Consistoire pour la création de 44 cardinaux: dans les coulisses d’un magasin spécialisé

APIC reportage

Histoire et évolution du «trousseau» des cardinaux

De Rome, Antoine Soubrier, agence I.Media

Rome, 19 février 2001 (APIC) 44 nouveaux cardinaux seront créés par le pape Jean Paul II au cours du consistoire ordinaire qu’il tiendra mercredi 21 février à 10h 30 sur le parvis de la basilique Saint-Pierre à Rome. Le lendemain jeudi, fête de la Chaire de saint Pierre, le pape présidera l’eucharistie solennelle, Place Saint-Pierre, avec les nouveaux cardinaux auxquels il remettra leur anneau.

Reportage à Rome, sur les habits des cardinaux, sur l’évolution de leur «trousseau» dans l’histoire, mais aussi pleins feux sur un magasin romain spécialisé en la matière, et sur les prix pratiqués. Evocation enfin des légendes qui circulaient naguère, lorsqu’à la mort d’un cardinal, son chapeau était accroché au bout d’un fil sur la voûte de sa cathédrale. La croyance populaire disait volontiers que l’âme du cardinal montait au ciel le jour où le chapeau tombait de sa voûte. Problème: à la cathédrale de Bourges, en France, deux chapeaux de cardinaux y sont encore et toujours suspendus…

Le jour du consistoire, le 21 février 2001, les futurs cardinaux revêtiront pour la première fois la couleur rouge, qui les différencient des évêques ­ couleur rose. Pour se procurer ces nouveaux habits, les futurs cardinaux doivent se rendre avant le consistoire dans des magasins spécialisés qui n’existent qu’à Rome. Facilement reconnaissables à leurs vitrines décorées de rouge et de noir pour l’occasion, quatre de ces magasins sont situés dans le vieux centre de Rome. Euroclero, le plus connu, est situé en face de la congrégation pour la doctrine de la foi, à quelques pas de la Place Saint-Pierre.

La salle du tailleur

Accueillant d’ordinaire des prêtres, des religieux ou des religieuses, les employés du magasin ­ tous des laïcs -, ont préparé l’événement à leur manière. Une grande salle, appelée la «salle du tailleur», a été ouverte au premier étage, où sont directement conduits les futurs cardinaux qui entrent dans la boutique pour la constitution de leur «trousseau».

Une centaine de soutanes noires, rouges et blanches pendent le long des murs. Cousues grossièrement, elles sont ce que l’on appelle une «preuve», une sorte de patron constitué après la prise des mesures et qui servira par la suite à tailler les autres soutanes. Quelques jours avant le consistoire, le cardinal devra repasser pour essayer cette «preuve» pour que le tailleur puisse faire les finitions.

Les soutanes rouges sont utilisées pour les grandes cérémonies. Elles sont toujours portées avec la mosette rouge par-dessus ­ équivalent d’une soutane arrivant à la poitrine. Les soutanes noires filetées de rouge ­ boutons et coutures rouges -, quant à elles, sont «à usage quotidien», au même titre que les soutanes blanches également filetées de rouges, qui servent aux cardinaux africains.

Des essayages à la «preuve»

Une étiquette portant le nom du propriétaire est accrochée à chaque soutane pendue dans la «salle du tailleur». En y regardant de plus près, on découvre les noms des futurs cardinaux inscrits sur chacune d’entre elles: Louis-Marie Billé – archevêque de Lyon en France -, José da Cruz Policarpo – patriarche de Lisbonne au Portugal -, Severino Poletto – archevêque de Turin en Italie -… Elles sont récupérées quelques jours avant le consistoire, afin de permettre au tailleur d’arranger les finitions au cas où la «preuve» n’aurait pas été à la bonne taille.

Pour les évêques qui ne peuvent pas se déplacer pour faire les «essayages», il leur est possible de passer la commande par téléphone. Mais ils doivent cependant passer pour l’étape des finitions.

Outre les soutanes, le trousseau «cardinalice» compte une dizaine d’éléments. Parmi eux, les boutons en soie rouge «qui permettent de faire la différence entre un évêque et un cardinal lorsqu’ils rentrent chez nous», explique un employé d’Euroclero. Quant aux chaussettes, rouges également, il y en a en laine et d’autres en coton, suivant la saison. Il y a également les mitres, parmi lesquelles les futurs cardinaux peuvent choisir la qualité, bien qu’elles doivent toutes avoir la même forme (celle d’un pignon de pomme de pin, d’où le nom de mitre «pignon»). Parmi les autres accessoires indispensables, il y a la ceinture en pure soie moirée, le cordon or et rouge pour la croix, ainsi que la calotte et la barrette de même tissu.

Quant au rochet ­ sorte d’aube blanche arrivant au genou et se mettant par-dessus la soutane rouge et sous la mosette ­, les cardinaux ont le choix entre deux modèles. Le modèle «Vatican», tout d’abord, simple, avec quelques décorations discrètes dans le bas, mais identique pour tous. Il est utilisé pour les grandes cérémonies romaines, et se met donc avec la soutane rouge. L’autre modèle, dit «normal» ­ utilisé en temps ordinaire -, est plus compliqué, avec ces dentelles «fait main», et des décorations.

Question de prix

La barrette, quant à elle, dont la taille se prend en centimètres (55 à 61) est identique pour tous. Elle est remise aux évêques le jour même du consistoire. Longtemps, elle a été le symbole du passage de l’épiscopat au cardinalat, au moment où le pape la pose sur la tête du nouveau cardinal. Petite toque carrée à trois cornes ­ dont l’ancêtre était un simple chapeau mou recouvrant les oreilles et la nuque, et dont l’objectif était purement pratique -, les cardinaux n’ont cependant presque jamais l’occasion de la porter.

Souvent accompagnés par une religieuse ou un prêtre, il arrive aux futurs cardinaux de passer plusieurs heures dans le magasin au moment de la taille de la «preuve». Quant au paiement, il se fait une fois les soutanes récupérées par leur propriétaire. La communauté ivoirienne présente à Rome, par exemple, s’est cotisée pour offrir au futur cardinal Bernard Agré, archevêque d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, tout son trousseau. Le futur cardinal Jean-Baptiste Re, préfet de la Congrégation pour les évêques, de son côté, se verra offrir sa calotte par les membres de sa Congrégation.

Il faut compter entre 20’000 francs français (5’800’000 lires) et 35’000 FF pour un trousseau complet. Les prix varient en fonction des goûts de chaque cardinal (le rochet en dentelle, plus ou moins «chic», varie de 1000 FF à 14’000 FF; la mitre, également, existe à différents prix), mais aussi en fonction de l’endroit d’où ils viennent. Par exemple, un cardinal africain peut se procurer, en plus des soutanes rouge (6’300 FF) et noire (3’500 FF, la soutane blanche filetée de rouge, dont le prix est sensiblement identique à la noire. Quant à l’anneau, il est offert par le pape qui le leur remet officiellement lors de la cérémonie du consistoire.

Les chapeaux des cardinaux et leurs âmes

La manière dont s’habille un cardinal aujourd’hui a beaucoup évolué, notamment depuis que Paul VI a minimisé l’importance des «règles d’habillement et de bienséance», en 1969, pour mettre l’accent sur «la valeur spirituelle» de la fonction. Au cours des siècles, l’aspect symbolique a également changé.

Au 13ème siècle, Innocent IV avait instauré le large chapeau de cardinal, le «galero», simplement pour des questions de commodité. En effet, les cardinaux se déplaçant à cheval, il fallait trouver un système pratique pour les protéger de la pluie et du soleil. Ce chapeau permettait par ailleurs de tenir la «capa magna», une grande cape qui recouvrait à la fois le cardinal et la croupe du cheval. Cette même cape a été raccourcie par Pie XII, puis supprimée par Paul VI.

Quant au chapeau, il tenait à l’aide d’un cordon qu’ils serraient autour du cou à l’aide de «glands» qui sont devenus, plus tard, le symbole de la hiérarchie cardinalice. A la mort d’un cardinal, le chapeau était accroché au bout d’un fil à la voûte de sa cathédrale, la légende populaire disant que l’âme du cardinal montera au ciel le jour où le chapeau tomberait. A la cathédrale de Bourges en France, par exemple, deux chapeaux de cardinaux sont ainsi toujours pendus à la voûte.

Au 15ème siècle, le pourpre, couleur jusqu’alors réservée aux empereurs romains, est devenu la couleur officielle des cardinaux. Le pape lui-même était habillé de pourpre. La couleur blanche est arrivée avec Pie V, qui avait voulu garder l’habit de l’ordre des moines dominicains, dont il était issu. Il faisait ainsi sienne la tradition selon laquelle seuls les cardinaux originaires d’ordres monastiques mendiants (franciscains, dominicains, carmes, et bénédictins) avaient l’autorisation de porter leur habit monastique. Ils devaient toutefois porter la calotte, la barrette et le chapeau rouges.

Quand le pourpre passe au rouge vif

D’autres couleurs devaient par ailleurs être portées, suivant le temps liturgique – violet pendant le carême et l’avent, rose pour certaines fêtes. Ce n’est que beaucoup plus tard ­ vers le 19ème siècle – que le pourpre est passé au rouge vif et que sa signification en a été modifiée pour finalement symboliser la fidélité qui leur est demandée, et qui doit aller jusqu’au martyre.

Au moment de l’instauration de la couleur pourpre, vers la moitié du 15ème siècle, les premiers cardinaux de rite byzantin étaient créés. La couleur pourpre étant le privilège de l’archevêque de Chypre ­ privilège qu’il a toujours, et qui lui donne notamment le droit de signer en rouge -, ces cardinaux ont refusé de la porter, par respect pour l’archevêque de Chypre. Depuis, aucune tenue particulière n’a été fixée pour les cardinaux de rite oriental.

Privilèges

Par tradition, ils sont issus d’ordres monastiques, car en Orient, seuls les moines sont tenus de rester célibataires. La plupart des cardinaux de rite oriental étaient donc vêtus de leur habit. Depuis le premier cardinal oriental ­ 15ème siècle -, des habits très différents ont ainsi vu le jour. Entre ceux qui conservaient leur habit monastique et ceux qui utilisaient des vêtements liturgiques de leur rite mais de couleur rouge, aucune règle n’a été établie.

Cette question a été posée une nouvelle fois dans les couloirs du Vatican ces derniers jours, avec la création prochaine de deux nouveaux patriarches – le patriarche Ignace Moussa I Daoud, préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales, Syrien, et le patriarche égyptien Stéphanos Ghattas, patriarche d’Alexandrie des Coptes. Une note a proposé notamment que ces derniers conservent leur habit monastique ­ afin de garder leur caractère propre -, «pour des raisons œcuméniques», tout en essayant de trouver une certaine cohérence entre eux. (apic/imed/pr)

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