Maurice Page et Max Savi Carmel
Au cours des XXe et XXIe siècle, si certaines élections étaient prévisibles et attendues (Pie XII en 1939, Paul VI en 1963, ou Benoît XVI en 2005) les autres ne l’étaient pas du tout (Jean XXIII, Jean Paul Ier, Jean Paul II, François)
Pour la première fois, les cardinaux désignés par le pape François depuis le début de son pontificat forment largement plus des deux tiers du Collège cardinalice, c’est-à-dire la majorité nécessaire pour élire un pape. Auront-ils pour autant une position cohérente? Certainement pas.
Face à ces incertitudes cath.ch offre un assez large panel de concurrents classés par continent.
Avec 52 cardinaux électeurs reste largement majoritaire au conclave. Mais on ne peut pas tabler pour autant sur un vote continental. Quatre Italiens semblent toutefois tenir la corde.
Pietro Parolin, 68 ans, secrétaire d’Etat nommé par le pape François en 2013, il est le no 2 du Saint Siège dont il connaît parfaitement les rouages. Comme diplomate de carrière au Vatican (Nigeria, Mexique, Venezuela …) puis comme secrétaire d’Etat, il a eu à faire avec tous les épiscopats et les Etats du monde. Il a été très impliqué dans l’accord controversé entre la Chine et le Vatican. Personnalité simple et discrète, toujours très mesuré dans ses prises de parole, il garde une ligne doctrinale orthodoxe, capable de rassurer les cardinaux après le pontificat ›agité’ du pape François. Sa nationalité italienne reste également un atout après trois papes étrangers dans un conclave qui compte encore 15 Italiens. Mais il n’apparaît néanmoins pas comme le successeur naturel à François.
Matteo Zuppi, 68 ans. L’archevêque de Bologne depuis 2015 est un proche du pape François dont il partage largement la ligne en particulier dans l’option préférentielle pour les pauvres. Proche de la communauté Sant’Egidio, il a l’expérience de la diplomatie ‘parallèle’. Il a été envoyé spécial du pape François en Ukraine. Selon certains observateurs, il serait devenu le rival ‘officieux’ de Pietro Parolin. En 2022, il devient président de la Conférence épiscopale italienne, ce qui renforce son autorité.
Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, 60 ans, fait partie de la dernière fournée des cardinaux nommé par le pape François. Sa visibilité mondiale s’est fortement accrue avec le conflit israélo-palestinien, mais le franciscain italien occupe depuis longtemps un poste de premier plan en Terre-Sainte d’abord comme custode des franciscains puis comme patriarche nommé par le pape François pour remettre de l’ordre dans un patriarcat en difficulté. Cet homme fin et respectueux a su gardé sa simplicité franciscaine. Son élection serait évidemment un signe et un hommage très fort pour les chrétiens d’orient.
Jean-Claude Hollerich, 65 ans. L’archevêque du Luxembourg depuis 2011 a été au devant de la scène comme rapporteur général du Synode des évêques sur la synodalité. Le jésuite, longtemps missionnaire au Japon, a pris des positions plutôt progressistes sur la bénédiction des couples homosexuels ou sur la place des femmes en Eglise. Il s’est également fait connaître et apprécié comme président de la commission des épiscopats de la communauté européennes (COMECE) de 2018 à 2023. Le fait qu’il soit jésuite comme le pape François pourrait être un obstacle.
Peter Erdö, archevêque d’Esztergom-Budapest, 71 ans. Président du Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE) de 2006 à 2016, rapporteur du Synode sur la famille de 2014, le cardinal qui parle cinq langues bénéficie d’une réputation qui dépasse les limites de son pays. D’une ligne plus conservatrice, il serait pour certains le candidat des anti-François (mais qui sont aujourd’hui très minoritaires dans le conclave). Ses relations avec le gouvernement nationaliste et réactionnaire de Viktor Orban ont aussi été questionnées.
Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, 65 ans. Les Français aimeraient voir dans ce prélat un papabile. Il a été nommé cardinal par le pape François en 2022. Plutôt une surprise, même si on sait que le pontife l’avait depuis un certain temps fréquemment interpellé sur le front des migrations. Son profil ecclésial est assez intéressant, il connaît très bien le monde arabe, étant né en Algérie de parents espagnols qui ont été contraints d’émigrer deux fois, d’abord d’Espagne, puis d’Oran. Théologien, allergique à la pompe, réfractaire aux protocoles, Aveline est une personnalité populaire très appréciée.
Le dominicain Timothy Radcliffe, 79 ans, créé cardinal en décembre 2024 pourrait être un outsider. L’ancien Maître de l’Ordre des prêcheurs de 1992 à 2001 s’est fait connaître hors des cercles religieux par ses analyses et ses prises de position sur la société contemporaine, la situation de l’Église et la vie religieuse. La finesse de ses analyses, la simplicité de ses propos alliée à une grande profondeur, et son sens de l’humour prononcé ont contribué à faire de lui une personnalité catholique de premier plan.
Le cardinal suédois Anders Arborelius, 75 ans est peu connu du grand public. Il représente une Eglise minoritaire mais dynamique. À l’âge de vingt ans, il se convertit au catholicisme et deux ans plus tard, il entre au carmel de Norraby. Il a étudié la philosophie et la théologie à Bruges en Belgique et à Rome. Nommé évêque du diocèse catholique de Stockholm en 1998, il est le premier évêque catholique de Suède d’origine suédoise depuis la Réforme.
Le cardinal anglais Arthur Roche, 74 ans, préfet du Dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2021 personnifie la défense de la Réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II. D’abord évêque auxiliaire de Westminster puis évêque de Leeds, il rejoint la curie romaine en 2012. Il est l’artisan de la nouvelle traduction du Missel Romain. Il s’oppose à la politique restrictive du préfet de l’époque le cardinal Robert Sarah. Ses talents de négociateur sont importants dans les relations avec les conférences épiscopales nationales.
Le cardinal maltais Mario Grech, 68 ans, s’est fait largement connaître comme secrétaire général du synode des évêques. En sa qualité de président la conférence épiscopale maltaise il participé en octobre 2014 au synode la famille sur où le pape François le remarque. En 2019, à quelques jours de l’ouverture du synode sur l’Amazonie, Mario Grech est nommé pro-secrétaire général du synode des évêques. Il est créé cardinal en 2020. Il a joué un rôle important pour le synode sur la synodalité voulu par le pape en 2023 et 2024.
L’Eglise reste ultra-minoritaire, pourrait néanmoins offrir quelques papabili, parmi ses 23 cardinaux-électeurs.
Luis Antonio Tagle, 66 ans, pro-préfet du Dicastère pour l’évangélisation. Avant même d’être amené à Rome par le pape François en 2019, le cardinal philippin avait été largement salué comme un «François asiatique» et un successeur potentiel, se faisant remarquer lors du synode sur les jeunes en 2018. Mais après que Tagle a été démis de la présidence de Caritas, l’organisation caritative de l’Église, son aura a fortement pâli, notant des problèmes financiers et de personnel au sein du groupe caritatif, et même des cas d’échec dans la gestion des clercs abuseurs. Il ne serait pas un bon gestionnaire et organisateur ne sachant pas comment prendre des décisions.
Le cardinal coréen Lazarus Yu Heung-Sik, 71 ans, est le préfet du Dicastère pour le clergé depuis 2021. Il est le premier Coréen à diriger un dicastère de la Curie romaine.Il a précédemment été évêque de Daejeon de 2005 à 2021. Il a été créé cardinal par le pape François en 2022. Il a été associé au Mouvement des Focolari et a assisté à des rassemblements internationaux.
Cardinal seulement depuis décembre 2024, le Japonais Tarcisio Isao Kikuchi, 66 ans, présente néanmoins un profil intéressant. L’actuel archevêque de Tokyo, membre de la société du Verbe divin (SVD) a été formé en Australie avant de devenir missionnaire au Ghana, en Afrique. En 1998, il rejoint Caritas Japon et devient représentant des évêques japonais lors de diverses conférences internationales. Evêque de Niigata en 2004, il devient archevêque de Tokyo en 2017. De 2011 à 2019, il est à la tête de Caritas Asie. En 2023, il est élu pour un mandat de 4 ans à la tête de Caritas Internationalis.
Pour l’Amérique du Nord, la puissante Église catholique des États-Unis, avec 11 cardinaux électeurs, est très divisée entre pro et anti-François ce qui empêche l’émergence de personnalités de consensus. Quelques noms peuvent être cependant retenus.
Le cardinal Wilton Gregory, 77ans, vient de prendre sa retraite comme archevêque de Washington. Il est le premier évêque afro-américain à accéder à un rang aussi élevé dans l’Église catholique aux États-Unis. Le pape François le crée cardinal en 2020. d’abord évêque auxiliaire à Chicago puis évêque de Belleville et archevêque d’Atlanta, il est vice-président puis président de la conférence épiscopale des États-Unis de 2001 à 2004. Il se fait connaître par ses prises de position courageuses dans la politique américain.
Le cardinal Robert McElroy, 71 ans, successeur de Mgr Gregory à Washington pourrait aussi figurer sur la liste. Créé cardinal en 2022, le prélat a suscité des tensions au sein de l’Eglise américaine, notamment pour ses positions jugées trop conciliantes sur la question de l’avortement et prenant la défense du président Jo Biden. Cet ancien professeur d’éthique sociale s’oppose clairement aux anti-pape François.
Le cardinal Blase Joseph Cupich, 75 ans, archevêque de Chicago et cardinal depuis 2016, apparaît aussi comme appartenant à la ligne pastorale du pape François. D’abord prêtre en paroisse, puis recteur de collège et responsable de la formation, il devient évêque de Rapid City en en 1998 avant d’être transféré à Denver puis Spokane, avant d’arriver à Chicago en 2014.
Le cardinal canadien Gérald Cyprien Lacroix, 68 ans, archevêque de Québec, peut faire valoir son expérience de missionnaire en Colombie. Evêque auxiliaire puis archevêque de Québec en 2011, il devient cardinal en 2014. Il est sorti récemment blanchi d’accusations d’abus et de dissimulation d’abus. Il est connu également par ses oeuvres sociales.
Malgré 23 cardinaux électeurs, n’a plus les hautes personnalités qu’elle a connues dans le passé. On voit en outre mal un sud-américain succéder à un pape argentin.
Le cardinal brésilien Odilo Scherer, 75 ans, déjà en lice pour la succession de Benoît XVI, peut rester sur la liste. Archevêque de Sao Paulo depuis 2007, Odilo Scherer reste la figure dominante de l’Eglise du Brésil. Ordonné prêtre en 1976, son ministère sacerdotal est marqué par l’enseignement dans différentes institutions du Brésil. Evêque auxiliaire de Sao Paulo, il occupe surtout le poste de secrétaire général de la Conférence des évêques du pays de 2003 à 2007. Il est créé cardinal en 2007.
Argentin comme le pape François, le cardinal Victor Manuel Fernandez, 62 ans, est une personnalité de poids dans l’Eglise. Le puissant préfet du Dicastère de la doctrine de la foi, en place depuis 2023, gère non seulement les questions de doctrine, mais aussi les membres du clergé auteurs d’abus. Remarqué par le cardinal Bergoglio pour ses qualités d’écriture, il est considéré comme un «modèle du théologien pastoral» et s’inscrit dans le courant de la «théologie du peuple» chère au pape François. Honni par quelques-uns de ses pairs, comme son prédécesseur à la doctrine de la foi le cardinal Müller, Victor Manuel Fernandez pourrait pâtir du fait d’être le protégé de François.
L’Afrique aura son mot à dire. Avec 18 cardinaux participant au conclave, l’Afrique n’aura jamais été aussi bien représentée. Néanmoins, même si les cardinaux Ambongo, Rugambwa et Nzapalainga se détachent du lot, le continent pourrait devoir encore patienter avant d’avoir son premier pape.
Le cardinal Fridolin Ambongo, 65 ans, archevêque de Kinshasa est de loin le favori. Le capucin est sans doute le prélat le plus influent du continent pour plusieurs raisons. D’abord, il est à la tête du diocèse qui constitue la capitale du pays le plus catholique d’Afrique, la République démocratique du Congo (RDC). Il sait aussi compter sur la sympathie de la presse catholique et sa mobilité constante sur tous les continents lui confère une aura internationale que tous les autres cardinaux africains pourraient lui envier. Ensuite, par son rôle politique de premier plan, dans un pays où l’Eglise est une entité incontournable, il est considéré comme «la personnalité la plus écoutée» de la RDC.
Président du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), sa farouche opposition au mariage de couples homosexuels face à la publication de Fiducia supplicans a conforté son leadership. Enfin membre du Conseil des Cardinaux (C9), il s’illustre comme la principale figure d’une Afrique qui s’est longtemps sentie à l’écart des centres de décisions au sein de l’Eglise.
Protase Rugambwa, 65 ans, l’archevêque de Tabora, en Tanzanie, connaît, mieux qu’aucun autre les rouages de la Curie romaine pour y avoir travaillé pendant près de 20 ans. Il devrait capitaliser les voix des pays anglophones du continent qui constituent le contingent le plus important de l’Afrique. Il est le neveu de Laurean Rugambwa qui fut le premier cardinal du continent africain en 1960. Nommé en 2023 à Tabora, diocèse secondaire du nord-ouest de la Tanzanie, le cardinal Rugambwa est davantage isolé des pôles médiatiques.
Dieudonné Nzapalainga, 58 ans, archevêque de Bangui, a toutes les chances de prendre part à plusieurs conclaves. Les atouts forts du prélat centrafricain sont sa modestie «franciscaine» et son esprit de consensus. Dynamique, infatigable, fin modérateur et très aimé du pape François il s’est fait remarquer par ses efforts pour faire cohabiter christianisme et islam en Centrafrique. Il est néanmoins un conservateur invétéré, une posture qui aura du mal à convaincre des cardinaux occidentaux de moins en moins dogmatiques sur les questions de mœurs et d’éthique.
Le cardinal ghanéen Peter Kodwo Appiah Turkson, 76 ans, été président du Conseil pontifical Justice et Paix et préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral jusqu’en décembre 2021. En 2009, à l’issue du synode pour l’Afrique dont il était rapporteur général, Benoît XVI annonce sa nomination comme président du Conseil pontifical Justice et Paix. En 2016 est créé le Dicastère pour le service du développement humain intégral, le cardinal Turkson en est alors nommé premier préfet. Après la démission de Benoît XVI, en février 2013, son nom est cité parmi les favoris pour occuper le siège apostolique.
Le dominicain franco-algérien Jean-Paul Vesco, 62 ans, représente une Eglise très minoritaire au sein du Maghreb musulman. Il est un des artisans du dialogue islamo-chrétien. Né à Lyon, Jean-Paul Vesco entre dans l’ordre des frères prêcheurs en 1994. Envoyé dans le diocèse d’Oran, en Algérie, il en devient l’évêque en 2012 puis archevêque d’Alger en 2021. En 2023, il reçoit la nationalité algérienne. Il est créé cardinal en décembre 2024.
(cath.ch/msc/mp)
Maurice Page
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