Contre toute attente
Fribourg, 29 novembre 2009 (Apic) Le peuple suisse a tranché: la construction de minarets sera désormais interdite en Suisse. Cette interdiction sera inscrite dans la Constitution fédérale.
Par une majorité de 57,5 % des votants, le peuple suisse a accepté d’introduire dans la Constitution fédérale un article visant à interdire la construction de minarets sur le territoire du pays.
Après des semaines de campagne agitée, où les arguments des pro initiative reposant essentiellement sur un amalgame de facteurs entre construction de minarets, islam et extrémisme islamiste, et ceux des opposants rappelant l’importance de la cohabitation pacifique des religions et la garantie de liberté confessionnelle donnée par la Constitution, le verdict est tombé.
La majorité des cantons alémaniques a dit oui à l’initiative, à l’exception de Bâle-Ville (51,6% de non).
En Suisse Romande, les cantons de Genève (avec la plus forte proportion: 59,7% de non), Vaud (53,1%) et Neuchâtel (50,8%) l’ont rejetée. Fribourg, le Jura et la Valais l’ont par contre acceptée.
Pour la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), «L’acceptation de l’initiative populaire «Contre la construction de minarets» nuit à la cohésion de la société.» Elle trouve inadmissible que des «minorités religieuses doivent maintenant s’attendre à une inégalité de traitement.»
La Conférence des évêques suisses (CES) estime que l’acceptation de l’initiative augmente les problèmes de cohabitation entre les religions et les cultures. Elle craint que cela ne desserve encore plus la cause des chrétiens opprimés dans certains pays musulmans.
Le Conseil suisse des religions (SCR), tout en déplorant le résultat du vote, appelle au respect des libertés et au dialogue. Ce sont les valeurs qui, pour lui, rendent la Suisse forte.
Pour Amnesty International, le résultat de ce jour est «une violation de la liberté de religion, incompatible avec les conventions signées par la Suisse.»
L’initiative « Contre la construction de minarets » avait été lancée le 1er mai 2007 par le « Comité d’Egerkingen ». Elle demandait que soit ajoutée à l’article 72 de la Constitution fédérale la disposition suivante: « La construction de minarets est interdite.» L’article 72 charge la Confédération et les cantons de la responsabilité de préserver la paix religieuse en Suisse. Pour les initiants, le minaret n’est pas un bâtiment à caractère religieux. Il est, comme le dit le texte justifiant l’initiative, « le symbole d’une revendication de pouvoir politico-religieuse qui, au nom d’une dite liberté religieuse, conteste des droits fondamentaux, par exemple l’égalité de tous, aussi des deux sexes, devant la loi. Il symbolise donc une conception contraire à la Constitution et au régime légal suisse. » Les responsables de l’initiative considèrent que l’islam place la religion au-dessus de l’Etat et donne aux instructions religieuses une plus grande importance qu’au régime légal institué par l’Etat de droit. Pour eux, le minaret constitue « le symbole extérieur de cette revendication de pouvoir politico-religieuse qui remet en question certains droits fondamentaux garantis par la Constitution. L’initiative vise, toujours selon eux, à « garantir durablement en Suisse la validité illimitée du régime légal et social défini par la Constitution. Tout en affirmant que cette initiative ne restreint pas la liberté de croyance, ils veulent empêcher les tentatives «de milieux islamistes d’imposer en Suisse aussi un système légal fondé sur la charia».
Le 8 juillet 2008, le « Comité d’Egerkingen » déposait à la Chancellerie fédérale l’initiative contre la construction des minarets, munie de 114’895 signatures attestées par les communes.
Politiquement, seul le parti gouvernemental de l’Union démocratique du centre soutenait l’initiative, les autres forces siégeant dans les autorités fédérales s’y étant opposées. Les Eglises du pays, à titre individuel ou en commun, ont appelé à rejeter ce texte. De même, de nombreux mouvements de défense des droits humains ont rejeté ce texte. Les principaux arguments étaient qu’une telle interdiction était discriminatoire, qu’elle menaçait la paix confessionnelle du pays et qu’elle ne favorisait pas du tout l’intégration des musulmans à la société suisse, société par essence multiculturelle.
La campagne menée pour cette initiative a surtout été marquée par des attitudes peu dignes d’une démocratie: à plusieurs reprises, des attaques ont visé des édifices musulmans. Des placards peu recommandables ou dignes d’un régime que l’on espérait définitivement passé ont envahi les murs de certaines villes. Le manque de respect a été la principale caractéristique de cette campagne politique, marquée l’exploitation de la peur de l’autre et la confusion du musulman et de l’extrémiste islamiste.
Bernard Bovigny, Apic
«C’est la consternation. Je m’attendais à une réaction citoyenne différente face à cette question, qui n’est d’ailleurs pas prioritaire pour la Suisse aujourd’hui, si on prend l’objet de l’initiative en tant que telle. Les votants ont surtout laisser parler leur peur par rapport à ce que les initiants ont placé derrière ces quelques mots du texte de l’initiative, notamment lors des débats. Les initiants ont toujours présenté un islam qui prend le pouvoir, qui opprime, qui oppresse. On est abreuvés d’images où l’on voit des extrémistes musulmans. Il y a une peur latente chez les gens et ceux qui ont voté aujourd’hui ont plutôt laissé cette peur s’exprimer.
La suite? Il faudra voir si le nouvel article de la Constitution est vraiment applicable. Au niveau de la paix confessionnelle, j’espère que les croyants des différentes traditions qui étaient opposés à l’initiative montrent leur soutien aux 400’000 musulmans en Suisse, dont certains doivent se prendre aujourd’hui comme cibles d’un certain mécontentement.»
«Je regrette ce résultat car cela va compliquer les choses. Mais ce n’est pas la catastrophe totale, car nous avons l’avenir devant nous. Le problème de la vie commune avec les musulmans et avec les autres communautés religieuses en Suisse reste entier. Et la question demeure: comment la société civile, en Suisse, va-t-elle se construire, avec toute cette multiculturalité, cette pluralité ethnique et religieuse, … ? Dans l’immédiat, ce résultat va engendrer des réactions d’humeur, autant du côté des musulmans qu’au niveau international. Mais les réactions d’humeur ne durent en général pas longtemps. Il faut que la société suisse, les Eglises, les communautés religieuses se mettent au travail pour que le habitants de notre pays puissent vivre en semble et accepter leurs différences. Et surtout pour construire l’avenir ensemble.»
«Ma première réaction, c’est une énorme déception. On croyait que le citoyen suisse allait dire non, vu que la présence des musulmans dans ce pays depuis plusieurs décennies était assez exemplaire et que les arguments des initiants se référaient avant tout à l’extérieur du pays.
Ma deuxième réaction, c’est le respect du résultat exprimé par le souverain. C’est le résultat de la démocratie directe. Le peuple a pris une décision, il en est responsable. Les musulmans, qu’ils soient autorité ou à titre individuel, doivent respecter ce choix, sans l’agréer.
Ma troisième réaction, ce sont des reproches aux autorités fédérales qui n’ont pas fait le nécessaire pour bloquer cette initiative dès le départ en la déclarant anticonstitutionnelle au niveau de la garantie de la liberté religieuse. Et c’est là l’avis non pas de l’imam, mais d’éminents juristes. Ainsi, on aurait épargné à ce pays ce climat malsain et insidieux que nous vivons. Ce vote est aussi un message aux autorités de ce pays, pour leur dire que la présence musulmane pose de grandes interrogations, qu’il fallait régler depuis longtemps. Vous ne l’avez pas fait, vous avez laissé traîner les choses. C’est le moment, après ce vote, d’organiser et de structurer une intégration positive en vue de garantir la religion et la citoyenneté de cette partie de la population helvétique.
Quand je dis «autorités», je mets de côté les autorités religieuses. Ce sont les seules qui ont exprimé un message sans ambiguïtés par rapport à cette votation. Ils se sont déplacés dans les lieux de prière, dans nos mosquées. A travers leurs contacts, ils se sont montrés exemplaires et je les en remercient infiniment.»
(apic/bb)
«Je suis assez triste car je pense qu’on crée beaucoup de problèmes avec cette interdiction, et on n’en résout aucun. Mais nous allons poursuivre le dialogue avec les musulmans afin de mieux les intégrer dans la vie quotidienne.
Le peuple a été séduit par les messages démagogiques de peur. Mais maintenant, il faut construire avec le résultat de cette initiative et chercher à résoudre les problèmes que cela va créer. Et je souhaite que les musulmans se manifestent aussi davantage pour dire comment ils veulent vivre en Suisse» (apic/bb/js)
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