Suisse: Les instituts religieux souffrent du manque de vocations (II)

Apic-Enquête

A besoins nouveaux, réponses nouvelles

Paul Jubin, pour l’agence APIC

Fribourg, mai 2003 (Apic) Les vocations sacerdotales se font rares dans le clergé diocésain de Suisse, mais les congrégations religieuses souffrent elles aussi du manque de relève. Paul Jubin a pris son bâton de pèlerin pour rencontrer les supérieurs de congrégations religieuses à travers la Suisse. Deuxième volet de notre enquête. (*)

A l’instar du clergé diocésain (*), les congrégations et instituts religieux, missionnaires ou non, connaissent en Suisse une grave pénurie de vocations. Paul Jubin a rencontré un bon nombre de provinciaux (masculins et féminins), visité quelques couvents de contemplatifs et de contemplatives. Il nous présente une photographie de la réalité actuelle chez les religieux, même si elle n’est pas exhaustive.

Chez les chanoines de Saint-Maurice, la moyenne d’âge est de 65 ans

L’Abbaye de Saint-Maurice, fondée en 515, a une longue histoire. La Congrégation des Chanoines de Saint-Maurice existe dans sa forme actuelle depuis le début du 12e siècle. Elle n’a cessé d’assurer la vie de foi de l’abbaye et son rayonnement, l’enseignement aux étudiants, l’engagement pastoral dans la région confiée à l’Abbé. Actuellement, on dénombre 57 Pères et 3 Frères. La moyenne d’âge est de 65 ans. Il faut y ajouter deux profès de 25 et 30 ans, un novice de 27 ans, et 2 postulants ayant déjà une formation théologique.

Le souci des vocations a toujours été une priorité à Saint- Maurice. Ainsi, l’aumônerie du Collège organise une semaine de retraite pour les élèves des 3e et 4e années, avec l’implication de plusieurs chanoines. Des équipes-vocations, composées de parents, de jeunes et d’un prêtre assurent une animation dans les écoles et dans les paroisses sur ce thème.

La valorisation sociale du prêtre ou de la religieuse ont disparu

Le dimanche des vocations reste un point fort ; cette année, le 10 mai, une veillée de prières et une célébration festive avaient lieu à l’Abbaye à 20 h. Le 4 octobre, des marches de jeunes venant de différentes vallées se retrouveront à Sion à l’enseigne du Pèlerinage des vocations. «Devenir prêtre ou religieuse aujourd’hui ne s’accompagne plus de la valorisation sociale et du regard respectueux d’autrefois. La nouvelle évangélisation nous incite à trouver de nouvelles formes pour présenter l’Evangile libérateur dans ce monde post-chrétien, constate le P. prieur Michel Borgeat. C’est comme si nous étions investis d’une nouvelle mission. »

Les Chanoines du Grand-Saint-Bernard existent depuis longtemps puisque l’hospice a été construit au col par saint Bernard de Menton en 1050, pour sécuriser le passage des voyageurs, en toute saison. Depuis lors et aujourd’hui encore, l’hospice n’est jamais fermé à clef. N’importe qui peut y entrer, s’y sentir libre, méditer ou pas. Jadis, les voyageurs perdus dans la montagne trouvaient refuge, nourriture et soins à l’hospice. Actuellement, on y reçoit les gens. perdus dans la vie, en quête de simplicité et parfois d’un Tout Autre, mais aussi des jeunes passionnés de surf ou d’alpinisme.

Des gens perdus dans la vie ou en quête d’un absolu

A leur intention, des week-ends et des pèlerinages de montagne sont organisés, avec des temps fort à Noël, à Pâques et en été. L’effectif actuel des Chanoines du Grand-Saint-Bernard est de 56, et chaque décennie est représentée. A ce nombre viennent s’ajouter 2 candidats à l’oblature, un novice de 22 ans, un profès temporaire et trois familiers (un laïc et deux prêtres n’appartenant pas à la congrégation mais liés à la communauté des chanoines).

Néanmoins, l’effectif global diminue lentement. Ainsi, après 50 ans de présence, il a fallu quitter le Collège Champittet à Pully, près de Lausanne. C’était en 2000. En dehors du pays, 6 chanoines se trouvent en Vallée d’Aoste (sur le versant sud du Grand-Saint-Bernard) et 4 sont encore en Chine (à Taïwan) depuis les années 1930. Les chanoines avaient été chassés de Chine populaire (du Yunnan) et des marches tibétaines en 1952. Presque tous les chanoines sont Valaisans. Aussi la relève s’effectue-t- elle naturellement, à partir de l’humus des paroisses du canton, tant les liens avec la population sont étroits. «Certes, nous devons accompagner le peuple fidèle des pratiquants, mais nous devons aussi inventer des rencontres, des formes de dialogue et de mission auprès des mal croyants ou des incroyants. J’aime rencontrer les mal croyants, affirme avec un large sourire le Prévôt Benoît Vouilloz. La baisse du nombre de vocations ne me rend pas pessimiste ou défaitiste. Au contraire, peut-être est-ce un appel à une nouvelle ferveur apostolique. Nous devons rester des témoins pour notre temps.»

Cisterciens, Carmes et Carmélites: chez les contemplatifs la relève est mieux assurée

Chez les contemplatifs, c’est bien connu, la relève est mieux assurée, même si elle ne s’avère pas massive. Chez les Cisterciens, que ce soit à l’abbaye d’Hauterive, à la Fille-Dieu de Romont, à la Maigrauge à Fribourg, à Notre-Dame de Fatima, à Orsonnens ou ailleurs, des jeunes partagent la vie moniale ou s’y préparent. La communauté d’Hauterive abrite aujourd’hui 22 moines. Plus de la moitié ont moins de 50 ans et le plus jeune en a 27. En 1979, les moines vietnamiens qui avaient trouvé refuge chez leurs frères des bords de la Sarine, ont fondé leur propre monastère à Orsonnens, dans le district de la Glâne, où ils sont au nombre de 16.

«Comment nous trouvons de nouvelles forces ? Nous ne faisons rien, c’est peut-être notre secret, relève l’Abbé Mauro Lepori. Nous offrons des séjours de silence ou de retraite au contact de notre expérience de vie monastique. Le fait que notre vocation n’est pas liée à des tâches pastorales ou caritatives précises, mais se concentre sur la recherche du sens de la vie, de l’amour de Dieu et de la charité fraternelle en communauté, demandent moins d’adaptation à l’évolution de la société. La recherche de l’Absolu par le coeur de l’homme est la même depuis toujours. Ce qui évolue c’est plutôt la forme par laquelle notre expérience est en dialogue avec le monde. Mais nous constatons que les vocations viennent et restent dans la mesure où nous demeurons fidèles au coeur invariable de notre expérience monastique au service de l’Eglise.» Dans le monde, l’Ordre de Cîteaux compte 3’200 moines et moniales. Les communautés enregistrent un nombre réjouissant de nouvelles vocations au Vietnam, mais moins en Europe.

A Fribourg, les Carmes Déchaux sont arrivés de Belgique en 1978, attirés par l’Université. Depuis 1991, ils sont rattachés à la Province d’Avignon-Aquitaine, où les ¾ de l’effectif sont entrés ces 20 dernières années. Au Couvent des Carmes de la capitale fribourgeoise, 8 religieux s’épanouissent dans leur vie spirituelle. Leur moyenne d’âge ? 34 ans ! L’âge du prieur ? 35 ans ! Parmi les aspirants à la vie carmélitaine, deux jeunes Suisses se préparent. L’un prononcera ses voeux solennels cet automne, l’autre finit sa quatrième année de théologie.

Le groupe de jeunes «Maranatha» : pas besoin d’aller dans un ashram en Inde

La communauté accueille des étudiants et chemine avec eux. Le groupe de jeunes «Maranatha» propose des rencontres bimensuelles, des camps d’été, des sessions pour étudiants et apprentis. Une école d’oraison est proposée à ceux qui souhaitent approfondir leur dialogue intime avec Dieu. «Il importe d’accepter les jeunes tels qu’ils sont et non pas comme on voudrait qu’ils soient, souligne le prieur Jean Emmanuel. Beaucoup voudraient vivre une expérience concrète et personnelle. Pas besoin d’aller en Inde dans un ashram, ici on trouve la même chose ! Par l’authenticité de notre vie contemplative, nous leur donnons un témoignage vivant. Les jeunes très pressés ne viennent pas chez nous, mais ceux qui donnent du temps au temps. »

Dans le monde, on dénombre environ 4’000 Carmes Déchaux. C’est à souligner: le quart, soit un millier, se trouvent en Inde.

«Les vocations ? Ce n’est pas notre affaire, c’est un don de Dieu»

A Notre-Dame du Carmel, au Pâquier, la communauté se compose de 25 moniales dont 3 au noviciat : deux d’entre elles se préparent aux voeux définitifs et une autre est postulante. Deux candidates et une stagiaire complètent l’espoir de la relève. Au Carmel de Develier, on compte 21 moniales avec quatre novices. Dans les deux couvents, toutes les tranches d’âge sont représentées. Comme dans les autres communautés de contemplatives, les carmélites vivent dans la discrétion et dans cette solide certitude: la vie avec Jésus rend heureux de la vraie joie !

«Les vocations ? Ce n’est pas notre affaire, c’est un don de Dieu, lance la prieure Mère Véronique. Et nous savons que pour les vocations de carmélites, la petite Thérèse de l’Enfant-Jésus est très agissante ! Pour les vocations en général, les agents pastoraux et les religieux sont-ils assez inventifs ? Ose-t-on encore proposer ouvertement une vie avec Jésus ? Sait-on donner envie ? Les communautés apostoliques doivent davantage répondre aux besoins d’aujourd’hui et discerner dans quels lieux leur présence s’impose. Quelle congrégation religieuse a, par exemple, formé des psychologues, des animateurs de rue, des frères ou des soeurs chargés de l’accueil des émigrés, des drogués, des sidéens, ou des personnes en difficulté psychologique ? Pour notre part, notre Maison d’accueil reçoit des hôtes qui désirent vivre un temps de ressourcement, et cela sans distinction de confessions. Ils peuvent partager notre vie prière silencieuse et liturgique. Et ils peuvent aussi découvrir ce qui nous habite : l’Amour.sans oublier la joie et l’humour qui sont nécessaires dans notre monde aujourd’hui !»

Dans les pays du Sud, les monastères du Carmel sont très florissants, surtout en Inde et en Amérique latine. En France, il y a trop de Carmels et pas assez de Carmélites. Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les communautés s’étaient multipliées dans l’Hexagone. Trop. Au point qu’aujourd’hui, elles doivent se regrouper.

Un regroupement inter-noviciats pour accueillir les jeunes

Dans les congrégations féminines d’Europe, la moyenne d’âge est également élevée. Les responsables s’interrogent sur la manière d’accueillir les jeunes. Elles sont décidées à créer un regroupement inter- noviciats, afin que les nouvelles forces trouvent un environnement propre à leur âge et non seulement une communauté de Soeurs en âge d’être grands- mères !

Chez les Soeurs d’Ingenbohl, où la moyenne d’âge se situe en Suisse au-dessus de 60 ans, il n’y a en ce moment aucune novice ni aucune postulante, mais deux candidates. Par contre, dans les autres pays européens, on compte 25 novices, postulantes et candidates. Dans les territoires de mission, les communautés sont riches en jeunes recrues.

«Pour la relève en Suisse, c’est la ’cata’, plaisante Soeur Marie- Agnès, provinciale ! Pourtant, l’Institut des Soeurs d’Ingenbohl, fondé en 1856, a sa maison mère dans notre pays ! Nos trois provinces en Inde se développent, la même vitalité est notoire en Afrique, au Brésil, à Taïwan, par exemple. Quelques pays de l’Europe centrale et de l’Est ont moins de soucis du côté des vocations. Et nous sommes fières que déjà, des Soeurs du Sud partent ailleurs en mission. Ainsi, nos Soeurs de l’Inde sont actives en Ouganda ! »L’Institut comptait 6’700 Soeurs il y a vingt ans, puis 5’489 il y a dix ans pour arriver aujourd’hui à 4’339. Les forces venues du monde occidental diminuent rapidement tandis que les «jeunes Eglises» sont en situation ascendante. Les Soeurs d’Ingenbohl ont pris l’option d’une pastorale de proximité en se mettant au service de chacun, quelles que soient son origine et ses convictions religieuses.

On se marie plus tard.et on entre dans les ordres plus tard

Les religieuses restent cependant bien présentes en Suisse. Elles sont au nombre de 4’259 (contre 1811 religieux), sans compter 1’087 contemplatives. Aujourd’hui, les candidats, tant masculins que féminins, ne sortent plus automatiquement des écoles de mission ou des petits séminaires. On se marie plus tard.et on entre dans les ordres plus tard. Une bonne partie des candidats actuels ont entre 25 et 40 ans ! Néanmoins, les Centres de vocations restent actifs chez les jeunes et déterminants.

«Autrefois, on devenait religieux ou religieuse pour répondre aux besoins de l’éducation, de la santé ou de la société. Aujourd’hui, la société civile prend ces secteurs en charge. Nous devons actuellement répondre aux besoins spirituels de nos concitoyens, insiste Soeur Anne- Thérèse Wysmüller, secrétaire de l’Union des supérieures majeures de Suisse romande. A besoins nouveaux, réponses nouvelles. Nous devons incarner la vie religieuse dans cette société en pleine mutation. C’est une chance pour demain ! La vie religieuse du XXIe siècle doit trouver les moyens d’être le révélateur des valeurs fondamentales, permettre à chacun d’aller jusqu’à la Source. Nous devons améliorer nos moyens de communication, les moderniser, pour partager notre héritage spirituel. Dans la discrétion et la modestie ! Dans cette perspective, nous avons parfois à nous libérer du poids du passé. »

Grandes communautés traditionnelles et communautés nouvelles

Les candidats à la vie religieuse ont aujourd’hui le choix entre les grandes communautés traditionnelles et les communautés nouvelles. Celles-ci accueillent parfois des couples et des célibataires, d’autres des religieux et des laïcs, ou bien des engagés à vie avec des engagés temporaires. Les anciennes communautés ont hérité un trésor, elles doivent le partager avec les communautés nouvelles (telles le Verbe de Vie, les Béatitudes, les Focolari, etc.), dans un souci de complémentarité.

Certes, le nombre des vocations religieuses diminue en Suisse et en Europe. Bien des raisons justifient cette baisse sensible. Il convient de rappeler que le nombre d’enfants dans une famille s’est fortement réduit. Autrefois, un fils ou une fille par famille optait traditionnellement pour la vie religieuse dans les régions christianisées. Dans les hôpitaux et les services de santé, la société civile engage aujourd’hui le personnel civil adéquat. L’alphabétisation s’est généralisée à tel point que les religieux n’ont généralement plus à couvrir des carences dans l’enseignement, fut-il spécialisé. Les éducateurs, les psychologues et autres spécialistes, toujours plus nombreux, répondent aux besoins sociaux de nos contemporains, en dehors de la sphère religieuse. La déchristianisation de la société a forcément engendré un affaiblissement des vocations.

Escale bienfaisante

Les religieux, loin d’être inquiets, cherchent à répondre, avec leurs forces disponibles, aux réalités actuelles et aux besoins spirituels de notre époque, besoins croissants, à l’évidence. Ils ne se cantonnent pas dans une tradition héritée des fondateurs, mais cherchent des voies nouvelles dans le champ d’évangélisation de nos contemporains, même en dehors du cultuel et de la catéchèse, c’est-à-dire en dehors de l’institution ecclésiale, au coeur même de la société civile. Ils savent que les hommes et les femmes de notre temps ressentent un monde de stress et d’excitation, qu’ils aspirent à la détente, au repos, à trouver un sens à leur vie, et même à faire l’expérience de Dieu en dehors des chemins habituels.

Dans la plupart des maisons religieuses, toutes les personnes en recherche sont bienvenues. Dans une ambiance de calme et de paix souriante, elles peuvent trouver leur identité profonde et se rapprocher de la Source. Elles ont également la possibilité d’avoir un entretien ou un accompagnement spirituel. Une brochure a été éditée à leur intention, avec toutes les adresses possibles et les caractéristiques des maisons d’accueil pour une escale bienfaisante. PJ

(*) Voir le premier volet, Apic N° 135

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