La première BD d’un auteur romand, Jôli, raconte les aventures d’un jeune chrétien dans le monde musulman. De quoi combattre les préjugés et l’incompréhension grandissante, espère ce dessinateur qui a vécu en Mauritanie. (cette article est parru dans l’écho magazine n.36 – septembre)Presque tout les sépare, mais Sam et Salem s’entendent comme larrons en foire dans l’album du Vaudois Joël Bussy, qui vit à Cossonay et signe sa première BD à l’âge de 43 ans. Après avoir vécu onze ans en Mauritanie, l’auteur – dont le nom d’artiste est Jôli – veut «encourager chacun à aller à la rencontre de l’autre pour bâtir des ponts et détruire des préjugés», dit l’introduction de son album.
Revenu en Europe, Jôli a été en effet frappé par les images négatives véhiculées par les médias et par leur manque d’objectivité.
D’où vient votre nom, Jôli, et pourquoi faire de la BD religieuse?
– Mes voisins mauritaniens n’arrivaient pas à prononcer mon prénom, Joël. Ils disaient «joooli» et cela m’a plu. Le choix religieux vient de ce que j’ai grandi dans une famille chrétienne avec une grand-maman qui m’a beaucoup parlé de Jésus. Mais ce n’est pas cela qui a fait de moi un chrétien. C’est à l’âge de 19 ans que j’ai pris la décision d’accepter Jésus comme mon Sauveur personnel et mon Seigneur.
Et la BD?
– Petit déjà c’était le métier que je voulais faire, mais je savais que ce serait difficile; j’ai donc choisi le métier de marbrier. Je croyais en effet que les marbriers devaient beaucoup dessiner, ce qui n’est pas tout à fait le cas. En 1995, je me suis marié et en 1998, avec mon épouse, nous sommes partis en République islamique de Mauritanie pour travailler dans une ONG. En 2009, vu les dangers accrus dans la région, nous avons dû rentrer. Entre- temps nous avions eu trois enfants; un quatrième est né après notre retour en Suisse. J’ai fait un stage de huit mois chez Alain Auderset, bédéiste connu du Jura bernois, et j’ai dessiné en août 2010 la première planche de Sam et Salem. Il m’a fallu presque quatre ans (à temps partiel) pour mener à terme ce projet. Actuellement je fais de la BD à mi-temps et je travaille avec les requérants d’asile l’autre mi-temps.
Votre premier album s’inspire donc de votre rencontre avec l’islam?
– Lors de mes années passées en Mauritanie, j’étais troublé par le message anti-occidental véhiculé par les médias locaux. De retour au pays, j’ai découvert que les musulmans faisaient peur aux Suisses. Pour changer ces visions négatives, l’idée m’est venue de communiquer avec humour sur ce sujet.
Quel public visez-vous?
– Mon désir est de toucher autant les non-musulmans que les musulmans de 9 à 99 ans! Nous jugeons si souvent sans connaître! Or l’ignorance mène à la peur, la peur à la haine et la haine à la violence. J’aimerais faire découvrir aux non-musulmans quelques bases de l’islam, en particulier les cinq piliers de cette religion. Je cherche aussi à interpeller les lecteurs musulmans sur la vie éternelle. Très souvent, j’ai entendu des musulmans exemplaires dans leur foi me dire: «Je ne sais pas si j’irai au paradis… Inch’Allah j’irai». Cela m’attriste beaucoup,car le message de Jésus est si différent et si plein de promesses. Je cherche aussi à faire grandir l’amitié entre musulmans et chrétiens en montrant qu’un chrétien peut avoir un ami musulman et vice versa.
Aborder des sujets aussi sensibles par le biais de l’humour, est-ce bien sérieux?
– Pendant les onze années que j’ai passées dans une république islamique, j’ai ri plus d’une fois avec mes amis musulmans, j’ai été accueilli chez eux, j’ai vu des femmes voilées dans de magnifiques voiles de couleur. Un peu d’humour permet, j’espère, d’aller à contre-courant de ce que disent trop de médias. Le terrorisme existe, la burka et la violence conjugale aussi, mais ce ne sont pas des réalités valables pour tous et partout. Ne laissons pas la peur nous éloigner les uns des autres.
Comment réagissez-vous quand vous entendez des Suisse critiquer le port du voile ou parler «d’invasion musulmane»?
– C’est un sujet très délicat. Je peux comprendre que des personnes pensent ainsi, car la plupart n’ont pas eu la chance de vivre avec des musulmans sympas et accueillants. Et il est vrai que dans certains quartiers des grandes villes européennes, on peut avoir peur. Je pense pourtant que c’est à nous de faire le premier pas. Plus nous les jugerons, plus nous aurons du mépris ou de l’hostilité envers les musulmans et moins ceux-ci auront envie de s’intégrer. Et ils renforceront leur identité musulmane. C’est à moi, en tant que disciple de Jésus, de faire le premier pas et d’aimer. Mais attention: aimer ne veut pas dire tout accepter!
Vous affirmez aussi que les musulmans peuvent être des modèles dans leur manière de vivre la foi. A quoi pensez-vous?
– A trois choses: à la crainte et au respect de Dieu pour autant que cela ne tourne pas à la peur. Au ramadan: oui, il y a des musulmans qui jeûnent avec une réelle ferveur sans faire la fête toute la nuit. Ils jeûnent par amour pour Dieu. Enfin, leur manière de pratiquer l’hospitalité est remarquable.
Le premier album de Jôli raconte les aventures de Sam, un jeune chrétien qui part en vacances
dans un pays musulman. Il découvre les différences de culture et de confort entre son pays et
son lieu de villégiature. Le pays ne l’attire pas particulièrement et il ne pense pas y revenir. Ce sera pourtant le cas, mais pour y travailler, ce qui lui permettra de retrouver son ami Salem: scénario mince let donc, mais là n’est pas le souci de l’auteur qui veut, par une série de sketchs, illustrer les différences de perception entre les deux personnages, le chrétien et le musulman. Chacun tantôt s’amuse, tantôt ouvre de grands yeux devant ce qu’il apprend. Mais ils découvrent aussi – et le lecteur avec eux– tout ce qui les rassemble dans leur envie communede faire au mieux. Cet album est à la fois léger et intelligemment écrit, avec un souci de sincérité et d’humour adapté à chacun. Le dessin, aux contours simples mais très expressifs, rend les personnages fort sympathiques. Une très bonne surprise dans le monde de la BD chrétienne.
Pour commander Sam et Salem: www.bechir.org.
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