'Evangelii gaudium', le programme du pape François pour sa réforme

Un peu plus de huit mois après le début de son pontificat, le pape François publie le 24 novembre 2013 l’exhortation apostolique ›Evangelii gaudium’ (la joie de l’Évangile). Ce texte apparaît comme le programme de son pontificat.

«La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus.» C’est par ces mots que s’ouvre Evangelii gaudium. L’évangélisation, les défis du monde, la tentation des agents pastoraux, la crise de l’engagement communautaire, la prédication, l’attention aux pauvres, la paix sociale en sont les grandes lignes.

Document majeur, même si il n’a pas le statut d’encyclique, ce texte peut se considérer comme la ›feuille de route’ du pape François qu’il a mise en œuvre tout au long de son pontificat. En 288 points, il ouvre des pistes claires et présente avec audace l’esprit de sa réforme.

«Dieu ne se fatigue jamais de pardonner»

Le texte est parsemé d’expressions fétiches du pape argentin. Il rappelle ainsi que «Dieu ne se fatigue jamais de pardonner», que l’Église doit «sortir vers les autres pour aller aux périphéries humaines», qu’il souhaite «une Église pauvre pour les pauvres» ou encore qu’il préfère une Église «accidentée et blessée» à une Église malade de sa fermeture.

Réforme et décentralisation

Le pontife appelle à une réforme des structures ecclésiales pour les rendre plus missionnaires, ainsi qu’à une véritable conversion de la papauté, pour qu’elle soit plus fidèle à la signification que Jésus-Christ entend lui donner et aux besoins actuels de l’évangélisation. Il lance notamment un appel à «une décentralisation salutaire» de l’institution. Il engage les conférences épiscopales à «repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés», avec audace et créativité.

«Rendre plus facile la rencontre avec le Christ pour ceux qui ne l’ont jamais rencontré»

Jésus est le premier évangélisateur

Le Successeur de Pierre rappelle que l’annonce et le témoignage de l’Évangile du Christ ne peuvent jamais être compris comme «une tâche héroïque personnelle», car l’œuvre est avant tout celle de Dieu. «Jésus est ›le tout premier et le plus grand évangélisateur’. Dans toute forme d’évangélisation, la primauté revient toujours à Dieu» (§12). « Il appelle à une conversion pastorale et missionnaire «de toutes les dynamiques ecclésiales, pour faciliter, pour rendre plus facile la rencontre avec le Christ pour ceux qui ne l’ont jamais rencontré».

En vue de cette rencontre, le pape indique à ceux qui «rêvent d’une doctrine monolithique défendue par tous sans nuances» qu’il convient de revoir avec discernement certains usages, normes ou préceptes ecclésiaux. Il écrit par exemple que l’Eucharistie «n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles».

Vitrail de la résurrection, chapelle du Passwang (SO) | © Maurice Page

Le pape dénonce ceux qui «se sentent supérieurs aux autres» parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique propre au passé et qui, au lieu d’évangéliser, analysent et classifient les autres. Il évoque également ceux qui manifestent «un soin ostentatoire de la liturgie, de la doctrine ou du prestige de l’Église, mais sans que la réelle insertion de l’Évangile dans le Peuple de Dieu les préoccupe».

Plus de place pour les laïcs et les femmes

En revanche, de façon très claire, il souligne que l’Église n’entend pas changer de position sur deux questions précises: l’ordination sacerdotale réservée aux hommes, et la défense de la vie, en particulier son opposition à l’avortement et à l’euthanasie.

«Un prédicateur qui ne se prépare pas n’est pas spirituel, il est malhonnête et irresponsable»

Côté ouverture, le pape François souhaite «élargir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Église», assurant que leur présence dans le secteur du travail et dans les divers lieux où sont prises des décisions importantes doit être garantie, et cela aussi bien dans l’Église que dans les structures sociales. Le pape ne manque pas non plus d’insister sur le rôle des laïcs, face à un cléricalisme excessif.

Des homélies soignées

Evangelii gaudium offre aussi un long guide pratique écrit par le pape à l’usage des prédicateurs, pour des homélies qui portent réellement des fruits. Le pape demande que les homélies soient préparées «avec soin». Elles doivent être brèves et éviter de ressembler à une conférence ou un cours. Leurs paroles doivent «faire brûler les cœurs». Un prédicateur qui ne se prépare pas n’est pas «spirituel», il est malhonnête et «irresponsable envers les dons qu’il a reçus», écrit le pape.

Des réfugiés et des pauvres reçus par le pape François à la nonciature de Jakarta | © Vatican Media

L’option préférentielle pour les pauvres

«Personne ne peut exiger de nous que nous reléguions la religion dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et nationale», écrit le pape. Qui consacre une longue partie de ce document à ses sujets de préoccupation majeure, à savoir l’intégration sociale des pauvres, le bien commun, la paix sociale et le dialogue social comme contribution à la paix. «La politique tant dénigrée est une des formes les plus précieuses de la charité», affirme le pontife.

«Les enfants à naître sont les plus sans défense et innocents de tous, auxquels on veut nier aujourd’hui la dignité humaine»

Il dénonce le système économique, «injuste à sa racine». La culture actuelle du déchet a engendré quelque chose de nouveau: «Les exclus ne sont pas des exploités, mais des ›déchets’, des ›restes’». Il exhorte à prendre soin des plus faibles: les sans-abri, les toxicomanes, les réfugiés, les populations indigènes, les personnes âgées toujours plus seules et abandonnées. Il encourage les nations à une «généreuse ouverture». Il évoque les victimes de la traite et des nouvelles formes d’esclavage.

Il n’oublie pas non plus les enfants à naître «qui sont les plus sans défense et innocents de tous, auxquels on veut nier aujourd’hui la dignité humaine».

Œcuménisme et dialogue interreligieux

Pour le pape François, l’œcuménisme est un chemin incontournable de l’évangélisation. «Nous pouvons apprendre tant de choses les uns des autres», assure-t-il. Dans le dialogue avec les frères orthodoxes, «nous les catholiques, nous avons la possibilité d’apprendre quelque chose de plus sur le sens de la collégialité épiscopale et sur l’expérience de la synodalité… Le dialogue et l’amitié avec les fils d’Israël font partie de la vie des disciples de Jésus… le dialogue interreligieux qui doit être mené avec une identité claire et joyeuse, est une condition nécessaire pour la paix dans le monde… et il n’éclipse pas l’évangélisation».

Vitrail de la Pentecôte, de Yoki, à église Ste-Thérèse à Fribourg | © Maurice Page

Le pape affirme que la relation avec les croyants de l’Islam acquiert à notre époque une grande importance. Il implore «humblement» les pays de tradition musulmane d’assurer la liberté religieuse aux chrétiens, en prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux. Il réaffirme aussi l’importance du dialogue et de l’alliance entre croyants et non-croyants.

Espérer, sans condamner

«Dans notre rapport avec le monde, précise-t-il, nous sommes invités à rendre compte de notre espérance, mais non pas comme des ennemis qui montrent du doigt et condamnent». Le pape invite à ne pas se décourager face aux échecs ou aux faibles résultats parce que la «fécondité est souvent invisible, insaisissable, elle ne peut pas être comptée».

L’exhortation apostolique Evangelii gaudium s’achève par une longue prière à Marie, Mère de l’Évangélisation, «car, chaque fois que nous regardons Marie nous voulons croire en la force révolutionnaire de la tendresse et de l’affection».  (cath.ch/mp)

Maurice Page

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