Méditation de Carême (5)
«Le Royaume de Dieu est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et jetée dans son jardin. Elle a poussé, elle est devenue un arbre, et les oiseaux du ciel ont fait leur nid dans ses branches» (Lc 13, 19). On imagine bien le Royaume comme ce havre d’ombre et de fraîcheur apporté par l’arbre aux oiseaux. Ce Royaume accueillant leur nid. Mais avant que cela soit possible, il a d’abord fallu que le semeur sème, puis attendre la lente croissance de l’arbre. Notre hâte de voir le Royaume prendre chair s’est confrontée au réel de cette lente, lente croissance d’un arbre. Et c’est cette patiente attente, cette observation et ce soin qui nous font d’autant plus goûter sa joie.
«La constance, la persévérance semblent être à l’opposé de la hâte»
On pense aussi au travail d’élever un enfant. Sans cesse, on se sent tendu entre cette hâte de le voir progresser, la hâte de lui donner tout ce que nous avons et savons, puis le délicat travail de cette croissance au jour le jour. L’acquisition patiente, à petit pas, de ce qui lui permettra de devenir adulte.
Cette présence à l’instant à laquelle on ne peut pas se substituer nous oblige à travailler en nous la fidélité à ce qui ne brille pas, à une exigence parfois aride. Ce qui est tombé dans la bonne terre, «ce sont les gens qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance». (Lc 8, 15). La constance, la persévérance semblent être à l’opposé de la hâte. Pourtant ce sont ces qualités qui la tiennent, qui permettent de la prendre au sérieux et de l’accueillir.
C’est au cœur de cette tension qu’il est possible, ou non, de renoncer à tous ses biens (14, 33 ; 18, 23). Car ce renoncement n’est plus une folie mais une façon de prendre tout à fait au sérieux la vie qui nous est proposée. C’est cette tension aussi qui permet à la veuve de donner «tout ce qu’elle avait pour vivre» (21, 4). Il y a quelque chose du tout au tout qui se joue dans notre présent. Le Royaume se fait jour dans notre hâte de le faire venir.
«Pour désirer il faut savoir manquer»
Le quotidien n’est plus uniquement le lieu de l’exigeante fidélité, il est le lieu où nous sommes sans cesse percutés par l’infini. Comment faire pour le voir? Il me semble que parfois, on attend de nos vies qu’elles soient extraordinaires. En particulier quand tous nos besoins sont comblés et bien plus encore. La vie ne serait alors belle que le jour où telle chose immense ou surprenante se réaliserait.
Elle trouverait son sens le jour où notre statut serait conforme à ce que nous avons toujours imaginé. Ou encore, elle serait riche lorsque nous aurions la possibilité de cumuler davantage encore d’expériences. Mais, une fois qu’on a tout, qu’est-ce qu’on attend encore? Pour désirer il faut savoir manquer. Et c’est dans l’enfouissement du quotidien que nous pouvons nous laisser percuter sans relâche par l’émerveillement d’une vie à mesure d’éternité.
Marie Larivé
7 avril 2025
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