choix au vaudou dans le dialogue œcuménique», précise le professeur Damien François.

Des intellectuels au chevet d’Haïti

Au cours de cette semaine, qui a vu une série de manifestations dédiées à la commémoration du séisme qui a frappé le pays en janvier 2010, l’historien haïtien a été très actif. Il a notamment participé au colloque intitulé «Des lendemains qui tremblent», une initiative de l’Université de Genève et de son unité spécialisée le Centre d’enseignement et de recherche en action humanitaire (CERAH).

Selon l’écrivain, des intervenants haïtiens et étrangers de très haut niveau intellectuel ont tenté avec une grande rigueur de comprendre le douloureux problème haïtien dans ses complexités historique, géopolitique, économique, sociale et religieuse. A l’heure où le peuple haïtien est confronté à des moments parmi les plus difficiles de son histoire, Damien François pense que les pistes de solutions issues de ce colloque sont porteuses d’un immense espoir: «Comme d’autres initiatives qui ont eu lieu ailleurs dans le monde, le colloque a marqué un bel élan de solidarité et de générosité des amis étrangers, particulièrement des amis suisses envers Haïti.»

Dans cette perspective, Damien François espère que la crise politique haïtienne trouvera une issue rapide, afin de permettre une amorce de la reconstruction du pays. Un espoir que l’auteur place aussi dans le génie du vaudou qui, indique-t-il, a pu résister aux attaques et au mépris arrogant du clergé de l’Eglise catholique, ainsi que d’une partie de l’élite haïtienne. «Le vaudou est une religion qui remplit des fonctions essentielles dans la vie de l’Haïtien», a conclu l’historien. (apic/dng/nd)

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