Une carrière bâtie sur des «appels d’air»
Pablo Davila, pour l’APIC
Lausanne, 29 avril 2001 (APIC) André Kolly est le directeur du Centre Catholique de Radio et de Télévision (CCRT), à Lausanne, depuis 1988. Retranché dans son petit studio insonorisé, il se raconte avec sa voix «radiophonique». L’homme apparaît derrière le journaliste «obsédé par le réel». On découvre un passionné d’histoire, un admirateur du pape Jean XXIII, un homme d’une grande sensibilité dont la carrière a été faite d’»appels d’air»successifs.
«Dans le fond, ceux qui disent les choses avec le plus de conviction et de force, ce sont des gens qui n’ont aucune préoccupation d’eux-mêmes. On retrouve cela chez les contemplatifs. André Kolly évoque pour l’APIC les moments de grâce de son métier de journaliste. Mais il se rappelle d’abord que lorsqu’il était collégien, il disait qu’il y avait deux métiers qu’il ne ferait jamais: celui commerçant et celui journaliste. Il ne se voyait pas en situation perpétuelle de négociation, comme quelqu’un qui a toujours quelque chose à placer. Il se destinait plutôt à l’enseignement. Inscrit en faculté de théologie à Fribourg, il a également suivi des cours de pédagogie et de philosophie. Et finalement des cours à l’Institut de journalisme, sous l’impulsion de son ami, l’abbé José Barò.
APIC: Comment l’étudiant en théologie, qui pratiquait le journalisme en branche annexe, est-il devenu le directeur de la CCRT?
André Kolly: Je me suis laissé guider. Enfant, je ressentais une profonde angoisse à l’idée de décider ce que je ferais quand je serais grand. Plus tard, je me suis contenté de répondre à des demandes. L’une m’a fait attaché de presse du Synode 72’ et l’autre conseiller d’études en faculté de théologie. Le Synode à peine terminé, on m’a prié d’entrer à la radio. Je ne savais pas vraiment où j’allais…, mais j’y suis allé! Avec ma femme et ma première fille, nous nous sommes installés à Lausanne. Puis, en 1988, comme j’hésitais à devenir le directeur du CCRT, Pierre Mamie est venu chez moi afin de «m’aider» à accepter la succession d’André Babel.
Si je fais de la télévision, c’est qu’il y a eu un «appel d’air»… Ma vie n’obéit donc pas à un projet professionnel, à un plan de carrière. J’ai accepté des requêtes, voilà tout. J’ai également suivi le courant pour les bulletins paroissiaux à Saint-Maurice. Un jour, on m’a demandé un article sur le Synode, et puis un autre, et puis d’écrire un dossier sur le canton de Fribourg, puis de faire partie de la rédaction… et je suis devenu rédacteur responsable. Je le suis resté une dizaine d’années. C’était d’ailleurs une belle époque. Ca me permettait, une fois par mois, de refaire le monde avec la rédaction, particulièrement à l’heure du repas.
APIC: Quels ont été vos débuts au Centre catholique de radio et télévision?
André Kolly: J’ai eu la chance de disposer d’un répertoire de compétences dès le départ. Ayant vécu le Synode, je connaissais à peu près un millier de personnes au sein de l’Eglise. Le laïc que j’étais a donc pu entrer aisément en fonction au sein du CCRT. C’était en janvier 1976. J’ai participé à une première émission le 2, et puis à une autre le 3. A l’époque, on se mettait très vite à la besogne… Cela dit, au CCRT, je me suis demandé d’emblée si j’allais faire de «l’information religieuse» ou de la «formation religieuse». J’ai toujours eu de la peine à entrer dans ce débat, car la formation religieuse dans le service public apparaissait comme le prolongement médiatique du catéchisme. Je n’étais pas très à l’aise avec cette formule.
APIC: Quelle était alors votre vision de l’information?
André Kolly: J’ai toujours prétendu que l’information était en elle-même porteuse de convictions: on essaye objectivement d’interviewer quelqu’un, objectivement de traiter un dossier. Au travers de cet effort, les parts de témoignage et d’enseignement apparaissent. Au vu de l’évolution des médias et de notre insertion dans le service public, au cœur de l’information tout court, ce genre de question ne se pose plus.
APIC: Quel genre de journaliste êtes vous?
André Kolly: Je me vois comme une sorte de «miroir» ou de «pont». Je me retrouve moins dans le journalisme d’investigation. Je suis un journaliste obsédé par le réel. Si je dis par exemple que Redemptor hominis, la première encyclique du pape Jean Paul II, est magnifique, c’est parce que je le pense vraiment que ce document touche juste – et non pour faire plaisir. Je ne cherche pas non plus à faire plaisir à qui que ce soit, en disant que tel autre document me paraît médiocre, mal écrit ou avoir manqué son but.
APIC: Votre rôle n’est-il pas d’analyser, de décoder puis de reformuler l’actualité religieuse afin de la rendre accessible au grand public?
André Kolly: En rappelant toutefois que mon analyse est forcément subjective. Cela dit, avec le temps, on analyse l’actualité de manière plus fiable. Récemment, on disait à propos de la création de 44 cardinaux: «Le pape est obsédé par sa succession, il quadrille le terrain en mettant en place les pions!». Pour ma part, je n’oublie pas que les cardinaux qui ont élu Jean XXIII ont été créés par Pie XII – ce qui n’a pas empêché un certain changement de style. Donc de prétendre que Jean Paul II «prépare le terrain» ne me paraît pas une analyse suffisante. Parfois on se laisse emporter par des préjugés, ou des convictions diverses qui nous empêchent de lire la réalité… même si elle est mise en chiffres. On a par exemple lancé des analyses hâtives à propos de la proportion de latino-américains au sein du collège cardinalice. Or ils ne représentent que 20% des cardinaux-électeurs, soit une augmentation insignifiante de la proportion par rapport au précédent consistoire. Je peux passer pour un rationaliste, mais j’aime regarder les faits, les résultats tangibles.
APIC: Mais vous n’êtes pas seulement un rationaliste…
André Kolly: Non, pas seulement (sourire). Je suis en même temps extrêmement sensible aux valeurs spirituelles profondes qui passent à travers les gens. Il y a des moments de grâce dans notre métier (silence)… Je songe à ma première rencontre avec le Père Congar, dans sa toute petite chambre, alors qu’il donnait une session… J’étais assis sur son lit, et lui sur une chaise. C’était un moment grandiose pour moi. C’était impressionnant d’avoir affaire à un homme qui racontait sa vie, et sa théologie dans la vie – et qui le faisait avec une telle simplicité… Ma rencontre avec l’abbé Pierre m’a aussi profondément marqué. C’était à une époque où il n’était pas encore très connu en Suisse. «Ne vous inquiétez pas, m’avait-on dit, vous verrez, c’est quelqu’un qui n’est pas fier…» Il ne se préoccupait même pas des questions que j’allais lui poser. Il était dans une totale transparence. Dans le fond, ceux qui disent les choses avec le plus de conviction et de force, ce sont des gens qui n’ont aucune préoccupation d’eux-mêmes. On retrouve cela chez les contemplatifs.
APIC: Arrive-t-il à l’Eglise catholique romaine et à son magistère de vous faire souffrir, ou de vous inquiéter?
André Kolly: Non car j’ai le sens de l’histoire. Il y a eu tellement de hauts et de bas dans l’histoire de l’Eglise, tellement d’événements, qu’aujourd’hui, quand un épisode détestable se présente, ça ne m’affecte pas en profondeur. Je peux m’exprimer mais il ne m’irrite pas. Mais cela m’agace quand l’Eglise publie un document dont elle n’est pas fière, et que pour s’en excuser, elle dit que «c’est la faute des médias si le monde n’a pas compris le document», je me fâche vraiment. C’est lâche de se débarrasser de sa propre responsabilité en la rejetant sur quelqu’un d’autre. L’Eglise se comporte parfois comme si elle avait de très grands haut-parleurs, l’empêchant d’entendre ce qui se dit en retour. Une parole qui devient absolument unique n’est plus crédible du tout: si saint Paul avait eu un micro pour parler à l’agora, jamais il n’aurait entendu ses contradicteurs à propos de la Résurrection.
Quel rôle joue votre vie spirituelle dans l’exercice de votre métier?
André Kolly: Ma prière est quelque chose qui fait partie du quotidien; elle n’est pas un recours dans les moments plus difficiles. Reste qu’il y a quelque chose du mythe de Sisyphe dans ce que l’on vit. Le rocher doit être remonté à chaque fois que les directions à la radio et à la TV changent, qu’il y a de nouvelles grilles de programmes ou des changements de personnel, qu’il faut se battre pour obtenir des subsides et gérer le budget. Je suis journaliste, mais un de mes plus gros soucis, c’est de savoir comment boucler nos comptes, et honorer les engagements moraux que nous avons à l’égard de la Radio et de la Télévision tout en faisant honneur à l’Eglise.
Dans ce travail, je reste habité par une sorte de foi qui, comme disait Claudel, est «solide comme la table». Je ne suis absolument pas hanté par des doutes paralysants sur l’existence de Dieu ou sur la Providence. Je sais en même temps qu’il y a un décalage entre ce que je crois et ma manière de vivre. Le thème des Béatitudes est pour moi une référence importante: on ne peut pas toujours être gagnant. «On peut aussi être perdant. Mais par le Christ rédempteur, que tout ce travail ne soit pas perdu: qu’il serve à la gloire de Dieu.» (apic/pb/mjp)
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