La Profession de foi et le Serment de fidélité (190190)

APIC INTERVIEW

Une analyse de Mgr Thils, professeur à l’Université catholique de Louvain

Bruxelles, 19janvier(APIC) Il y a bientôt un an, le 25 février 1989, la

Congrégation pour la doctrine de la foi annonçait la mise à jour de nouvelles formules de la Profession de foi et du Serment de fidélité et leur entrée en vigueur le 1er mars 1989. Mgr Gustave Thils, professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et qui fut expert au Concile Vatican

II, présente aujourd’hui, dans une plaquette d’une soixantaine de pages,

une analyse de ces documents. L’agence CIP l’a interrogé sur ce sujet.

L’origine de ces formules est assez ancienne: d’une part, la profession

de foi, adoptée au lendemain du Concile de Trente, dans le contexte de la

Réforme catholique (1554), et complétée par la suite; d’autre part, le serment de fidélité de 1910. Si la nouveauté de la Profession de foi est relative, le Serment de fidélité est, pour les fidèles laïcs, d’une nouveauté

absolue: il est étendu aux fidèles laïcs appelés à l’exercice d’une

fonction au nom de l’Eglise, dans les limites précisées au canon 833, n.

5-8, du droit canonique.

La profession de foi propose, dans une première partie, le texte du Symbole de Nicée-Constantinople. La deuxième partie est subdivisée en trois

paragraphes, afin de mieux distinguer le genre de vérité et l’assentiment

demandé: les vérités proposées à croire comme divinement révélées; les vérités concernant la doctrine de la foi ou les moeurs proposées par l’Eglise

de manière définitive, mais non comme divinement révélées; les doctrines

proposées par le Pontife romain ou par le collège des évêques, lorsqu’ils

exercent le magistère authentique, même s’ils n’entendent pas les proclamer

par un acte définitif.

Le Serment de fidélité expose en cinq paragraphes les formes de communion, de collaboration et de soumission attendues des personnes appelées à

le prononcer.

Qu’est-ce qui vous a amené à entreprendre cette étude?

Mgr Thils: Le fait que j’ai été interrogé par des collègues théologiens

qui savent que j’ai eu l’occasion d’étudier l’ecclésiologie des deux dernièrs conciles oecuméniques. Ils m’ont dit que certains paragraphes des

nouvelles formules donnaient lieu à des questions, à des hésitations, à des

résistances. J’ai donc étudié ces documents pour en déterminer l’enjeu: sur

quoi portent-ils et qui est concerné?

Qui précisément concernent-ils?

Mgr Thils: De la comparaison du canon 833 du nouveau Code et du canon

correspondant du Code de 1917 se dégagent deux conclusions. Tout d’abord,

la différence entre les nouvelles et les anciennes prescriptions canoniques

est mineure; et celles-ci sont parfois réduites. En second lieu, les fidèles laïcs concernés ne sont pas nombreux et sont engagés dans un secteur

très limité de la communion ecclésiale. Par ailleurs, il n’y a pas lieu

d’élargir l’aire d’application de ces prescriptions: une exégèse «stricte»

a toujours été un principe d’interprétation en ce domaine.

A quelle méthode avez-vous recouru pour étudier ces nouvelles formules?

Mgr Thils: Celles qu’a utilisées la Commission doctrinale du Concile Vatican II quand, face à la somme considérable de constitutions, déclarations

et décrets, il a fallu en déterminer la «qualification théologique». Ces

enseignements sont à comprendre et à recevoir suivant des normes d’interprétation bien connues des théologiens. On les trouve expliquées dans les

traités de ceux qu’on appelle les «auctores probati»: les auteurs classiques reçus et approuvés.

A quoi cela peut-il s’appliquer ici?

Mgr Thils: En ordre principal, au troisième paragraphe de la Profession

de foi: «Tout particulièrement avec une soumission religieuse de la volonté

et de l’intellect, j’adhère aux doctrines énoncées par le Pontife romain ou

par le Collège des évêques lorsqu’ils exercent le magistère authentique,

même s’ils n’entendent pas les proclamer par un acte définitif».

De manière générale, pour la totalité des renseignements de l’Eglise, on

peut adopter la perspective suivante. Les enseignements du magistère authentique de l’Eglise constituent un ensemble gradué de déclarations requérant un ensemble tout aussi gradué d’assentiments de la part des fidèles.

Il existe des doctrines dont l’autorité est maximale, parce qu’elles sont

présentes dans la révélation, et, par ailleurs, l’on rencontre certaines

affirmations sur lesquelles le pape (même dans ses encycliques) ou le Collège épiscopal (même au concile oecuménique) n’engagent que l’autorité de

leur compétence humaine et des arguments qu’ils font valoir. Entre ces deux

formes extrêmes s’étend une gamme considérable de vérités, dont la qualification théologique est diverse, allant du jugement définitif à l’option

probable. Cette graduation a été reconnue déjà par le Concile Vatican I en

1870. Or, constater cette graduation, c’est reconnaître en même temps que

l’acceptation de ces enseignements est plus ou moins contraignante, que

leur perfectibilité est plus ou moins grande.

Commentant un passage de lumen gentium 25, correspondant au paragraphe

3 de la Profession de foi, Mgr Philips, l’un des principaux artisans de la

rédaction de cet important document de Vatican II, n’a pas hésité à parler,

à ce sujet, de situation délicate. «Nous ne pouvons passer sous silence,

écrit-il, le cas d’un chrétien compétent qui aurait des motifs sérieux de

préférer aux directives officielles une manière de penser divergente, ou

qui pourrait faire valoir des motifs fondés de laisser la question dans le

doute. Il ne saurait, avec la meilleure volonté du monde, se forcer à l’assentiment intérieur. Personne ne lui interdit d’ailleurs de continuer ses

investigations, du moment qu’il évite de jeter, par dépit ou par orgueil

intellectuel, le discrédit sur les déclarations du magistère. Rappelons

qu’il s’agit, en l’occurrence, des doctrines visées par le troisième paragfraphe de la Profession de foi.

Le Père Betti, l’auteur des considérations doctrinales qui accompagnemt

le texte des nouvelles formules, a lui aussi analysé ce passage de Lumen

gentium 25. Il relève également la graduation caractéristique correspondant

dans l’ensemble, et précise notablement les remarques faites par le commentaire de Mgr Philips.

Et le Serment de fidélité?

Mgr Thils: Le nouveau texte comporte cinq paragraphes. Dans l’ensemble,

les personnes concernées sont hésitantes à les recevoir telles quelles. Ces

personnes acceptent ce qui est affirmé, mais estiment aussi que ces données

sont incomplètes. Et, de fait, si l’on doit être d’accord avec ce qui est

énoncé, on ne peut ni négliger, ni exclure surtout, d’autres données tout

aussi fondées, complémentaires, importantes, et à les maintenir tout aussi

fermement. Les théologiens disent alors: il faut accepter ces textes sensu

positivo et non sensu exclusivo.

Pouvez-vous donner quelques exemples de semblable lecture?

Mgr Thils: Ainsi, au premier paragraphe, le fidèle promet de demeurer en

«communion» de pensée et d’action avec l’Eglise catholique. C’est là une

exigence normale. Mais, dans la doctrine catholique, la «communion» n’exclut pas, et même inclut diverses formes de pluralité au coeur de l’unité.

De même, le deuxième paragraphe rappelle aux fidèles qu’ils ont des «devoirs». Mais le nouveau Code de droit canonique traite aussi des «droits»

de tous les fidèles, et des fidèles laïcs en particulier, et l’on ne peut

exclure ce que détaille le Code de droit canonique.

Le cinquième paragraphe redit «l’obéissance» due aux pasteurs des Eglises. Mais cette obéissance n’exclut pas du tout ce que le Concile Vatican

II a déclaré sur la «fraternité» existant entre tous les fidèles, sur les

formes diverses d’action, de coopération, de concertation, d’aide que pasteurs et fidèles doivent adopter et mettre en pratique (lumen gentium, 32

et 37).

Et la conclusion…

Mgr Thils: Je vous rappelle le canon 749, paragraphe 3, du nouveau Code

de droit canonique: «Aucune doctrine n’est considérée comme infailliblement

définie que si cela est manifestement établi».

Dès lors, l’adage Sentire cum Ecclesia – avec l’Eglise – est mal compris

de celui qui déclare «infaillible» une déclaration, une doctrine, lorsque

cela n’est pas «manifestement établi». Ce n’est certes pas le danger que

court de nos temps la majorité des chrétiens. Mais, aujourd’hui comme hier,

une minorité de catholiques, assez décidée, estimant parler au nom d’une

foi pure et sans failles, en arrive parfois à certaines adhésions extrêmes

et inconditionnelles, afin de ne pas faire cautionner par l’assistance spéciale de l’Esprit Saint des enseignements qui pourraient être réexaminés,

complétés, assouplis, voire rectifiés par un autre Pontife ou par un concile oecuménique. Il ne faut pas oublier, ni gommer, les interminables controverses qui ont empoisonné et troublent encore les milieux catholiques

sur la question des libertés modernes et des droits de l’homme, depuis les

encycliques de Grégoire XVI et le Syllabus de Pie IX. (apic/cip/pr)

«La Profession de foi et le Serment de fidélité», cahiers de la Revue

Théologique de Louvain, no. 23, 1989. Librairie Peeters, 56, Grand-Rue,

1348 Louvain-la-Neuve; Faculté de Théologie, 45, Grand-Place, 1348 Louvainla-Neuve; dépôt en France: «La Procure», 3, rue de Mézières, 75006 Paris.

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