France: Evêque devant la justice pour ne pas avoir signalé les actes d’un prêtre pédophile
Paris, 11 juin 2001 (APIC) Pour la première fois en France, un évêque, Mgr Pierre Pican, du diocése de Bayeux et Lisieux, va être jugé, les 14 et 15 juin à Caen, accusé de ne pas avoir signalé aux autorités les actes de pédophilie d’un prêtre.
Le seul précédent qui existe en Europe est le procès intenté, en Belgique en 1998, au cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, primat de Belgique. Reconnu civilement responsable, en première instance, des actes de pédophilie de l’un de ses prêtres, le cardinal Danneels avait ensuite été mis hors de cause par le jugement de la cour d’appel.
Religieux salésien, évêque de Bayeux et Lisieux depuis 1988, Mgr Pican était le supérieur hiérarchique de l’abbé René Bissey. Prêtre du diocèse, ce dernier a été arrêté en septembre 1998 après la plainte de l’une des victimes. Au terme d’un procès qui a beaucoup frappé l’opinion publique par l’ampleur et la gravité des faits, l’abbéé Bissey a été condamné, en octobre 2000, à 18 ans de prison.
En décembre 1996, la mère d’une des anciennes victimes du prêtre pédophile avait alerté les autorités ecclésiastiques des agissements du Père Bissey. Ce dernier avait été astreint alors par son évêque à suivre un traitement psychiatrique. Puis en septembre 1998, Mgr Pican avait nommé à nouveau l’abbé Bissey en paroisse, quelques jours avant son arrestation. Sur ce dernier point, «Mgr Pican a agi, à l’époque, par méconnaissance. Aujourd’hui, un prêtre comme l’abbé Bissey ne serait pas réaffecté dans une paroisse», affirme, le Père Stanislas Lalanne, porte-parole officiel de la Conférence des évêques de France, dans un entretien accordé à l’agence œcuménique ENI.
Proches par le fait qu’elles impliquent toutes deux des évêques, les affaires Pican et Danneels différent, toutefois, sur un point important à cause des législations française et belge. Il existe, en effet, en France, une obligation juridique (l’article 434-3 du code pénal) d’alerter, au om de la protection de l’enfance et de l’adolescence, les autorités compétentes lorsqu’on y a connaissance mauvais traitements et d’atteintes sexuelles sur des mineurs de moins de quinze ans. Toutefois les personnes astreintes au secret professionnel ne sont pas soumises à cette obligation.
Secret de la confession, secret professionnel
De fait, il y a une reconnaissance du secret professionnel pour les ministres du culte (secret de la confession ou de la confidence). Pour sa défense, l’évêque de Bayeux invoque ce secret professionnel, nécessaire, selon l’Eglise, aux relations de confiance qu’entretiennent un évêque et son prêtre, un prêtre et ses fidèles… Peut-il le faire? Cela constituera l’un des points importants des débats au cours du procès.
Mgr Pican passe effectivement en jugement car le dossier de l’instruction a conclu que l’évêque ne pouvait pas l’invoquer (le secret professionnel) dans l’affaire Bissey. L’argument avancé: le prêtre pédophile n’est pas venu spontanément se confier à l’évêque, mais celui-ci l’a interrogé. «Mgr Pican ne connaissait pas l’ampleur des faits concernant l’abbé Bissey. Il n’est pas non plus resté sans réaction et l’a obligé à se faire soigner», affirme également son avocat, Me Thierry Massis.
Pour les faits qui lui sont reprochés, l’évêque de Bayeux risque une peine maximale de trois ans de prison et 300’000 ff (75’000 fs) d’amende. Le verdict devrait être connu dans le courant de l’été.
Embarrassant
L’affaire est extrêmement embarrassante pour l’Eglise catholique. Les débats de Caen risquent de mettre en difficulté l’institution, voire d’en faire le procès. «C’est un peu notre crainte», précise encore le Père Lalanne. «C’est effectivement le procès de l’Eglise. En invoquant le secret professionnel, Mgr Pican place lui-même le procès sur ce terrain-là», déclare, de son coté Me Jean Chevais, avocat des parties civiles. Sans doute par provocation, ce dernier a d’ailleurs fait citer le pape comme témoin!
Lancée, au début de l’année dernière, par la mise en examen de l’évêque, l’affaire Pican a fortement ébranlé l’Eglise catholique. Afin de faire face, les évêques français ont entamé un travail de réflexion et d’information sur la pédophilie. Lors de leur assemblée, en novembre dernier, à Lourdes où ils se retrouvent chaque année, ils ont longuement écouté des médecins et des juristes afin de mieux connaître la pédophilie.
L’Eglise «n’est pas épargnée par une réalité dont elle découvre toute la complexité», soulignaient, dans une déclaration officielle à Lourdes, les évêques. «La responsabilité de l’évêque, en ce domaine, est à la fois claire et délicate. Il ne peut, ni ne veut rester passif, encore moins couvrir des actes délictueux», écrivaient-ils encore.
En France, une vingtaine d’affaires de pédophilie impliquant des prêtres sont en cours d’instruction. Par ailleurs, une trentaine de prêtres ont déjà été condamnés parmi lesquels une dizaine sont actuellement en prison.
Sous la responsabilité de l’évêque de Chartres, Mgr Nicolas Aubertin, un groupe sera mis en place, cet été, pour continuer le travail commencé à Lourdes. Mieux armée face à une réalité complexe, l’Eglise catholique accomplit actuellement une sorte d’»aggiornamento» (mise à jour) sur les dossiers de pédophilie. Ainsi certains évêques ont accompagné des prêtres pédophiles pour qu’ils se rendent à la justice. Mais l’Eglise demeure suspecte aux yeux de l’opinion publique.
L’un des risques du procès de Mgr Pican est de renforcer cette suspicion, notamment par la mise en avant du secret professionnel, commente-t-on dans les milieux intéressés. (apic/eni/pr)
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