Apic – rencontre
«Sous le communisme, il était difficile d’être chrétien,
aujourd’hui, c’est devenu beaucoup plus compliqué»
Jacques Berset, agence Apic
Budapest, 29 mars 2004 (Apic) «Sous le communisme, il était difficile d’être chrétien, aujourd’hui, c’est devenu beaucoup plus compliqué.» Avec une voix douce, dans un très bon français, Mgr Peter Erdö, primat de Hongrie et archevêque d’Esztergom-Budapest, évoque quelques uns des obstacles à l’évangélisation qui se dressent dans une société hongroise post-communiste, libérale et très sécularisée.
Il est loin le temps où l’empereur Joseph II, ce «despote éclairé» de la fin du XVIIIe siècle, subordonnait l’Eglise à l’Etat et éditait des directives prescrivant aux prêtres le contenu de leurs prêches. Quant au régime communiste hongrois, appelé vers la fin, par dérision, «communisme du goulasch» (alors que les goulags existaient encore bel et bien en Union soviétique!), il s’est dissous pacifiquement, comme par enchantement, il y a une quinzaine d’années. Sans guerre civile ni procès pour les crimes commis, sans traumatisme mais sans travail de mémoire. Il a laissé des séquelles dans les esprits et les coeurs, ce que certains appellent l’héritage de «l’homo sovieticus».
Créé cardinal en octobre dernier par Jean Paul II, Mgr Peter Erdö est à 51 ans le plus jeune membre du sacré Collège. Le primat de Hongrie a répondu aux questions des journalistes à l’occasion du Symposium européen de Budapest mis sur pied le 19 mars dernier par la région Europe de l’Union catholique internationale de la presse (UCIP).
Le Symposium abordait le thème de la responsabilité des journalistes chrétiens face aux attentes spirituelles et aux libertés nouvelles en Europe. Ce docteur en droit canonique de l’Université pontificale du Latran, spécialiste d’histoire médiévale, a joué un rôle essentiel dans la fondation de l’Université catholique Peter-Pazmany à Budapest, dont il fut recteur.
Il s’agit pour l’Eglise hongroise de se doter d’instruments pour son oeuvre d’évangélisation dans une société largement sécularisée. La pratique religieuse est de 12-13%, même si selon le dernier recensement, quelque 75% des Hongrois déclarent une appartenance chrétienne (dont 54% de catholiques, 16% de calvinistes réformés, 3% de luthériens, des orthodoxes, etc. ).
Q: La Hongrie est à nouveau dirigée par un gouvernement de coalition aux mains des anciens communistes du MSZP (Parti socialiste) et des libéraux du SZDSZ (Alliance des démocrates libres). Quelles sont les relations de l’Eglise avec l’Etat ?
Cardinal Erdö: Du côté de l’Etat, actuellement, nous ne faisons pas face à une hostilité déclarée, officielle. Il y a des changements de gouvernement tous les deux ans, avec des attitudes qui peuvent varier. Au contraire des libéraux, les socialistes sont plutôt pragmatiques, ils ne sont plus idéologiquement déterminés.
En Hongrie, la chute du régime a été pacifique, et grâce à Dieu, il n’y a pas eu de guerre civile comme en ex-Yougoslavie. A la fin de la guerre mondiale, c’était tout autre chose.
La Hongrie a connu d’abord une dictature nazie, puis sont venus les «libérateurs», c’est-à-dire les troupes soviétiques de Staline. Cela a été un changement brusque: la nonciature a dû quitter le pays et les relations diplomatiques ont été interrompues jusqu’à leur rétablissement, il y a 15 ans.
Q: L’Eglise, désormais libre, a-t-elle retrouvé ses biens confisqués sous le régime communiste ?
Cardinal Erdö: Non.Malgré la transition démocratique, nous n’avons pas récupéré nos biens de production et nos propriétés foncières nationalisés par les communistes. Nous avons reçu seulement les bâtiments qui étaient utilisés en 1948 pour des fonctions d’utilité publique: hôpitaux, écoles. Nous avons l’obligation de les reprendre pour les mêmes buts, mais il s’agit d’assumer des activités qui dépassent aujourd’hui nos forces en personnel.
Alors que nous n’avions pu conserver que 8 écoles, nous en avons 308 aujourd’hui. Bien sûr, les écoles catholiques – qui scolarisent environ 6% de l’ensemble des élèves – sont subventionnées par l’Etat, mais nous n’avons pas suffisamment d’enseignants catholiques formés. Nous avons désormais une Université catholique à Budapest, l’Université Peter Pazmany, avec 5 Facultés et 8’000 étudiants, une nouvelle Faculté construite dans une ancienne caserne soviétique, ainsi que plusieurs écoles supérieures de théologie.
Q: A part le manque de personnel, à quels autres problèmes êtes-vous confronté ?
Cardinal Erdö: A des problèmes financiers, notamment. En Hongrie, la sécularisation de la période napoléonienne n’a pas eu lieu. Ce qui signifie qu’à part les biens des religieuses, les autres biens fonciers, des diocèses, des paroisses ou autres, ont été conservés jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela signifie que l’Eglise et la société hongroise ont dû passer directement de l’Ancien régime au communisme. Voilà l’une des raisons pour lesquelles nous ne savons pas comment vivre économiquement dans un contexte capitaliste.
L’argent vient de l’Etat pour les fonctions qualifiées d’utilité publique, sans compter qu’en vertu d’un Concordat avec le Saint-Siège, il est prévu, un peu sur le modèle italien ou espagnol, que 1% de l’impôt sur les revenus des personnes physiques peut être destiné à quelques Eglises – parmi les 200 enregistrées officiellement en Hongrie – ou bien versé en faveur d’un fonds étatique. Pour le reste, l’argent vient des fidèles sur une base volontaire (il n’y a pas d’impôt ecclésiastique obligatoire) et aussi en partie d’oeuvres d’entraide internationales.
Q: Certains intellectuels catholiques mettent toutes les difficultés de l’Eglise et de la société hongroises sur le compte de l’héritage communiste, qui a créé un «homo sovieticus» coupé de Dieu et sans valeurs sociales et morales supérieures.
Cardinal Erdö: L’héritage communiste n’est pas la seule cause de l’athéisme. Avant la période communiste, le taux de pratique religieuse connaissait des différences énormes selon les régions. A Budapest, la pratique religieuse était la même qu’aujourd’hui, alors que des régions rurales pouvaient avoir des taux de 80 à 90%.
En matière de sécularisation, il faut tenir compte d’éléments de mentalités très anciens propres à l’Europe centrale et présents au XIXe siècle déjà, en Tchéquie par exemple, mais pas en Slovaquie. L’oppression communiste n’a fait qu’accélérer la sécularisation.
Q: Vous notez des signes de renouveau de la foi, dans une société redevenue libre, mais où les médias profanes et commerciaux – souvent aux mains de journalistes à l’idéologie libérale – se font remarquer pour leurs partis pris antireligieux ou hostiles à l’Eglise.
Cardinal Erdö: Nous ne devons pas avoir peur des médias, car le pape lui- même utilise les moyens de communication sociale modernes. Nous devons les utiliser en se fondant sur une réflexion anthropologique, théologique, en ayant une attitude critique et prophétique. Nous devons lutter pour la dignité de l’homme dans les médias, contre toute manipulation.
Face à cette culture médiatique commerciale omniprésente, qui ne s’oriente pas en fonction des valeurs, mais du profit, nous constatons que c’est dans les grandes villes que l’on remarque les signes d’un intérêt croissant concernant la religion et la foi chrétienne, en particulier chez les intellectuels. Les candidats à la prêtrise viennent désormais en majorité des milieux urbains.
Q: Les sectes prolifèrent depuis la libéralisation née de la loi de 1990 sur la liberté de religion et de conscience et sur les Eglises. Quelle est la réponse des Eglises ?
Cardinal Erdö: Aujourd’hui, l’Eglise catholique et les autres Eglises historiques se concertent et agissent d’un commun accord dans certains domaines. Il est très important, pour notre crédibilité, d’être ensemble dans les médias. Car les petites Eglises tout à fait libres de s’implanter en Hongrie (le cardinal Erdö évite sciemment de parler de sectes, ndr) sont dynamiques. Elles disposent d’un réseau national de télévision dont l’Eglise catholique ne peut que rêver. Elle doit rattraper son retard dans ce domaine, mais manque de moyens financiers.
A la Pentecôte, nous allons lancer une radio catholique nationale, car l’Eglise est tenue d’utiliser tous les moyens disponibles pour propager l’Evangile. Dans le sens de la «nouvelle évangélisation» demandée par Jean Paul II, sur le modèle de Vienne l’an dernier, Paris cette année, Lisbonne l’an prochain, Bruxelles en 2006, nous organiserons une mission dans la ville de Budapest en 2007. JB
La voix d’un jésuite critique: sortir du «ghetto catholique» et dialoguer avec la culture
Le Père jésuite Sajgo Szabolcs est vice-président de l’Association hongroise des journalistes catholiques et directeur du Centre Spirituel et Culturel «Manreza» à Dobogokô, à 30 minutes au nord de Budapest. Il porte un regard critique sur l’Eglise hongroise et prône la sortie du «ghetto catholique» et un véritable dialogue avec la culture.
Apic: Après le changement de régime en Hongrie, il y a eu la tentation dans certains milieux d’Eglise de récupérer le statut antérieur et les anciens biens et privilèges. Les nouveaux défis de la société hongroise ne sont-ils pas ailleurs ?
Père Sajgo Szabolcs: Après 1989 et la fin du régime communiste, les bases d’existence manquaient totalement à l’Eglise pour mener ses activités pastorales; elle manquait de locaux, de moyens de communication, de personnels. Mais le problème est davantage qualitatif: comment faire pour rejoindre les baptisés qui ne sont pas dans l’Eglise ?
Quand on considère les médias catholiques hongrois, ils sont destinés avant tout à ceux qui sont dedans, les convaincus; ils ne s’aventurent pas vers l’extérieur, vers les non croyants. Ils ne dialoguent pas avec la société, la culture, la science. Il est pourtant important de faire connaître le message de l’Evangile à l’extérieur, de donner des orientations concernant les valeurs sociales de base. Dans ce sens, il faut aussi soutenir les journalistes chrétiens qui ne travaillent pas dans les médias de l’Eglise. Ils ne sont pas dans le «ghetto» et peuvent toucher une grande audience.
Apic: On a l’impression que l’Eglise est divisée entre conservateurs et libéraux, mais que nombre d’évêques penchent à droite.
Père Sajgo Szabolcs: Les évêques ont beaucoup souffert de la part du régime communiste, et la tentation est là de préférer le camp conservateur. Il faut dire que ceux qui appartiennent à la gauche politique actuelle sont souvent ceux qui ont participé à la persécution de l’Eglise. C’est à mon avis la cause principale qui explique pourquoi certains évêques sont politiquement à droite, pas à l’extrême-droite, mais en faveur de politiciens conservateurs qui tentent de protéger certaines valeurs.
Dans la situation hongroise actuelle, d’après les valeurs évangéliques, l’Eglise devrait davantage défendre des valeurs sociales. Il y a des villages peuplés quasiment uniquement de catholiques, qui sont allés à la sortie de la messe voter paradoxalement à 60-70% pour les socialistes. La situation est d’autant plus troublée que les anciens communistes du MSZP (Parti socialiste) gouvernent avec les libéraux du SZDSZ (Alliance des démocrates libres), qui ont été anticommunistes. Il s’agit ici d’opportunisme, et la lutte réelle concerne le pouvoir, politique et surtout économique.
Je pense que l’Eglise doit se demander quelle est son identité. Selon les problèmes abordés et les valeurs en jeu, elle se situera une fois à droite, une autre fois à gauche. Selon moi, plutôt que de donner sa préférence à un parti politique, elle doit se concentrer sur son message, sur l’annonce de l’Evangile dans la société de ce temps. JB
Des photos du cardinal Peter Erdö sont disponibles à l’agence Apic Tél. 026 426 48 11,
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