Turquie: Menaces musulmanes sur le monastère syriaque-orthodoxe de Mor Gabriel
Mardin, 3 février 2009 (Apic) La communauté syriaque-orthodoxe dans divers pays européens se mobilise pour faire face aux menaces de groupes radicaux musulmans qui pèsent sur le monastère syriaque-ortodoxe de Mor Gabriel (Saint Gabriel). Ce monastère du sud-est de la Turquie, dont l’implantation remonte à 1600 ans, est le centre spirituel et culturel des syro-orthodoxes de Haute Mésopotamie.
Fondé en 397, le monastère situé près de la ville de Midyat est aujourd’hui le siège de l’évêché du Tur Abdin et c’est l’un des plus importants centres de l’Eglise syriaque (ou jacobite), qui utilise le suroyo, une langue araméenne, comme langue liturgique. C’est là que vivent l’évêque, Mgr Timotheus Samuel Aktas, avec trois moines, 14 soeurs et 35 élèves qui vivent et étudient dans ce lieu hautement symbolique.
Au cours du VIe siècle, à l’âge d’or du mouvement monastique, les Syriaques affirment que plus de 1000 moines vécurent dans ce monastère et que quatre patriarches, un «Maphryono» (catholicos) et 84 évêques sont issus de son école théologique. Ils rappellent qu’en 1915, lors du «génocide syriaque», les Kurdes tuèrent tous les moines qui vivaient dans le monastère et l’occupèrent durant quatre ans. Chaque année, plus de 10’000 touristes et pèlerins, dont de nombreux chrétiens syriaques de Turquie vivant en diaspora en Allemagne, en France, en Suisse et en Suède, visitent le monastère et ses environs.
Des leaders religieux musulmans de la région accusent le monastère de Mor Gabriel, situé dans la province de Mardin, de faire du prosélytisme et convoitent ses terres agricoles, qui risquent d’être confisquées. Les défenseurs du monastère, qui organisent la résistance dans ce coin du Kurdistan proche de la Syrie, rappellent que dans les années 1960, quelque 30’000 Syriaques vivaient dans la région du Tur Abdin, dont la signification est «la montagne des serviteurs de Dieu». Aujourd’hui, ils ne sont plus que 3’000 à vivre sur place. Ces chrétiens oubliés espèrent que l’Union européenne, qui défend les minorités, fera pression sur le gouvernement turc.
Aujourd’hui, l’avenir du monastère et de la petite minorité chrétienne restée sur place est menacé par toute une série de procès intentés contre les moines et la prestigieuse institution religieuse. En août 2008, les chefs de trois villages musulmans proches du couvent ont dénoncé la communauté, accusée de «prosélytisme». Elle accueillerait des élèves dans son école «pour leur transmettre la foi chrétienne et la langue araméenne». Cette grave accusation n’a pas encore été reçue par la Cour de justice turque. Toutefois, en seconde instance, les chefs de village revendiquent l’expropriation du terrain du couvent. Ils veulent que les terres de Mor Gabriel soient divisées entre les villages et que soit détruit un mur construit dans les années 90, quand le couvent se trouvait dans une zone de combats entre l’armée turque et les militants kurdes du PKK.
Arguments ridicules évoqués devant la justice turque
Les chefs musulmans défendent une position proprement absurde en prétendant que le couvent a été construit sur le terrain d’une mosquée, ce qui est parfaitement ridicule si l’on songe que le monastère était déjà là plus de deux siècles avant l’arrivée de l’islam dans la région. Malgré cette énormité, le procureur de la Cour de justice a entamé une procédure, témoigne David Gelen, chef de la Fédération des Araméens (Suryoye) en Allemagne (FASD). Depuis longtemps, en raison des intimidations en provenance des villages environnants, moines et religieuses n’osent plus franchir les murs du couvent.
S’il l’on comptait encore quelque 30’000 Syriaques dans le Tur Abdin au début des années 1960, c’est à partir des années 1970 que la véritable hémorragie commence. Pour des raisons économiques d’abord. De nombreux Syriaques émigrent ces années-là en Allemagne et en France, faisant peu à peu venir leurs familles. A partir du milieu des années 1980, l’émigration devient un véritable exode.
Emigration économique puis insécurité due aux combats entre armée et PKK
Cette fois-ci, les populations chrétiennes du Tur Abdin fuient pour des raisons politiques: la région est le théâtre de durs combats entre le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) et l’armée turque. Celle-ci se fait aider par les «gardiens de village», recrutés parmi les tribus kurdes «loyales». Comme les Syriaques refusent de faire allégeance à l’un ou l’autre groupe, ils sont forcés à chercher leur salut dans la fuite à l’étranger. Alors que les minorités arméniennes et grecques survivent plus ou moins bien en Turquie, protégées par un statut de minorité reconnu par le Traité de Lausanne de 1923, les Syriaques jacobites n’ont pas ces protections.
Les Syriaques n’ont en fait aucune existence légale et théoriquement, ils ne peuvent pas enseigner leur langue araméenne, le suroyo. Leurs droits religieux sont très restreints et il semble bien que le but de ceux qui font pression sur cette minorité non reconnue est de les faire partir, car ils les considèrent comme un «corps étranger». Malgré des avancées significatives ces dernières années, il n’en demeure pas moins que la liberté religieuse n’est toujours pas pleinement garantie en Turquie. Il ne fait pas de doute que la violation des libertés religieuses reste un obstacle majeur au processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. La question de la liberté religieuse et des droits de l’homme des minorités non musulmanes devrait être à l’ordre du jour des discussions entre le gouvernement turc et l’UE la semaine prochaine. (apic/asian/com/be)
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