Apic reportage
Des rites funéraires interdits par la loi iranienne
Georges Scherrer de l’Apic / Traduction: Bernard Bovigny
Yazd, 13 décembre 2006 (Apic) L’endroit est surnommé Tchak Tchak, en raison des gouttes d’eau qui tombent sans arrêts, alors que l’on se trouve au milieu du désert. Depuis près de 3’000 ans, les zoroastriens ont fait de cette grotte leur plus important lieu de pèlerinage et y conservent en permanence le «feu sacré». Contrairement à leurs coreligionnaires d’Inde, les fidèles iraniens ont dû renoncer depuis 40 ans à confier les corps des défunts aux vautours sur les «tours du silence» (dakhmas).
Le bus climatisé roule à grande vitesse sur l’interminable piste qui traverse le désert. Les sommets à l’horizon prennent toujours plus de hauteur. Finalement le véhicule plonge dans un superbe massif montagneux, dont les formations de falaise donnent une impression de territoire inviolé. Les parois rocheuses sont aussi dénudées de végétation que la surface désertique étendue à leurs pieds.
Chaque année, des milliers de zoroastriens empruntent ce même chemin. Ils proviennent de toutes les régions du monde à Pir-e sabz-e Chak Chak – le nom complet de ce lieu – pendant quatre jours pour participer à leur plus grande fête religieuse. Durant ces festivités, «Tchak Tchak» (comme le prononcent les autochtones), qui compte une demi-douzaine de maisons collées au flanc de la montagne à une centaine de mètres de la plaine désertique, est fermé aux visiteurs non zoroastriens.
Selon la légende, la fille d’un roi s’est rendue en ce lieu il y a près de 3’000 ans après avoir fui son père. Un petit bonhomme vert est venu à son aide. Le terme «Pir-e sabz» signifie d’ailleurs «le vieux vert». La fille trouva une caverne dans laquelle des gouttes de pluie tombaient sans cesse. L’eau a permis d’alimenter un puissant arbre, qui a poursuivi sa croissance en dehors de la grotte.
Les antiques tours de feu
Les zoroastriens ont dédié à leur divinité ce lieu autour duquel aucune construction n’apparaît à des dizaines de kilomètres à la ronde. Les flammes sacrées, que les zoroastriens utilisaient dans l’Antiquité pour leurs tours de feu, y sont conservées en permanence. Seuls un gardien du feu et un prêtre sont actuellement chargés de le surveiller.
A l’extérieur, le soleil imprime au désert une température qui dépasse allégrement les 30 degrés en automne. Des gouttes d’eau, captées avec des seaux, tombent dans cette grotte juste assez grande pour accueillir une vingtaine de pèlerins. Sur la paroi arrière se trouve une sculpture métallique sur laquelle brûlent trois lumières perpétuelles.
Dans le pays, on aperçoit encore en de nombreux endroits les ruines des tours de feu. Aujourd’hui, les zoroastriens accomplissent leurs cérémonies dans des temples situés à l’intérieur des localités. Le gouvernement iranien accorde à certaines conditions le droit de pratiquer leur foi à diverses communautés religieuses. Il a par exemple autorisé les arméniens à construire un grand centre à Ispahan, dans lequel ils peuvent célébrer la messe à l’abri du regard des musulmans, et installer leur propre bâtiment administratif ainsi qu’un musée. Les catholiques bénéficient de ce même droit.
Mais tous les habitants doivent respecter les habitudes et prescriptions du pays. Ainsi, les femmes, qu’elles soient chrétiennes ou zoroastriennes, doivent couvrir leurs cheveux dans les espaces publics. Et lorsque le ramadan est célébré dans la République islamique, les non musulmans doivent respecter les principes en vigueur. Il leur est permis de prendre le repas de midi, mais ils le font discrètement, à la maison.
Les zoroastriens disposent également de temples et autres lieux de rencontre dans plusieurs villes du pays. C’est le cas de la cité oasienne de Yazd, située au centre de l’Iran, entourée de montagnes culminant à plus de 4’000 mètres d’altitude et située à quelque 50 kilomètres de la grotte du «petit bonhomme vert». Le temple de Zoroastre, en plein centre de la ville, est facilement accessible aux visiteurs. En traversant le mur d’enceinte à travers une petite porte, on accède à une cour intérieure.
Bonnes pensées, bonnes paroles, les bonnes actions
Pour rejoindre le temple lui-même, un bâtiment qui ne comprend qu’un étage et aucune tour, il faut d’abord passer par une salle des colonnes. Au dessus du portique d’entrée, trône une grande sculpture du faravahar, un être ailé avec une tête d’homme. Les ailes sont divisées en trois parties, et chacune d’elles illustre un des principes de vie fondamentaux établis par Zoroastre: «Les bonnes pensées, les bonnes paroles et les bonnes actions». La queue des «oiseaux» est orientée vers le bas et indique ainsi aux mauvais penchants de l’être humain le chemin vers le sol. Dans leur aveuglement aryen, les nazis ont repris cette symbolique et l’ont transformé en «aigle du Reich» et «aigle du parti».
L’intérieur du temple est divisé en deux parties. Dans l’une se tiennent les fidèles. Quelques images et documents sont suspendus aux murs. L’espace ne comprend aucun meuble. Une large paroi vitrée permet de jeter un regard sur la deuxième salle. S’y trouve, sur un socle, un récipient d’un mètre de haut en forme de calice d’où sort un feu. La flamme sacrée ne doit jamais s’étreindre.
Le centre communautaire des zoroastriens est situé à proximité du temple. Le faravahar, là aussi, surplombe la porte d’entrée. Un Grand prêtre – la ville de Yazd en abrite 23 autres – y donne des informations sur les zoroastriens. Il affirme avec assurance que le fondateur Zoroastre est né en 1735 avant Jésus Christ. Une datation d’ailleurs très contestée par des historiens.
Le Zarathustra de Nietsche et le Sarastro de Mozart
Friedrich Nietzsche l’a appelé Zarathustra – dénomination reprise dans son oeuvre majeure par le compositeur Richard Strauss (»Also sprach Zarathustra») -, et il apparaît dans la Flûte enchantée de Mozart sous le nom de Sarastro. Zoroastre est considéré par ses pairs comme le fondateur de la première religion monothéiste, avec un Dieu créateur: Ahura Mazda, opposé au démon Ahriman. Ce système de dualité entre le bien et le mal se retrouvera plus tard dans d’autres religions, comme le christianisme. C’est au message de Zoroastre que remonte également la représentation du paradis et de l’enfer.
Homme et femme sont traités avec égalité. Mais seuls les hommes peuvent devenir prêtres. Entre 7 et 15 ans, les enfants apprennent à prier et apprivoisent les rites. C’est à l’âge de 15 ans que le jeune zoroastrien est admis dans la communauté lors d’une cérémonie. Il reçoit la ceinture et la chemise. La ceinture est utilisée pour la prière. La chemise procure protection et symbolise la pureté de la pensée des zoroastriens, du fait que la laine est extraite d’un animal pur. Un zoroastrien devrait toujours porter une telle chemise, affirme le Grand prêtre.
La communauté zoroastrienne compte aujourd’hui 20’000 membres en Iran, alors que 65’000 vivent en Inde sous la dénomination de «parsis». Dans le monde, ils sont entre 120 et 150’000. La disparition totale des zoroastriens est un thème récurrent, en raison des conditions extrêmes de pureté «tribale» imposées aux membres. Ils ne peuvent en effet se marier qu’à l’intérieur de la communauté.
Interrogé à propos de la pérennité des zoroastriens, le Grand prêtre se montre volubile. Les visiteurs comprennent à travers les paroles du traducteur local que les responsables de la communauté ferment les deux yeux lorsqu’un fidèle se marie avec un non-membre.
Les corps des défunts livrés aux vautours
Les zoroastriens ont d’ailleurs dû renoncer à une autre prescription importante, dans le domaine des rites funéraires. Ce que leurs condisciples de Bombay ont encore le droit de faire aujourd’hui, les zoroastriens iraniens ont fait face, il y a 40 ans, à une interdiction de la part du gouvernement. Ils ne sont plus autorisés à livrer les corps des défunts aux vautours sur les «tours du silence», comme l’a prescrit leur fondateur. Ils sont ainsi empêchés d’accomplir pleinement leur devoir de pureté en souillant un des quatre éléments naturels que sont le feu, l’eau, l’air et la terre. Et pourtant, c’est pour des motifs hygiéniques que le gouvernement iranien les a empêchés d’accomplir leur rite funéraire traditionnel. Mais pour obéir au maximum à l’idéal de pureté prescrit par Zoroastre, les corps des défunts mis en terre sont placés dans cercueil en béton.
Mais ces traditions ne sont pas toujours respectées à la lettre par les fidèles. Le plus célèbre zoroastrien de l’époque contemporaine, le chanteur du groupe Queen Freddie Mercury, décédé en 1991, s’est fait incinérer. GS/BB
Note: Des photos de ce reportage peuvent être commandées à l’agence apic, à l’adresse courriel : kipa@kipa-apic.ch .
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