France: Il y a 50 ans éclatait la crise des prêtres ouvriers

Hommage aux «insoumis» et réaffirmation de leur action

Par Laurette Heim, de l’Apic

Paris, 9 mars 2004 (Apic) Il y a 50 ans, dans une France où régnait aussi la peur du communisme, des patrons «très catholiques» dénonçaient devant Pie XII l’action des prêtres ouvriers (PO), une «spécialité plutôt française». Le 1er mars 1954, le pape interdisait le travail en usine pour les PO. Ordonnant du même coup qu’ils quittent tout engagement syndical et reprennent la forme traditionnelle du sacerdoce. La moitié des prêtres vont refuser. La crise éclatait. Au point que les cardinaux Feltin de Paris, Gerlier de Lyon et Liénart de Lille partiront à Rome pour tenter de s’interposer et sauver ce qui pouvait l’être.

50 ans après, le Comité épiscopal de la Communauté Mission de France s’est souvenu. Réaffirmant, par la voix de Mgr Georges Gilson, l’engagement de l’Eglise en France à envoyer des prêtres dans le monde du travail. Rappel historique à l’occasion de ce 50ème anniversaire. D’un engagement des prêtres ouvriers selon lesquels le travail manuel est une tradition de l’histoire du clergé. Leur présence dans la classe ouvrière s’était alors imposée à leurs yeux, pour poursuivre deux buts: vivre dans les mêmes conditions afin de lutter pour les droits des plus faibles dans la société et rétablir le contact entre l’Eglise et les travailleurs.

Tout a débuté pendant la Seconde Guerre mondiale. Les difficultés dans les camps de prisonniers de guerre ou dans le service du travail obligatoire (STO en Allemagne) ont rendu ces prêtres attentifs aux conditions de vie «des gens du peuple». Ils ont aussi remarqué la coupure entre le monde ouvrier et l’Eglise et la déchristianisation de cette partie de la population.

Cette découverte marqua certains prêtres qui souhaitèrent, après la guerre, continuer leur apostolat en partageant le quotidien de ces gens. Avec un argument: la tradition de travail manuel fait partie de l’histoire du clergé séculier et de divers ordres religieux. En effet, rappellent-ils alors, l’Eglise se réclame du Christ «charpentier de Nazareth» et de l’apôtre Paul qui travaillait de ses mains «pour annoncer gratuitement l’Evangile».

Soutien de la part de membres de l’Eglise

Ils furent encouragés par les recherches d’Henri Godin, aumônier jociste (Jeunesse ouvrière chrétienne) de la région parisienne. Ce dernier fonda la Mission de France, séminaire où sont formés des prêtres appelés à vivre dans des secteurs déchristianisés. Surtout, ils furent encouragés et soutenus par le cardinal Suhard archevêque de Paris, qui avait aussi conscience de l’écart entre la théologie enseignée et la responsabilité pastorale. Lui-même fondateur de la Mission de Paris le 1er juillet 1943, il procéda à la création d’une équipe qui partit en mission dans la classe ouvrière parisienne. La présence de ces prêtres impliqués dans le travail avec les ouvriers fut donc un moyen de rétablir le contact entre l’Eglise et ce monde.

L’action des PO se verra encore renforcée par la réflexion théologique du Père Chenu, qui légitimera leur sacerdoce malgré la méfiance, l’hostilité et les dénonciations de catholiques influents en plus des craintes et mises en garde d’évêques français et romains.

Travail et engagement avec les ouvriers

Pour que leur présence soit acceptée dans ces milieux, il fallait que ces prêtres soient eux-mêmes des travailleurs salariés et participent activement dans les associations et les syndicats. Des dizaines de prêtres vont s’engager dans des usines, des docks et sur des chantiers. Les prêtres ouvriers découvrent cette vie, les grèves, en particulier celles de 1947, le compagnonnage avec les militants de FO, de la CGT et du PC. Aggravant par là encore la méfiance de la bourgeoisie française à l’égard de ce courant.

Les PO participent aux manifestations, notamment celle de Paris, le 28 mai 1952 organisée par le mouvement de la Paix où deux prêtres ouvriers sont victimes de violences de la part des forces de l’ordre. Bref, le mouvement prend de l’ampleur. Ils étaient une quarantaine en 1947 et quelques années plus tard, en 1954, une centaine. Si cette pratique peut paraître aujourd’hui révolutionnaire, il faut la remettre dans le contexte, écrit le quotidien français «La Croix» dans son édition du 3 mars 2004, qui consacre un large papier à ce cinquantenaire. «Ces prêtres-ouvriers (PO) n’ont jamais été des contestataires de l’Eglise. Prêtres diocésains pour la plupart, issus de groupes tels que Mission de France, le Prado ou les Fils de la Charité, ils n’ont jamais souhaité créer un nouvel ordre religieux, ni une congrégation à part. Ils ont toujours continué à relever de leurs évêques respectifs», constate en effet le quotidien catholique.

Rome provoque la tempête

En 1952, le séminaire de la Mission de France est transféré de Lisieux à Limoges, puis il est fermé en septembre 1953. En effet, le 23 septembre, Mgr Marella, nonce, informe le cardinal Liénart de la décision du Vatican d’arrêter l’expérience des prêtres ouvriers. «Ils sont un scandale pour les chrétiens et ils font courir un grave péril à l’Eglise».

La peur du communisme règne et des patrons «très catholiques» ont dénoncés cette «spécialité française» à Pie XII. Le 1er mars 1954, le pape interdit le travail en usine pour les prêtres ouvriers, ordonne qu’ils quittent tout engagement syndical et reprennent la forme traditionnelle du sacerdoce. La décision frappe la centaine de PO et une grande partie de l’opinion publique qui ne comprend pas en quoi les prêtres faillissent à leur devoir.

Les cardinaux Feltin de Paris, Gerlier de Lyon et Liénart de Lille partent à Rome pour tenter de plaider et sauver ce qui peut l’être. Même l’écrivain François Mauriac s’engage : «La classe ouvrière, écrit-il, a été la seule fidèle, dans sa masse, à la France profonde.» En pure perte.

Courant progressiste de France stoppé net

En France, on estime alors que c’est tout le courant progressiste de l’Eglise dans le pays qui est écrasé, renforçant l’idée que l’Eglise est liée aux riches et aux puissants bien plus qu’au monde ouvrier. Le 6 février 1954, quatre théologiens dominicains, Chenu, Congar, Boisselot et Feret, accusés de soutenir «les rebelles», sont privés de leurs charges, écartés de Paris, soumis à une censure sévère. Cette interdiction provoque une crise parmi les prêtres ouvriers qui se partagent pratiquement en deux.

Une moitié des PO refuse de se soumettre à ce qu’ils nomment le «diktat romain». Ils quittent l’Eglise pour être fidèle à leur sacerdoce et ne pas trahir leurs collègues. En effet, ouvriers et prêtres sur leur lieu de travail, ils sont aussi délégués syndicaux et luttent pour les salaires, les horaires, les conditions de travail et la sécurité. Un des membres du groupe appelé «les insoumis», Roger Breistroffer quittera même la France pour devenir vicaire à Alger.

D’autres par contre, pour rester fidèles à l’Eglise, quittent leur travail. Tous en resteront marqués ou blessés, n’admettant jamais, pour certains, «cette trahison de l’Eglise».

Vatican II redonne vie à cette forme de sacerdoce

Il faudra attendre la dernière séance du Concile de Vatican II, le 28 octobre 1965, pour voir les évêques français, unanimes, avec l’accord du pape Paul VI, voter en faveur de la reprise officielle des prêtres au travail. Cette décision, également favorisée par le mouvement de «dé- clergification» de l’Eglise qui animait les jeunes prêtres dans les années 68-75, occasionne une nette progression du nombre de prêtres ouvriers.

Alors que ceux-ci n’excédaient pas la centaine dans la première période de l’après guerre, le nombre des PO approchera les 1’000 après cette renaissance. Mais, malgré l’authentification romaine, il est recommandé aux nouveaux prêtres ouvriers de demeurer hors du sillage «des insoumis» dont l’histoire restera longtemps occultée.

En 1990, ces «insoumis» sont enfin invités à participer à une réunion nationale des prêtres ouvriers. Parmi ceux qui avaient choisis de ne pas obtempérer, certains, regroupés autour de Bob Lathuraz, ont pris l’habitude de correspondre et de se réunir plusieurs fois par an. Ce groupe qui a vécu dans l’ombre, a mis en commun leurs réflexions sur les événements de la vie ouvrière et les engagements vécus, sur leur état de tension avec l’institution «Eglise» qui les avait condamnés et sur leur vie spirituelle inspirée de l’Evangile.

A la mort de Bob Lathuraz en 1993, ce groupe réunissait encore Aldo Bardini, Bagnolet, Bernard Chauveau, Maurice Combe, Jean Cottin, Jean Gray, Jean-Marie Huret et Jean Olhagaray. Ce dernier a appartenu à la Mission de Paris et a entrepris un travail pour retrouver les anciens de cette Mission et recueillir leurs témoignages.

L’Eglise dans les quartiers, les cités et les banlieues

Aujourd’hui, du fait de l’évolution des entreprises et de l’économie, les prêtres ouvriers n’exercent plus uniquement dans les métiers manuels. On les appelle d’ailleurs plutôt «prêtres au travail». Beaucoup se retrouvent pour oeuvrer contre les discriminations sociales. Ou dans les luttes contre le racisme, pour le logement ou avec les sans-papiers.

Dans une déclaration du 26 février 2004, Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy, et Mgr Jacques David, évêque d’Evreux, au nom du Comité épiscopal pour la mission dans le monde ouvrier, ont élargi leur réflexion à la nécessité d’une présence de l’Eglise dans les quartiers, les cités et les banlieues.

En 50 ans, l’Eglise a changé, «Mais, même si les prêtres-ouvriers sont moins nombreux et le font différemment de leurs aînés, cette manière de vivre le ministère presbytéral garde toujours sa pertinence au regard de la mission» a conclu le comité épiscopal, peut-on lire dans «La Croix» du 2 mars.

Quelques anciens prêtres-ouvriers ont pour leur part réaffirmé, en date du 15 janvier dernier, que le rejet subi il y a 50 ans, avait renforcé leur lien avec la classe ouvrière. Car selon eux, la vie ouvrière leur était apparue traversée par des valeurs évangéliques révélatrices de valeurs humaines.

Une semaine plus tard, l’équipe nationale des prêtres-ouvriers a adopté à l’unanimité une déclaration pour rendre hommage à ceux qui, en 1954, furent contraints à un choix impossible entre deux fidélités: celle à l’Eglise et celle à la classe ouvrière. «Ils sont notre histoire, nos racines à nous les prêtres-ouvriers d’aujourd’hui» affirment les signataires. «Sans eux, sans leur souffrance, leur espérance, nous n’existerions pas. En ce mois de mars 2004, nous voulons les remercier d’avoir ouvert la voie.» (LH)

Encadré

Le problème de la relève des PO en France n’est pas une mince affaire. Depuis une dizaine d’année, ils attirent seulement 2 nouveaux prêtres en moyenne. Aujourd’hui. Les deux tiers de ceux-ci sont actuellement à la retraite ou en cessation d’activité. En juin 2001, près de 500 prêtres ouvriers s’étaient retrouvés à Strasbourg dans le cadre de leur première rencontre internationale, dont 310 Français. Aujourd’hui, on compte encore près de 500 PO, en France et à l’étranger qui vivent ce ministère. (apic/cx/lh)

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