En RDC, le développement passe par les femmes

Germain Nyembo Kasendue, coordinateur d’Action de Carême en République démocratique du Congo (RDC), œuvre pour la sécurité alimentaire des communautés. Une tâche qui passe notamment par le développement de l’entraide et la valorisation du rôle des femmes.

Il y a quelques années, Elonga (prénom fictif) et sa famille auraient été confrontées à la famine, raconte à cath.ch Germain Nyembo. Cette habitante de Masi-Manimba, à l’ouest de la RDC, est tombée malade au moment propice du semis des cultures. Mais d’autres membres de son Groupe de solidarité ont réalisé cette tâche à sa place, ce qui a permis à sa famille de survivre.

Germain Nyembo Kasendue, coordinateur d’Action de Carême en RDC, s’assure de la bonne marche des programmes sur place | © Campagne Voir et Agir

Un exemple de gestes d’entraide facilités par l’existence des Groupes. Ces derniers sont composés de 12 à 15 personnes réunies par affinités ou par village sous l’égide de CEPAL. Il s’agit de l’une des organisations partenaires de l’œuvre d’entraide catholique suisse Action de Carême, qui dirige des projets dans cinq régions de la RDC. Germain Nyembo veille à leur bonne mise en œuvre sur place, tout en assurant le partage de connaissances et de méthodes entre les organisations partenaires.

Un pays en grande insécurité alimentaire

Germain Nyembo Kasendue, économiste agricole natif de la région de Lomami, au centre du pays, est de passage en Suisse du 20 mars au 6 avril 2025, en tant qu’hôte de la Campagne œcuménique de Carême (Voir et Agir). Il expliquera, à plusieurs occasions dans divers endroits de Suisse romande, les enjeux et défis de son travail dans cet immense pays d’Afrique centrale. RZ

Le Congo Kinshasa figure parmi les cinq nations les plus pauvres au monde et compte le plus grand nombre de personnes vivant dans l’insécurité alimentaire. Cette situation est au cœur du programme d’Action de Carême. Les projets accompagnent donc prioritairement les personnes vivant de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage, afin de les amener à gérer durablement la terre et l’eau. L’accent est mis sur l’agroécologie, la méthode la plus à même de fournir aux familles paysannes une alimentation suffisante et équilibrée.

Accent sur l’entraide

À Masi-Manimba, une région très enclavée, le projet encadre près de 5000 familles. Outre une optimisation de la gestion des semences, l’organisation partenaire a mis en place des techniques agricoles qui assurent de meilleurs rendements. «Traditionnellement, les paysans au Congo nettoient leurs champs des déchets organiques. Ils ont été notamment sensibilisés sur le fait que ces déchets pouvaient être mis à profit comme engrais en étant répandus sur le terrain», explique Germain Nyembo à titre d’exemple.

Les programmes d’Action de Carême en RDC promeuvent l’agroécologie | © Campagne Voir et Agir

CEPAL priorise l’auto-organisation au sein des communautés. D’où la création des Groupes de solidarité. Ces derniers sont renforcés par des ‘animateurs de proximité’. Ces personnes, choisies au sein des communautés, œuvrent à l’information et à la capacitation des Groupes. Une caisse d’épargne solidaire est constituée où les membres cotisent une partie de leurs revenus pour faire face aux obligations et aux coups durs. «L’argent de la caisse peut servir par exemple à couvrir des frais d’études, dont beaucoup de familles ne peuvent habituellement pas s’acquitter.»

Les femmes écoutées

Un aspect capital est également la valorisation des femmes. «L’une des caractéristiques du programme RDC et d’encourager les hommes et les femmes à travailler ensemble», précise Germain Nyembo. «Il y a encore quelques années, il était difficile, voire impossible, d’imaginer qu’un homme accompagne sa femme au champ. Traditionnellement, au Congo, le travail agricole est l’apanage de la femme, alors que l’homme reste au village pour discuter des grandes décisions qui engagent la communauté. Mais aujourd’hui, la sensibilisation a amené beaucoup d’habitants à accepter que les hommes travaillent aussi aux champs et que les femmes puissent accéder à des postes à responsabilité. Dans les communautés où nous agissons, des femmes sont maintenant mises en avant, écoutées.»

Tabous et stéréotypes

Des progrès qui ne doivent pas cacher des obstacles encore nombreux. «Car les changements de mentalité prennent du temps, relève le coordinateur d’Action de Carême. C’est pour cela que nous plaçons notre action dans le long terme.» Concrètement, les détenteurs du pouvoir coutumier ne voient pas toujours ces évolutions d’un bon œil. Et parfois, les stéréotypes sont maintenus par les femmes elles-mêmes. Par exemple, dans certaines populations de RDC, les femmes qui perdent leur mari sont gravement pénalisées socialement. La tradition dit qu’elles ne doivent pas se laver pendant six mois, jeûner, garder la tête baissée. Elles doivent en outre donner des biens à la communauté. Des rites coutumiers dont les familles souffrent beaucoup.

«Avec le conflit à l’est, le gouvernement congolais a dû revoir ses priorités»

Toutes sortes de tabous touchent également les femmes. Elles n’ont par exemple pas le droit de manger certains types de gibier et lorsqu’elles sont enceintes, elles ne peuvent pas consommer d’œufs. «Pour sensibiliser à cette problématique, nous organisons notamment des repas collectifs où tout le monde est autorisé à manger de tout. Cela est efficace pour faire petit à petit évoluer les mentalités.»

Malgré ces freins, les résultats sont au rendez-vous et des augmentations du rendement agricole ont été observées au niveau des cinq projets d’Action de Carême en RDC, assure Germain Nyembo.

L’instabilité freine le développement

L’économiste agricole espère toutefois que l’insécurité alimentaire ne sera pas aggravée par la situation politique. À l’est du pays, le mouvement rebelle M23, soutenu par le Rwanda, a conquis de vastes territoires, début 2025. Aucun des projets d’Action de Carême n’est dans la région concernée, mais l’inquiétude et les tensions règnent dans tout le pays. «Bien sûr, les gens craignent que la guerre n’arrive chez eux, même jusqu’à Kinshasa, vu les ambitions expansionnistes que le M23 a exprimées. L’instabilité rend les choses plus difficiles pour tout le monde. Le gouvernement a lancé récemment un vaste programme de développement et de désenclavement des régions rurales du Congo. Mais avec le conflit à l’est, il a dû revoir ses priorités et ce programme est au point mort.»

Médiation œcuménique

Des espoirs sont mis dans les efforts de médiation entre les belligérants, en particulier menés par les Églises catholique et protestante du Congo. «Les Églises sont les seules institutions capables de mener à bien cette médiation, commente Germain Nyembo, parce qu’elles bénéficient d’une grande crédibilité au sein de toutes les parties.»

Les Groupements de solidarité possèdent des caisses d’épargne communes | © Campagne Voir et Agir /Justin Makangara

Les Églises ont mis sur pied un ‘Pacte social pour la paix dans les Grands Lacs’, qui suscite également de l’intérêt de la part du gouvernement congolais. «Bien que des réticences existent au niveau du pouvoir, parce que les approches de la politique et de l’Église ne sont pas les mêmes», remarque le collaborateur d’Action de Carême. «Mais au final, je pense que les propositions de l’Église ont de l’avenir, parce que chacun a en commun de vouloir la paix.»

L’Église en facilitatrice

La proximité avec l’Église catholique est également l’une des caractéristiques du programme en RDC. La plus grande partie des organisations partenaires ont un lien avec l’institution. L’Église, qui possède un immense réseau implanté sur tout le territoire, est très influente. Elle supplée aux services de l’État dans de nombreux domaines tels que les soins ou l’éducation. «Je suis moi-même le produit d’une école catholique», relève Germain Nyembo.

Il assure que la collaboration avec l’Église est très bonne. Les prêtres sont notamment une précieuse source d’informations et de conseils sur les problèmes qui touchent les communautés et sur les solutions à leur apporter. «Il est très pratique de pouvoir compter sur le soutien de l’institution ecclésiale, qui bénéficie d’une grande confiance dans la population. Cela facilite notre travail de sensibilisation et d’accompagnement.» (cath.ch/rz)

Germain Nyembo Kasendue est le coordinateur du programme d’Action de Carême en République démocratique du Congo (RDC) depuis 2022. Diplômé de l’Université de Kinshasa avec une spécialisation en économie agricole, il a ensuite approfondi ses connaissances à la Wageningen University & Research aux Pays-Bas. Il possède une vaste expérience professionnelle dans le domaine humanitaire et dans le développement de systèmes alimentaires durables. RZ

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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