APIC – Dossier
Sur les pas de Moïse et de la Sainte Famille
Jacques Berset, APIC
Fribourg/Rome/Le Caire, 20 février 2000 (APIC) Jean Paul II en a toujours rêvé: entreprendre, à l’occasion du Grand Jubilé de l’an 2000, un pèlerinage aux sources de l’histoire du Salut. La première étape – sur les pas d’Abraham à Ur en Chaldée – a certes dû être annulée, mais les autres étapes auront bien lieu: en Egypte, sur les pas de Moïse et de la Sainte Famille, du 24 au 26 février; en Terre Sainte (Jordanie, Israël, Jérusalem, Territoires palestiniens), du 20 au 26 mars.
Jean Paul II a dû renoncer à effectuer physiquement le pèlerinage dans le Sud de l’Irak. Bagdad, pour expliquer son refus, a mis en cause l’embargo, l’interdiction du survol de son territoire et les bombardements alliés qui se poursuivent. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël ont également fait pression, craignant que Saddam Hussein ne tire profit de cette visite pastorale et que le pape ne critique une nouvelle fois l’embargo qui a déjà coûté en une décennie des centaines de milliers de vies humaines.
Le pape devra donc se contenter, le 23 février, au cours d’une cérémonie spéciale dans la salle Paul VI du Vatican, d’un «pèlerinage spirituel à Ur», pour se mettre à la suite d’Abraham, le Père des croyants.
Pays musulman à plus de 80%, présence chrétienne notable
Pour sa 90ème visite pastorale à l’étranger, le pape se rend donc en Egypte, un pays de 66 millions d’habitants, à plus de 80% musulman, mais qui compte une forte minorité chrétienne copte oscillant selon les estimations entre 6 et 12 millions de fidèles. Sur place, les disciples de saint Marc affirment être près de 20% de la population, loin des statistiques officielles. Jean Paul II ira trouver le chef de l’Eglise copte orthodoxe, Chénouda III, qui porte le titre de «pape d’Alexandrie et patriarche du siège de saint Marc». C’est d’ailleurs à partir d’Alexandrie, comme le souligne l’Eglise copte, qu’a été diffusé le message chrétien en Egypte, grâce à la prédication de saint Marc.
Le pape rencontrera également Mohammed Sayed Tantawi, le Grand Imam d’Al-Azhar, l’instance religieuse qui fait autorité dans l’islam sunnite du monde entier. Le cheikh Tantawi, bien que musulman traditionaliste, passe pourtant pour un ennemi déclaré du fondamentalisme islamiste, qu’il considère comme une grave menace pour l’unité et la coexistence en l’Egypte. Il s’est engagé depuis plusieurs années dans un dialogue avec le Vatican. Al-Azhar et le Vatican ont d’ailleurs signé en 1998 au Vatican un accord portant sur la création d’un comité mixte de dialogue entre le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et le comité permanent d’Al-Azhar.
Visite du pape: fierté nationale égyptienne, une image de convivialité à restaurer
Sur place, les instances officielles sont fières et heureuses de la venue du pape Jean Paul II, dont elles mesurent l’importance pour l’Egypte, notamment dans le dialogue interreligieux. Elles voient dans cette visite une reconnaissance des efforts de leur pays pour maintenir et développer son expérience séculaire de convivialité islamo-chrétienne. Une image de coexistence pacifique écornée par des soubresauts de violence incontrôlée, comme les sanglants accrochages qui ont fait à Nouvel An une vingtaine de morts et des dizaines de blessés dans la localité d’Al-Kosheh, à 500 kilomètres au sud du Caire. Des dizaines de magasins coptes ont été incendiés et pillés dans cette grosse bourgade de 23’000 habitants, à 75% coptes.
Les militants islamistes ont semé une culture de la haine et de la méfiance
Même si toutes les victimes sauf une sont des chrétiens coptes, la version officielle ne parle que d’une «dispute entre deux commerçants» qui a dégénéré en conflits sanglants entre clans familiaux. Une réaction habituelle pour éviter d’aller au fond du problème, estime le sociologue égyptien Saadeddin Ibrahim. Pour S. Ibrahim, président du Centre Ibn Khaldun pour la société civile, l’incident d’Al-Kosheh résulte d’une «atmosphère et d’un terrain empoisonnés». Ce terreau de préjugés et de fanatisme a été alimenté pendant des décennies par les militants islamistes. Si les forces de sécurité ont éliminé les éléments armés, la culture de la haine et de la méfiance qu’ils ont semée subsiste et la population de certains villages de Haute-Egypte est toujours prête à s’enflammer au premier incident. La tradition des «vendettas» intercommunautaires y est fortement enracinée depuis la nuit des temps.
L’écrivain Milad Hanna, auteur de plusieurs livres sur les relations entre coptes et musulmans, estime que les mesures de sécurité ne suffisent pas: il faut donner plus de liberté à l’Eglise copte (jusqu’à récemment, la construction et même la réparation d’une église était soumise à l’autorisation du président de la République en personne, alors que les mosquées foisonnent, qui n’ont pas toutes reçu un permis de construire!). L’Eglise copte doit pouvoir organiser davantage de célébrations publiques, afin qu’elle soit mieux connue de son environnement musulman. Les médias et l’école doivent être utilisés pour éduquer à la tolérance mutuelle, car l’ignorance et les préjugés nourrissent la méfiance, souligne Milad Hanna.
L’Egypte, berceau des civilisations et du monothéisme
Les autorités égyptiennes rappellent à l’occasion de cette visite que l’Egypte, charnière entre l’Afrique et l’Asie, «berceau des civilisations», a la particularité d’être un «creuset» qui a assimilé une foule de populations et de croyances diverses. Le ministre du tourisme Mamdouh El-Beltagui affirme que c’est en Egypte qu’est apparue la première croyance monothéiste de l’humanité, initiée par le pharaon Akhénaton, au XIVème siècle avant Jésus-Christ. «Sur cette terre, également, ont vécu Moïse, Jésus, puis pacifiquement vint l’islam».
En effet, le pays, connu de tout temps comme une terre d’asile, a également hébergé sur son sol durant plusieurs années Joseph, Marie et l’Enfant Jésus qui avaient fui le massacre des enfants décrété en Judée par le roi Hérode. Jésus n’était alors qu’un bébé. Le Ministère égyptien du tourisme a d’ailleurs profité du Grand Jubilé pour éditer, en collaboration avec le pape Chénouda, l’ouvrage «La Sainte Famille en Egypte» dans le but de faire connaître les richesses de la civilisation copte et rappeler que l’Egypte fait aussi partie de la «Terre Sainte».
Moïse et les Tables de la Loi
Le pape n’aura évidemment pas le temps de parcourir le long trajet que, selon la tradition copte, la Sainte Famille a accompli du Sinaï en Haute-Egypte, en passant par le Delta et la forteresse de Babylone (dans le Vieux-Caire). Il se rendra par contre au monastère orthodoxe de Sainte-Catherine, au pied du Djebel Moussa (2285 m), le Mont Moïse. Appelé communément Mont Sinaï, il s’agirait du Mont Horeb des Hébreux, où Moïse vit le buisson ardent et reçut les Tables de la Loi sur lesquelles sont inscrits les Dix Commandements.
Depuis 1400 ans, derrière ses hautes murailles, le monastère de Sainte-Catherine, fondé sous le règne de l’empereur byzantin Justinien (525-565), n’a jamais été conquis, pillé ou endommagé. A travers toutes les époques, le monastère situé à 1500 m d’altitude, au cœur des montagnes de granit arides, a bénéficié de la protection et du patronage des puissants: de la part des empereurs byzantins puis du prophète Mahomet lors de la conquête musulmane. Les moines bénéficièrent de la bienveillance des croisés dont la présence en Terre Sainte amena un important flux de pèlerins à la chapelle du Buisson ardent, puis des sultans turcs et de Napoléon.
La deuxième bibliothèque de manuscrits après celle du Vatican
Sainte-Catherine s’enorgueillit de posséder une prestigieuse bibliothèque qui vient jusqu’après celle du Vatican quant au nombre et à la valeur des manuscrits qu’elle contient: de ces quelque 3’000 volumes manuscrits, deux tiers sont en grec, le reste en arabe, syriaque, géorgien, arménien, copte, éthiopien et slavon.
Le trésor le plus précieux du monastère, le «Codex Sinaïticus», se trouve aujourd’hui au British Museum. Ce manuscrit grec de la Bible datant du IVème siècle, a été subtilisé au siècle passé par l’érudit allemand Konstantin von Tischendorf et emmené à St-Petersbourg, où il tomba aux mains du tsar. Après la Révolution d’Octobre, les soviétiques le conservèrent un temps. Ayant besoin de devises, ils le vendirent en 1933 au gouvernement anglais.
Aujourd’hui, lieu de pèlerinage et de tourisme très fréquenté, le couvent de Sainte-Catherine souligne avec fierté que la vie monacale se déroule de façon ininterrompue dans ce lieu depuis le VIème siècle. Soumis à l’archevêque du Sinaï, les moines de l’Ordre Monastique du Sinaï – exclusivement des Grecs! – sont, depuis la fondation, restés indépendants, même s’ils entretiennent des liens privilégiés avec l’Eglise orthodoxe grecque du patriarcat de Jérusalem. Le pape visitera le monastère le 26 février; il y célébrera la liturgie avec les moines grecs-orthodoxes, avant de retourner au Caire et de s’envoler pour Rome. (apic/be)
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