Apic dossier
A l’occasion du départ à la retraite, fin février, de l’évêque Fritz-René Müller, l’Apic consacre un important dossier à l’Eglise catholique chrétienne en Suisse. La 2e partie de ce dossier paraîtra début mars, sous la forme d’une interview du professeur émérite de l’Université de Berne, Urs Von Arx. Cet article abordera l’identité de l’Eglise «vieille catholique» et ses perspectives d’avenir, notamment dans le domaine oecuménique. BB
Apic Interview
Berne: L’évêque catholique chrétien Fritz-René Müller se retire fin février
Une Eglise en union totale avec la communauté anglicane
Bernard Bovigny / Andrea Krogmann, Apic
Berne, février 2009 (Apic) L’Eglise catholique chrétienne autorise le mariage des prêtres et l’ordination des femmes, y compris comme évêques, et s’appuie sur une structure synodale. De quoi attirer les catholiques romains déçus de leur Eglise? Pas vraiment. Tout comme les autres communautés chrétiennes, cette Eglise membre de l’Union d’Utrecht subit depuis plusieurs années une lente et régulière baisse de ses effectifs.
L’Apic a rencontré l’évêque sortant Fritz-René Müller et le théologien frais retraité Urs Von Arx pour faire le point sur la situation de l’Eglise catholique chrétienne en Suisse, sur le projet de «renouveau» et sur les perspectives d’avenir, au niveau des relations oecuméniques surtout.
C’est à Berne, au milieu des ambassades, que se trouve la centrale de l’Eglise catholique chrétienne en Suisse. Mais avant d’effectuer un parcours international, le visiteur découvre la nonciature apostolique qui trône majestueusement au début du quartier situé derrière la Thunplatz. Puis sa route, entrecoupée parfois de postes de sentinelles, l’amènera devant les ambassades d’Iran, d’Irak, et d’Italie notamment, et plusieurs somptueuses résidences d’ambassadeurs. A la hauteur de l’ambassade de Russie – à un jet de pierre de la Petruskirche réformée – se trouvent, dans une modeste bâtisse, le siège de l’évêque et le secrétariat de l’Eglise catholique chrétienne. C’est dans un milieu visiblement international et oecuménique que l’évêque Fritz-René Müller a accueilli l’Apic pour un dernier bilan avant de prendre sa retraite. Elu en 2001, il a été a été consacré évêque le 9 mai 2002. Il se retirera fin février et son successeur sera élu lors du synode national de juin.
Apic: Vous allez donc bientôt vous retirer …
Fritz-René Müller: Pas totalement. Il faut savoir que je suis aussi responsable des communautés de France et d’Italie, sur mandat de la Conférence des évêques vieux-catholiques de l’Union d’Utrecht. Et je garderai encore ces deux fonctions quelques temps. Il n’y a pas de diocèse dans ces deux pays, en raison du nombre peu élevé de fidèles. Ils ne sont que quelques centaines alors qu’il en faut au moins un millier pour former un diocèse.
Ainsi, je me rends parfois à Milan, Rome, Turin, Paris, et en Alsace. Et plus récemment au nord de la France, où une paroisse d’environ 200 personnes a voulu se joindre à la Mission vieille catholique de France.
Apic: Au niveau du nombre de fidèles, qu’en est-il en Suisse depuis quelques décennies?
FRM: Nous sommes en constante baisse, comme toutes les Eglises reconnues en Suisse, surtout du fait que notre communauté vieillit. Les départs et les conversions s’équilibrent, mais nous avons un net déficit de baptêmes par rapport aux décès, ce qui est d’ailleurs aussi le cas dans les autres Eglises chrétiennes de Suisse. Et contrairement aux Eglises catholique et orthodoxe, ce n’est pas l’immigration qui nous amène des membres.
Apic: Et les familles mixtes, dont un des conjoints est catholique chrétien et l’autre catholique romain ou réformé, quel baptême choisissent-elles pour leurs enfants?
FRM: Il y a quelques années encore, ces familles avaient tendance à baptiser leur enfant dans la communauté catholique romaine ou réformée. Cela vient du fait que les responsables de ces Eglises le demandaient. Et notre Eglise laisse davantage de «liberté de choix» du baptême. Mais cela a un peu changé car les fidèles des autres Eglises se sentent maintenant beaucoup plus libres de choisir. Et nos fidèles se sentent un peu plus engagés par rapport à leur Eglise.
Mais j’ai été confronté quelques fois, en 15 ans de ministère à Bâle, à une autre situation, très particulière. Des parents, catholique romain et réformé, n’arrivaient pas à se mettre d’accord et choisissaient finalement de baptiser leur enfant chez les catholiques chrétiens!
Apic: Au niveau financier, comment se passe l’encaissement des impôts ecclésiaux?
FRM: Nous encaissons un impôt ecclésial auprès de nos fidèles dans les cantons où notre Eglise est officiellement reconnue. Dans les autres cantons, nos membres versent librement une contribution.
Apic: L’Eglise catholique chrétienne offre ce à quoi aspirent de nombreux catholiques romains: des prêtres mariés, l’ordination des femmes, une structure synodale. Mais attire-t-elle dans ses rangs des catholiques romains déçus de leur Eglise?
FRM: Il y en a, mais peu. Je pense qu’il existe chez beaucoup de fidèles un sentiment de «patrie ecclésiale». On est né et baptisé dans une Eglise et on y reste, même si elle ne répond pas à ses attentes. Il faut beaucoup d’effort pour quitter son Eglise. Et ceux qui la quittent par déception vont rarement rejoindre une autre Eglise.
Notre liturgie est très proche de celle des catholiques romains. Et même s’ils apprécient notre liturgie, les membres des autres confessions chrétiennes auront un problème pour faire le pas. Il sera peut-être plus facile à franchir pour les réformés, qui rechercheraient une liturgie davantage «catholique» et une autre idée des sacrements, et qui retrouveraient chez nous une structure synodale. S’ajoute aussi le fait que nous sommes finalement peu connus en Suisse.
Je tiens cependant à souligner la bonne reconnaissance et les excellents contacts que nous entretenons avec les responsables des autres Eglises. Un évêque catholique romain vient chaque année à notre synode national. Et pour ma part aussi, j’apprécie aussi les relations avec les autres responsables chrétiens.
Apic: Un synode catholique chrétien se tiendra en juin prochain. Quels seront les principaux défis qu’il devra relever?
FRM: Le point le plus important de l’ordre du jour sera clairement l’élection du nouvel évêque. Un autre accent important sera mis sur la participation des jeunes. Ils y seront invités à travers les paroisses. Nous souhaitons qu’il y ait autant de jeunes entre 18 et 24 ans que de synodaux élus. Ils auront un droit total d’intervention, mais pas de vote.
Cette initiative correspond à l’idée de «renouveau» qui avait été lancée par mon prédécesseur déjà, l’évêque Hans Gerny. Je l’ai reprise à mon tour, avec comme accent l’unité spirituelle de nos communautés, ce qui est très important lorsque nous connaissons une période de diminution du nombre de fidèles et de nos finances.
Mes lettres pastorales ont toujours abordé un thème spirituel, qui a été ensuite discuté dans les paroisses. Cela a permis d’enraciner davantage nos communautés.
Lors de mon ordination, en 2002, chaque paroisse avait déposé dans une pochette un projet de renouveau à entreprendre chez elle. L’an dernier, lors de mes visites, j’ai évalué avec les paroisses ce qui a pu être renouvelé ces dernières années. Mais j’ai dû constater que parfois les forces ont manqué pour entreprendre ces projets. Beaucoup d’énergie est déjà consacrée au maintien de nos structures. Mais je me dis que le renouveau reste un processus, qui ne se termine jamais.
Nous avons pris l’initiative de convoquer un synode pastoral extraordinaire, en 2005 à Winterthur, consacré à ce processus de renouveau. Alors que le synode habituel rassemble une centaine de délégués, nous étions environ 150 participants. Cela m’a fait très plaisir qu’un tel intérêt se soit manifesté à cette occasion.
Apic: Vous avez signé, le 23 janvier 2005, la charte oecuménique européenne avec les autres responsables des Eglises chrétiennes en Suisse. Quels engagements de cette charte ont-ils fait l’objet d’une réflexion particulière ou d’une mise en application dans l’Eglise catholique chrétienne?
FRM: Sincèrement, après la signature, il ne s’est plus passé grand-chose. Ceci est d’ailleurs à constater dans presque toutes les autres Eglises, où la réception du document n’a pas débouché sur beaucoup d’initiatives. Par la suite, j’ai essayé de motiver les membres du synode à entreprendre quelque chose, mais le message n’a pas vraiment passé. Nos paroisses sont trop préoccupées par leur propre fonctionnement.
Cela dit, les engagements posés dans la charte oecuménique ne sont pas contestés. Tout le monde en est convaincu. Et si une initiative est prise dans le domaine oecuménique, tous en sont très heureux.
Il est peut-être plus facile pour les catholiques romains et les réformés d’entreprendre des réflexions, car ils ont beaucoup plus de spécialistes pour s’y atteler.
Cela dit, les relations oecuméniques ne sont pas du tout mauvaises en Suisse. Nous travaillons ensemble lorsqu’il s’agit de prendre position sur un objet de vote. De ce point de vue, l’Eglise catholique chrétienne est très reconnaissante envers les Eglises catholique romaine et réformées, qui accomplissent l’essentiel du travail de recherche et nous soumettent un projet de texte pour approbation. Il en est de même pour le matériel de Carême, réalisé par l’organisation catholique «Action de Carême» et la protestante «Pain pour le Prochain», et auquel est associée notre organisation «Etre partenaires».
Apic: Vous affirmez, dans la présentation de votre Eglise, que vous êtes en lien étroit avec les anglicans et les orthodoxes. Y a-t-il des raisons historiques à cela?
FRM: Oui. Depuis 1931, l’Union d’Utrecht, dont est membre l’Eglise catholique chrétienne de Suisse, est en pleine communion avec les Eglises anglicanes (»Accord de Bonn» ou «Bonn Agreement»). Par exemple en Suisse, je peux administrer le sacrement de confirmation aux anglicans, avec l’autorisation de leur évêque responsable. Et lors d’ordinations de prêtres et d’évêques, nous nous invitons mutuellement et participons à l’imposition des mains. En outre, les prêtres anglicans viennent recevoir chez nous les saintes huiles le Jeudi Saint.
Depuis 78 ans, nous vivons donc la pleine communion entre catholiques chrétiens et anglicans. Ceux-ci ont 12 prêtres en Suisse, dont 4 ou 5 femmes, répartis dans neuf paroisses anglicanes et une paroisse épiscopalienne.
Apic: Et d’où viennent les liens étroits que vous entretenez avec les orthodoxes?
FRM: Des accords avec les orthodoxes sont intervenus très tôt dans les Eglises de l’Union d’Utrecht, au 19e siècle déjà. Au 20e siècle, le dialogue s’est même intensifié et nous avons connu beaucoup de rapprochements, parfois avec des limites, au niveau culturel surtout.
Mais le fait que les catholiques chrétiens soient devenus plus proches des anglicans et que nous ayons autorisé l’ordination des femmes a constitué un frein à la pleine communion avec les orthodoxes, de même que notre ouverture à l’accueil des couples de même sexe. Par ailleurs, nous assistons depuis quelques décennies davantage à un rapprochement entre catholiques romains et orthodoxes. De ce fait, nos liens avec les orthodoxes se réduisent actuellement à des bons contacts et à des initiatives communes.
Concernant l’homosexualité, qui reste un thème tabou, nous considérons qu’en soi, cela n’est pas une entrave à l’ordination. Par ailleurs, les homosexuels ont une place dans la communauté. Mieux vaut finalement vivre ouvertement son attirance pour les personnes de même sexe que de demeurer cachés. A cet effet, j’ai introduit à titre expérimental un rituel de bénédiction des couples de même sexe, mais qui ne fait clairement aucune référence à un mariage. En quelques années, je sais qu’il n’a pas été utilisé en Suisse plus de 5 ou 6 fois. Mais cette ouverture a constitué une barrière dans notre relation avec les orthodoxes et les catholiques romains.
Apic: En Suisse, les baptêmes sont reconnus mutuellement entre catholiques romains, catholiques chrétiens et réformés …
FRM: Oui, bien sûr, et cela depuis plus de 30 ans.
Apic: Et maintenant, après plus de 130 ans de séparation, l’unité entre catholiques romains et chrétiens est-elle envisageable?
FRM: J’en suis intimement convaincu, mais je pense que nous devons toujours davantage cultiver le dialogue officiel. La condition d’une unité, de notre part, serait que le pape soit perçu comme l’évêque de Rome. Ou le «Primus inter pares». Nous ne pouvons pas concevoir une soumission des évêques et des Eglises nationales au pape. Cela n’est pas conforme aux principes de l’Eglise catholique des premiers siècles. C’est d’ailleurs suite à la promulgation du dogme de l’infaillibilité du pape que nous avons été forcés de nous séparer de l’Eglise catholique romaine. / BB
Encadré
«Ordonner une femme évêque pourrait causer des difficultés»
Le président ou la présidente du synode national dresse une liste de candidats évêques éligibles, qui sera soumise aux membres du synode. Pour y figurer, il faut être Suisse, prêtre et avoir moins de 70 ans.
«Le synode pourrait élire une femme, mais cela nous causerait peut-être des difficultés dans les relations oecuméniques, notamment avec les catholiques romains et les orthodoxes», affirme l’évêque Müller. «Mais nous recevons parfois des messages de catholiques romains qui nous félicitent de pouvoir élire une femme évêque».
«Lorsque le synode s’est prononcé pour l’ordination des femmes à la prêtrise, il y a eu quelques départs de déçus de notre Eglise qui ont rejoint l’Eglise catholique romaine, mais tout autant d’arrivées, dans l’autre sens, de catholiques romains qui ont trouvé chez nous ce qu’ils désiraient depuis longtemps», ajoute Fritz-René Müller.
La 141e session du Synode national de l’Eglise catholique chrétienne de Suisse aura lieu les 12 et 13 juin à Olten.
Encadré
Des Eglises rassemblées dans l’Union d’Utrecht
La proclamation du dogme de l’Infaillibilité papale en 1870 et la condamnation du Modernisme par le Ier Concile du Vatican ont choqué un grand nombre de fidèles et de prêtres, particulièrement dans les pays germaniques (Allemagne, Autriche, Suisse). Des Eglises s’y mettent en place, dans le rejet des nouvelles orientations de l’Eglise catholique romaine, à partir des réseaux déjà existants de catholiques libéraux. Dès le début, l’archevêque «vieil-épiscopal» d’Utrecht propose son assistance spirituelle et sacramentelle à ces groupes.
En septembre 1871, un congrès à Munich rassemble plus de 300 représentants de ces groupes, mais aussi des observateurs anglicans et protestants, ainsi que l’archevêque «vieil-épiscopal» d’Utrecht, Mgr Loos. Plusieurs congrès vont alors se réunir pour organiser et structurer l’Eglise. En 1874, la discipline du célibat des prêtres est abandonnée dans certaines églises et la même année, une Faculté de théologie catholique-chrétienne est fondée au sein de l’Université de Berne. L’adoption des langues vernaculaires au sein de la liturgie a lieu en 1877.
En 1889, une union de ces Églises est établie sous le nom d’Union d’Utrecht. Elle établit des liens d’intercommunion avec la Communion anglicane en 1931 par l’Accord de Bonn (Bonn Agreement), et se rapproche aussi avec d’autres groupes issus du catholicisme, mais en conflit avec le Saint-Siège, comme les Mariavites en 1909 ou l’Eglise indépendante des Philippines en 1965. (Source: Wikipédia)
Encadré
13’500 catholiques chrétiens en Suisse
L’Eglise catholique chrétienne compte 13’500 membres en Suisse, répartis en 34 paroisses. Elle s’appuie sur 28 prêtres en activité dont 4 femmes, et 6 diacres dont 4 femmes.
Environ la moitié des catholiques chrétiens vivent, pour des raisons historiques, dans les cantons d’Argovie et de Soleure. Des paroisses se trouvent également dans les cantons de Zurich, Berne, Lucerne, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Schaffhouse, Saint-Gall, Neuchâtel et Genève.
La plus grande paroisse catholique chrétienne de Suisse est celle de Möhlin, dans le canton d’Argovie. Sur 9’568 habitants, elle compte 999 catholiques chrétiens. Elle n’est cependant pas épargnée par le phénomène de baisse de ses membres: en 2000 la paroisse comptait encore 1’179 fidèles.
Encadré
Origines de l’Eglise catholique chrétienne en Suisse
L’Eglise catholique-chrétienne est reconnue par l’Etat au même titre que les Eglises catholique-romaine et protestante, relève-t-elle sur son site internet (http://www.catholique-chretien.ch). Elle s’est constituée à la suite de la protestation de catholiques libéraux contre les dogmes de l’infaillibilité papale, et surtout contre la prétention de la papauté à gérer l’Eglise catholique toute entière, ceci suite au premier Concile de 1870. Ces nouveaux dogmes, émis contre la croyance traditionnelle ont alors été rejetés.
La naissance de l’Eglise catholique-chrétienne en Suisse a été fortement liée aux disputes du «Kulturkampf». La proclamation des nouveaux dogmes, au milieu de l’évolution de l’Europe en Etats nationaux, a eu des effets politiques, qui se sont manifestés par la crainte de leurs conséquences dans la vie publique et les relations entre Eglises et Etat. Suite à cette résistance, les opposants ont été excommuniés. Ils ont été contraints dès 1872 à créer une organisation ecclésiastique propre pour assurer la continuité de l’Eglise dans le sens de son organisation préalable au Concile de Vatican I.
Le premier synode a eu lieu en 1875 à Olten. Y ont été adoptés la Constitution de l’Eglise, les règlements de gestion synodale, la création du Conseil synodal ainsi que le mode d’élection de l’évêque. Un an plus tard, cette élection a constitué l’achèvement de la création de l’Eglise catholique-chrétienne. Le théologien Edouard Herzog a été le premier évêque. Il a prêté serment sur la Constitution, en présence des délégués des autorités des cantons de Berne, Genève, Soleure et Argovie. BB
Des photos peuvent être commandées à l’Apic, courriel: apic@kipa-apic.ch (apic/ak/bb)
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