Annecy: La presse catholique planche sur les dernières crises dans l’Eglise catholique

Le «temps de l’Eglise» n’est pas le «temps des médias»

Annecy, 24 janvier 2010 (Apic) Durant deux jours, les 21 et 22 janvier, quelque 200 éditeurs, journalistes, chargés d’information et chercheurs en communication venus de toute la France (avec une poignée de participants en provenance de Suisse romande et du Québec) ont planché à Annecy sur les diverses «crises» ou «affaires» (*) qui ont marqué la vie de l’Eglise catholique en 2009. Pour constater que si le «temps de l’Eglise» n’est pas le «temps des médias», il faudrait tout de même chercher à les rapprocher.

Ces 14èmes Journées d’Etudes François de Sales avaient lieu cette année – heureuse coïncidence puisque le fameux prélat savoyard est le «saint patron des journalistes» ! – en même temps que le coup d’envoi du 400e anniversaire de l’Ordre de la Visitation fondé en 1610 par François de Sales, évêque de Genève en exil à Annecy, et Sainte Jeanne de Chantal. La Fédération Française de la Presse catholique, qui met sur pied ces traditionnelles rencontres de professionnels catholiques de la communication, s’est réjouie de l’intérêt croissant de ces journées d’études, qui ont attiré cette année plus de 200 participants.

Issus de la presse nationale, régionale et paroissiale, dont le lectorat, les lignes éditoriales et la fréquence de parution sont très divers, les participants ont eu tout loisir de réfléchir au traitement de l’actualité dans des affaires délicates où les prises de position de la hiérarchie de l’Eglise (ou, selon les circonstances, leur silence, ou leurs réactions tardives) ont pu susciter des débats très vifs dans le milieu des croyants, voire dans la société entière.

En effet, les diverses «crises» et «affaires» qui ont secoué la barque du catholicisme au niveau mondial ont libéré la parole, a souligné au cours d’une table ronde Dominique Quinio, directrice du quotidien français «La Croix». Cela s’est fait «parfois avec violence», des paroles très dures ont été échangées, on a assisté parfois même à des ›excommunications réciproques’.

Voix multiples, une seule «vérité»

«Cela révèle des problèmes de fond latents, un certain divorce entre les individus à la base et la magistère de l’Eglise !» Dominique Quinio a exprimé sa déception face à une certaine généralisation dans la critique des médias, comme celle exprimée par le cardinal André Vingt-Trois lors de la dernière assemblée plénière de printemps des évêques de France à Lourdes. Elle a regretté que cela se résumait à l’accusation des médias «un peu facile, même s’il y a eu des dérapages». Certes, admet-elle, ce ne sont pas les opinions qui vont faire «la vérité», mais le peuple qui s’exprime peut tout de même apporter à l’institution, au magistère, des manières de mieux communiquer. Le débat ne doit pas faire peur, ce n’est pas du relativisme !»

Rédacteur en chef de l’hebdomadaire «Famille Chrétienne», Samuel Pruvot a plaidé pour la «biodiversité» des médias catholiques: «Si on était toujours d’accord, ce ne serait pas bien… » Il faut du pluralisme, a-t-il souligné, avant de relever qu’il ne suffit toutefois pas d’être différents pour qu’il y ait de la qualité. Lui est d’avis qu’il existe une vérité symphonique: «Il faut La Croix, Le Figaro, La Vie, Famille Chrétienne, et sans Témoignage Chrétien, il manquerait parfois d’épices, nous sommes interdépendants les uns des autres !»

Mais pour celui qui aime à se définir comme un «recommençant», il peut y avoir de fausses notes dans cette belle symphonie. En effet, insiste-t-il, «Ii ne faut pas tricher. Ainsi, sur l’orientation sexuelle, par exemple». Dans de tels cas, s’il y a une fausse note dans la symphonie, «alors il faut sortir du concert !» Samuel Pruvot est clair: il faut garder une attitude filiale envers le pape et l’Eglise. «L’Eglise n’est pas une institution, c’est ma mère !» Sur un ton plus critique, Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de «La Vie», pense qu’il faut parfois avoir le courage de risquer une parole qui vient du cœur et pas seulement réfléchir. C’est ce qu’il a fait dans son hebdomadaire lors de l’épisode Williamson. Co-auteur avec Jean-Claude Guillebaud de «L’appel des intellectuels catholiques» qui disait « pas de négationnistes dans l’Eglise», il estime qu’il y a des moments où il faut parler, quitte à créer de la dissonance dans la symphonie.

Avoir le courage de risquer une parole qui vient du cœur

Il était nécessaire à ses yeux de rappeler que l’Eglise n’est pas antisémite, que le négationnisme n’a rien à voir avec le christianisme et que le dialogue judéo-chrétien est essentiel. Et de souligner, comme d’autres intervenants d’ailleurs, que le courrier des lecteurs de «La Vie» a montré que beaucoup de «catholiques irréprochables» exprimaient une grande souffrance face à cette affaire. «Quand le pape dit quelque chose, on est en droit de dire que l’on n’est pas d’accord sans que l’on risque d’être qualifiés de ne pas être catholiques ! »

: Au «Pèlerin», a enchaîné Anne Ponce, directrice de la rédaction de l’hebdomadaire, la béatification du pape Pie XII a provoqué de nombreuses lettres de lecteurs ne comprenant pas la pertinence de ce geste de Benoît XVI. D’un autre côté, «nos publications ne sont pas qu’un catalogue d’opinions, le public attend que nous ayons une parole, que nous prenions aussi position». Il est vrai, a-t-elle admis, qu’aborder certains sujets est vite considéré comme «illégitime» par certains lecteurs du «Pèlerin». Dans l’Eglise, c’est un fait, la diversité des opinions sur des sujets sensibles peut être mal perçue….

«Des lecteurs nous demandent, puisque les catholiques sont devenus si minoritaires dans la société, de resserrer les rangs. La tentation est forte, face à l’adversité, de se replier sur soi, de succomber aux sirènes du communautarisme, de jeter un voile sur les problèmes, comme par exemple celui des cas de pédophilie en Irlande… » C’est de fait un risque face aux attaques des médias dominants, ont reconnu d’autres intervenants, mais il ne faut pas se laisser enfermer dans ce genre de logique.

Dans son intervention, le sociologue Nicolas de Brémond d’Ars, a de son côté relevé qu’avec la ›surmédiatisation’ du pontificat de Jean Paul II, on a créé une difficulté supplémentaire dans le champ de la communication, en écrasant les corps intermédiaires dans l’Eglise. En supprimant les relais locaux, évêques et autres, on est passé directement du pape aux lecteurs, sans médiation. Il n’y a alors plus personne pour décoder le message en fonction du contexte local, avec les conséquences que l’on connaît.

Président du Centre National de Presse Catholique (CNPC), Jean-Claude Petit, journaliste et écrivain, a quant à lui constaté que « le temps de l’Eglise n’est pas celui des médias », ce qui rend plus difficile le travail des médias catholiques. Evêque de Gap et d’Embrun, dans les Hautes-Alpes, Mgr Jean-Michel di Falco Léandri, est intervenu sur le thème : «Les journalistes font-ils ou suivent-ils les opinions publiques ?». Président du Conseil pour la Communication de la Conférence des Evêques de France et de la Commission des Evêques d’Europe pour les Médias, Mgr di Falco a souhaité, suite à divers «couacs» dans la communication du Saint-Siège, que les proches collaborateurs du pape le renseignent au plus près «sur l’état de l’opinion publique dans nos pays» dans les affaires délicates comme celle de la béatification de Pie XII. Si le pape décide ainsi dans le cas du pape Pie XII, a-t-il conclu, «je lui fais confiance, il sait certainement ce qu’il y a dans les archives !» JB

(*) Affaire Williamson, du nom de cet évêque intégriste aux propos négationnistes dont le pape venait de lever l’excommunication, déclarations du pape sur le préservatif lors de son dernier voyage en Afrique, excommunication par l’archevêque de Recife de la mère et des médecins ayant décidé d’un avortement pour une fillette de neuf ans violée par son beau-père, ou encore annonce, par Benoît XVI, de déclarer «vénérable» le pape Pie XII, à qui certains milieux reprochent son silence à propos de l’extermination des juifs par les nazis.

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