Rome: Publication des Actes relatifs au symposium sur l’Inquisition,

APIC Interview

Le sens des demandes pardon de l’Eglise, selon le P. Garrigues

Propos recueillis par Antoine Soubrier pour l’APIC

Rome: 3 décembre 2002 (APIC) Le Père Jean-Miguel Garrigues, auteur de la conclusion des «Actes du symposium historique sur l’Inquisition», plaide pour l’importance de la demande de pardon de l’Eglise concernant l’intolérance religieuse. Il distingue cependant une organisation condamnable en soi, comme l’Inquisition, de la peine de mort acceptable «sur le principe».

Les Actes du symposium historique sur l’Inquisition, qui s’était déroulé au Vatican du 29 au 31 octobre 1998, seront publiés en italien, ces prochains jours, par la Librairie Editrice Vaticane. La conclusion de ce livre, intitulée «L’Eglise pénitente pour le consentement donné par ses enfants à l’intolérance et à la violence religieuse», a été rédigée par le Père Jean- Miguel Garrigues, théologien français.

APIC: Peut-on réduire l’Inquisition à la seule histoire de l’Eglise ?

Père Jean-Michel Garrigues: C’est un danger que de prétendre le faire. Aux 16ème et 17ème siècles, les tribunaux civils des princes chrétiens, qu’ils soient catholiques ou protestants ont persécuté pour raisons religieuses des hérétiques, des juifs, des sorciers, voire des savants, tout autant que les tribunaux de l’Inquisition romaine, espagnole ou portugaise. L’empire romain chrétien, en occident et en orient, puis l’empire byzantin l’avaient fait bien avant eux. Pour étudier cette demande de pardon, il a donc été nécessaire de prendre attentivement en considération les conditionnements culturels et politiques de l’époque, car ils jouent comme circonstances atténuantes sans pour autant annuler le responsabilité morale.

APIC: Peut-on assimiler le principe de l’Inquisition à la peine de mort encore en vigueur dans certains pays aujourd’hui ?

Père Jean-Michel Garrigues: La peine de mort, comme l’Eglise l’a traditionnellement enseigné notamment à travers le Catéchisme de l’Eglise catholique, n’attente pas par elle-même à un droit fondamental de la personne humaine. Même si elle rappelle en même temps qu’aujourd’hui les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable «sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants», elle n’exclut pas pour autant par principe que la justice pénale, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont juridiquement vérifiées, ait le droit d’avoir recours à la peine de mort, si celle-ci s’avère être l’unique moyen praticable pour «protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains».

En revanche, le mécanisme inquisitorial est intrinsèquement attentatoire au droit naturel que l’Eglise reconnaît à la personne humaine, c’est-à-dire à l’immunité de contrainte extérieure, dans de justes limites, en matière religieuse, de la part du pouvoir politique. Il s’en suit que l’hétérodoxie religieuse ne peut pas être jugée en elle-même comme un crime dans la société civile, à la différence de ceux que la justice pénale peut, en dernière instance, réprimer par la peine de mort.

APIC: Comment comprendre que certains docteurs de l’Eglise aient accepté l’Inquisition et qu’ils en aient même démontré le bien-fondé ?

Père Jean-Michel Garrigues: St Augustin et St Thomas d’Aquin, entre autres, ont accepté et cru justifier le principe inquisitorial de la persécution religieuse parce qu’ils ont été conditionnés par leur contexte culturel qui, en l’occurrence, était une structure de péché obscurcissant la conscience morale non de l’Eglise mais de leur milieu chrétien historique. Par son acte de repentance dans ce domaine, l’Eglise signifie qu’ils ne sont pas saints et docteurs à cause de cela mais malgré cela. Jean-Paul II a lui-même rappelé, le 3 septembre 2000 lors de la béatification du pape Pie IX, qu’en «béatifiant l’un de ses fils, l’Eglise ne glorifie pas les choix historiques particuliers qu’il a faits, elle propose plutôt qu’il soit imité et vénéré pour ses vertus en célébrant la grâce divine qui brille en elles».

APIC: Vous écrivez que les documents qui donnent sa base canonique à l’Inquisition, «peuvent tout au plus comporter des engagements non- définitifs du Magistère doctrinal»: quelle nécessité, alors, d’une demande de pardon ?

Père Jean-Michel Garrigues: Des enseignements non-définitifs et donc non- infaillibles du Magistère, même s’il n’exigent pas l’adhésion de foi des fidèles exigent néanmoins d’eux un assentiment religieux de la volonté, comme l’a demandé le concile Vatican II, ce qui oblige à l’obéissance. Quand cette obéissance a égaré des consciences ou a été abusivement obtenue par la coercition venant du pouvoir politique, comme c’est le cas pour l’Inquisition, l’Eglise doit demander pardon pour le consentement théorique et pratique donné par certains de ses ministres à des méthodes d’intolérance et même de violence dans le service de la vérité qui constituent de véritables formes de contre témoignage et même de scandale. SH

Encadré

Le symposium historique sur l’Inquisition

Promue par la Commission théologique et historique du grand Jubilé de l’an 2000, cette rencontre avait permis à une trentaine d’experts internationaux d’étudier le contexte et les fondements de l’Inquisition. Cette recherche a notamment abouti, le 12 mars 2000, à une demande officielle de pardon par Jean-Paul II, au nom de l’Eglise catholique, pour, en particulier, les fautes d’intolérance, de guerres de religion, d’injustices pendant les croisades, de méthodes de coercition utilisées par l’Inquisition ou encore de persécutions et de divisions. (apic/imedia/sh)

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