Sénégal: L’abbé Jacques Seck, fervent animateur du dialogue islamo-chrétien

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«Nous sommes condamnés au dialogue ou nous mourrons»

Ibrahima Cissé, correspondant de l’Apic à Dakar

Dakar, 27 janvier 2006 (Apic) Le dialogue islamo-chrétien se porte plutôt bien au Sénégal. «Ce n’est pas une formule en l’air, mais un constat», a déclaré à l’Apic le Père Jacques Seck, le prêtre catholique le plus engagé dans ce dialogue, aux côtés de marabouts et de hautes personnalités musulmanes du pays.

Aussi bien dans la communauté islamique que du côté catholique, «il y a des personnes qui savent ce que dialoguer veut dire. Ils le vivent au quotidien et éclairent les autres là-dessus», a-t-il poursuivi. «Pour nous, imams et prêtres sénégalais engagés, le dialogue inter-religieux n’est pas une théorie, ni un discours à partager, mais des faits que nous posons régulièrement».

Aumônier des malades à Dakar, l’abbé Jacques Seck est très populaire au Sénégal. Grâce à lui, un riche homme d’affaires musulman a pris en charge les travaux de construction de la grande mosquée de Palmarin, un gros village de 12’000 habitants au sud de Dakar, pour plus de 12,5 millions de francs Cfa (environ 34’000 francs suisses). D’autres musulmans y ont aussi contribué, toujours sur incitation de l’abbé Seck. «La religion, dans le fond est pour l’essentiel, une. Ce sont les théologies qui divergent», a-t-il souligné à l’Apic.

Toujours en déplacement comme un bédouin, constamment en tournée à l’intérieur du pays pour promouvoir ce dialogue qui lui tient tant à coeur, Jacques Seck est l’ami de tous les grands marabouts sénégalais. Il est invité à toutes les conférences qui traitent de religion ou de relations entre musulmans et chrétiens, et répond présent aux invitations pour des veillées, chants religieux, conférences publiques ou inauguration de mosquées.

«Je suis né dans le dialogue, j’y ai aussi grandi, je ne théorise pas, car mon papa était un chrétien converti à l’islam et ma maman chrétienne, ma soeur était l’épouse du premier imam de mon village», a-t-il souligné. Son âge? «Je suis né en 1934, mais la mission catholique ma fait naître par erreur en 1936».

Ne pas chercher à harmoniser le Coran et la Bible

«Au Sénégal, fait-il remarquer, le dialogue islamo-chrétien porte sur la vie quotidienne, le pays qui nous est commun, le patriotisme, la solidarité, le partage». «Les gens pensent que dans le dialogue, on discute pour arriver à un texte commun, comme si nous allions faire une troisième religion en harmonisant le Coran et la Bible. Non, il ne s’agit pas de cela. Nous avons très vite compris que nos religions et nos écritures saintes nous transcendent. Nous ne pouvons pas les manipuler pour faire plaisir à l’un ou à l’autre», commente Jacques Seck. «Nous partons du principe que la religion et les écritures de l’autre ne se discutent pas, on les respecte, on en prend acte. L’islam, ses écritures, sa charia ou loi, sa sunna ou tradition, ses écoles théologiques, lui appartiennent. Moi catholique, je ne les discute pas». «En retour, poursuit l’abbé Jacques Seck, je dis aux musulmans: la trinité et ce que j’y mets, ma vision de Dieu qui est chrétienne, la sainte Bible et ses écritures ne vous regardent pas. Ils m’appartiennent et qu’on me respecte avec ça. S’il y a des points de convergences, nous discutons et s’il n’y a rien, nous nous arrêtons.»

Animateur d’une émission radiophonique sur les relations inter-religieuses, il est régulièrement interpellé dans la rue par des musulmans de toutes confessions et de toutes ethnies, pour le féliciter et l’encourager.»Je ne peux pas faire un ou deux kilomètres à pieds sans que quelqu’un ne m’appelle», affirme-t-il. Emu, il s’exclame: «C’est une reconnaissance inimaginable! Je vais continuer à faire ce que je fais». Car, dit-il, «au sein de l’Eglise même, il y a de la résistance. Certains prêtres ne veulent pas de ce dialogue. Ils me critiquent». «Ce qui fait ma joie, c’est que dans chaque pays, il y a les trois quart, si ce n’est davantage de personnes qui vivent le dialogue, s’y engagent. Dans la vie humaine, il y a toujours la grande masse qui est dans le bien, et l’autre qui ne comprend rien».

Des écoles catholiques prisées par les musulmans

Le domaine de l’éducation, selon l’abbé Jacques Seck est celui où le dialogue islamo-chrétien est le plus visible au Sénégal. Des imams de grandes mosquées, des marabouts, de grands fonctionnaires du pays, dont l’ancien président Abdou Diouf, ont envoyé et continuent d’envoyer leurs enfants dans les écoles privées catholiques. «Ils auraient pu leur trouver des bourses d’études à l’étranger, mais ont préféré les confier à l’Eglise pour leur éducation», fait-il remarquer. A la dernière rentrée scolaire, en octobre, il a dû par deux fois porter sa soutane pour aller négocier des places dans une école privée catholique de Dakar au profit d’enfants d’amis musulmans, inscrits en retard.

«Pour mon pays, je n’ai pas d’inquiétude quant aux relations entre chrétiens et musulmans. Nous vivons des choses extraordinaires, merveilleuses», affirme-t-il. «Qu’on le veuille ou non, le monde est devenu un village planétaire. Les relations se font plus fortes parce qu’on ne peut pas ignorer l’autre. Les ghettos sont terminés. Nous serons maintenant unis quoi qu’il en soit, nous sommes condamnés au dialogue ou nous mourrons». IBC

Encadré:

Vicaire épiscopal du cardinal Thiandoum

Après son ordination en 1969, l’abbé Jacques Seck sera nommé vicaire à Fadiouth, à environ 90 km au sud de Dakar, puis vicaire à Sainte-Thérèse, dans la banlieue nord de Dakar. Envoyé ensuite par l’archevêque Hyacinthe Thiandoum à Rome pour suivre des cours de théologie, il revient au Sénégal après avoir obtenu sa licence. En 1977, le cardinal Thiandoum fait de lui son vicaire épiscopal. Affecté à Joal, dans le village natal de Léopold Senghor, il y intensifie le dialogue islamo-chrétien, avant de devenir aumônier des malades à Dakar.

(apic/ibc/bb)

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