François, le premier pape des Amériques (1/2)

L’élection au Trône de Pierre du cardinal Jorge Mario Bergoglio, le 13 mars 2013, avait créé la surprise, tout en mettant à l’honneur le continent américain. De Buenos Aires à Rome, retour sur l’itinéraire d’un pontife qui a fondé sa popularité sur sa simplicité et son humilité.

Jorge Mario Bergoglio, décédé le 21 avril 2025 à Rome, est né à Buenos Aires, la capitale de l’Argentine, le 17 décembre 1936. Son père, Mario José Bergoglio, est un immigré italien venu du Piémont. Il est arrivé en Amérique du Sud à la fin des années 1920. Sa mère, Regina María Sivori est née en Argentine, tout en étant également originaire d’Italie, issue d’immigrés venant de Ligurie.

Le père du défunt pontife est comptable pour la compagnie de chemins de fer et sa mère se voue à l’éducation de leurs cinq enfants. Jorge Mario est en grande partie élevé par sa grand-mère, de laquelle il sera toujours très proche. Outre la foi, elle lui transmet la langue italienne et les coutumes du Piémont.

Révélation de prêtrise

Dans des lettres écrites dans son enfance, il confie déjà son envie de devenir prêtre. Il vit une adolescence ordinaire, aidant parfois son père pour la comptabilité et fréquentant une école technique où il apprend les rudiments de la physique et de la chimie. Il obtient un diplôme de technicien dans cette dernière branche avant de voir son destin basculer, le 21 septembre 1954, alors qu’il a 17 ans.  Passant devant une église, il décide d’y entrer et «comme saisi de l’intérieur», il se confesse au prêtre. Il expliquera qu’au sortir de l’édifice une conviction absolue était née en lui qu’il devait devenir prêtre.

«Au Colegio del Salvador à Buenos Aires. A cet endroit, il détone pour son style de direction»

Peu de temps après, il entre au séminaire diocésain de Metropolitano, à Buenos Aires. Il hésite cependant sur sa voie à l’intérieur de l’Église. Fasciné par l’histoire des missionnaires jésuites au Japon, il opte finalement pour la Compagnie de Jésus, et entre au noviciat de Cordoba, à 10 heures de route au nord-ouest de la capitale, en 1958.

Il termine ses études de lettres au Chili et retourne en Argentine en 1963 pour obtenir un diplôme de philosophie au Colegio de San José à San Miguel, dans la banlieue de Buenos Aires. De 1964 à 1966, il enseigne la littérature et la psychologie dans plusieurs établissements de la métropole argentine. En 1967, il redevient étudiant, cette fois en théologie, obtenant son diplôme au Colegio de San José en 1970.

Un destin jésuite

Il est ordonné prêtre le 13 décembre 1969 par Mgr Ramón José Castellano, archevêque de Cordoba. Il poursuit sa formation entre 1970 et 1971 à l’Université d’Alcalá de Henares, en Espagne, et fait sa profession définitive chez les Jésuites le 22 avril 1973. De retour en Argentine, il est nommé maître des novices à Villa Barilari, San Miguel, avec charges de professeur à la faculté de théologie de San Miguel, de consulteur de la province de la Compagnie de Jésus et de recteur du Colegio Máximo de la faculté de philosophie et de théologie.

Le 31 juillet 1973, il est nommé Provincial des Jésuites d’Argentine, fonction qu’il exerce pendant six ans. A la tête des jésuites du pays, il vit les affres de la dictature de Jorge Videla, à partir de 1976. Dans un climat de terreur répressive, il doit jouer les équilibristes, et éviter que les jésuites ne soient perçus comme des activistes de gauche, tout en ne se compromettant pas avec le régime. Il ressort marqué de cette période et quitte en 1979 son mandat de provincial.

«Il accorde sa première interview en tant qu’évêque titulaire à un bulletin paroissial de la ville brésilienne de Belém»

Il reprend son travail dans le secteur universitaire et, de 1980 à 1986, est à nouveau recteur du Colegio de San José et curé de la paroisse de San Miguel. En mars 1986, il se rend en Allemagne pour terminer sa thèse de doctorat. Ses supérieurs l’envoient ensuite au Colegio del Salvador à Buenos Aires. A cet endroit, il détone pour son style de direction, qui caractérisera également son pontificat. Il n’hésite pas en effet à faire la cuisine et à se mêler aux novices pour effectuer les tâches subalternes, telles que s’occuper des porcs.

Il est envoyé par la suite à l’église jésuite de Cordoba, avec fonction de directeur spirituel et de confesseur.

Au conclave

Repéré par le cardinal Antonio Quarracino, archevêque de Buenos Aires, ce dernier lui demande de devenir son proche collaborateur. Le 20 mai 1992, le pape Jean Paul II le nomme évêque titulaire d’Auca (Oca-en Espagne) et évêque auxiliaire de Buenos Aires. Il reçoit l’ordination épiscopale du cardinal dans la cathédrale de la capitale argentine, le 27 mai 1992. Il prend comme devise épiscopale Miserando atque eligendo (choisi parce que pardonné). Sur ses armoiries, est inséré le ›ihs’, symbole de la Compagnie de Jésus.

Il accorde sa première interview en tant qu’évêque titulaire à un bulletin paroissial de la ville brésilienne de Belém. Nommé vicaire épiscopal du district de Flores en décembre 1993, il se voit également confier la charge de vicaire général de l’archidiocèse de la capitale. Il devient archevêque de Buenos Aires et primat d’Argentine à la mort du cardinal Quarracino, le 28 février 1998. A ce moment-là, il refuse de s’installer dans la confortable résidence archiépiscopale d’Olivos, mais reste dans la curie. Une attitude qui préfigure son futur choix de délaisser les appartements pontificaux pour occuper un petit appartement dans la Maison Ste-Marthe. A ce poste, il s’opposera notamment publiquement à la politique néolibérale du président Carlos Menem.

«Ses actions à la tête du diocèse de Buenos Aires préfigurent en grande partie les orientations de son pontificat»

Mgr Bergoglio est créé cardinal le 21 février 2001. Il demande à cette occasion à ses fidèles de ne pas venir à Rome, mais de faire don aux pauvres de ce qu’ils auraient dépensé pour le voyage.

A mesure que sa popularité augmente dans son pays et en Amérique latine, le cardinal Bergoglio est nommé en 2005, une première fois, président de la Conférence épiscopale argentine. La même année, il participe au conclave qui porte le cardinal Joseph Ratzinger sur le Trône de Pierre.

Buenos Aires, laboratoire du pontificat

En tant qu’archevêque de Buenos Aires – un diocèse de plus de trois millions d’habitants – il conçoit un projet missionnaire basé sur la communion et l’évangélisation. Il souhaite ré-évangéliser la ville »en tenant compte de ceux qui y vivent, de sa structure et de son histoire», en exigeant des prêtres et des laïcs qu’ils travaillent ensemble. Une vision synodale du travail pastoral qu’il cherchera à mettre en pratique, une fois élu pape, au niveau de l’Église universelle.

«À 76 ans, l’archevêque jésuite de Buenos Aires est une figure de proue dans tout le continent latino-américain»

Ses actions à la tête du diocèse de Buenos Aires préfigurent en grande partie les orientations de son pontificat, notamment son «option préférentielle pour les pauvres». En septembre 2009, il lance la campagne de solidarité pour le bicentenaire de l’indépendance du pays. 200 agences caritatives seront ainsi créées jusqu’en 2016.

A l’échelle continentale, il met de grandes attentes dans la Conférence d’Aparecida, au Brésil, en 2007, dont il sera l’un des personnages clés. Le document final, qui met sans surprise l’accent sur les pauvres, est aussi une victoire diplomatique. Il provoque un apaisement entre Rome et l’Église d’Amérique latine, en froid depuis quelques décennies. Le document d’Aparecida insiste également sur la vision d’une Église «qui existe pour évangéliser, avec audace et liberté.»

Les pauvres avant tout

Au début du sede vacante, suite à la renonciation de Benoît XVI en 2013, le cardinal Bergoglio est membre de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, de la Congrégation pour le clergé, de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, ainsi que du Conseil pontifical pour la famille et de la Commission pontificale pour l’Amérique latine.

«Il apparaît rarement sur les listes des ‘papabili’ produites par les médias»

Âgé de 76 ans, l’archevêque jésuite de Buenos Aires est alors une figure de proue dans tout le continent latino-américain. Il est reconnu par ses pairs comme un prélat humble et aimé de ses fidèles. Il s’est notamment rendu populaire en allant dans les quartiers pauvres de son diocèse en bus ou en métro, pendant les 15 ans de son ministère épiscopal.

«Mon peuple est pauvre et je suis l’un d’entre eux», a-t-il dit plus d’une fois, justifiant ainsi son choix de vivre dans un appartement et de faire sa propre cuisine. Il a toujours conseillé à ses prêtres de faire preuve de miséricorde, de courage apostolique et de garder leurs portes ouvertes à tous. La pire chose qui puisse arriver à l’Église, a-t-il répété, «c’est ce que de Lubac appelait la mondanité spirituelle», c’est-à-dire «l’égocentrisme».

Malgré son caractère réservé, il ne craint pas de dénoncer l’injustice. Il a notamment été médiatisé à l’occasion de ses déclarations publique fortes lors de la crise financière qui a frappé l’Argentine en 2001.

Un ‘papabile’ hors du «sérail»

Malgré cela, il apparaît rarement sur les listes des ‘papabili’ produites par les médias suite au départ de Benoît XVI. Alors même qu’il avait terminé second lors du conclave de 2005. Peut-être parce qu’il est encore peu connu en dehors de son continent. En même temps, beaucoup de cardinaux sont conscients que l’Église a besoin, face aux scandales en tous genres et aux problèmes récurrents de la Curie, de se donner un nouveau souffle et une nouvelle image. Ils cherchent une personnalité à la fois forte, hors du «sérail» italien et européen, qui aura le courage et la détermination d’entreprendre des réformes sans toutefois menacer les fondements du système. Son image de «modéré» lui permet sans doute d’engranger des suffrages auprès de différentes sensibilités ecclésiales au conclave.

Son élection, le 13 mars 2013, est donc une demi-surprise. Pour la première fois de son histoire, l’Église se dote d’un pape non-européen et jésuite. Tout de suite après, lorsqu’il salue la foule d’un «buona sera» et qu’il demande aux fidèles de prier pour lui, tous comprennent rapidement que l’Église catholique est entrée dans une nouvelle ère. (cath.ch/vatican.va/arch/rz)

Lisez la suite de la biographie du pape François: «François le pontife du changement (2/2)»

Raphaël Zbinden

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