Depuis 2021, le nombre de sorties d’Église a augmenté en Suisse, avec un taux moyen de 1,3% pour l’ensemble du pays en 2022 (34’561 personnes) et des pics remarqués dans plusieurs cantons en 2023, suite à la publication des résultats de l’étude pilote sur les abus dans le contexte ecclésial. Ces chiffres reflètent néanmoins des motivations variées, financières, éthiques ou spirituelles, et des décisions prises plus ou moins facilement, voire douloureusement.
Pour Gabrielle (prénom d’emprunt), 63 ans, la question des abus sexuels dans l’Église a clairement été le facteur décisif pour sa sortie, même si la place réduite des femmes dans les institutions ecclésiales avait déjà mené cette féministe convaincue à l’envisager 30 ans plus tôt.
Sa véritable identité, Gabrielle préfère ne pas la donner, tant pour des raisons personnelles que professionnelles. Chrétienne politiquement et socialement engagée, elle ne veut pas faire de son choix religieux une «affaire d’État». Elle le vit comme une décision éthique personnelle, prise en son for intérieur après de longues années de maturation.
En 2023, Gabrielle a écrit à l’Eglise catholique romaine de Genève pour lui annoncer qu’elle ne cochera plus la case ›catholique’ dans sa déclaration fiscale et qu’elle ne paiera donc plus ses impôts ecclésiastiques (facultatifs dans le canton). Elle lui expose aussi les raisons de son départ. Elle recevra une réponse personnelle de l’ECR.
Adolescents, après le divorce de leurs parents, Gabrielle et son frère vivent à Genève avec leur mère, une catholique pratiquante, très impliquée dans sa paroisse. «Elle y faisait la lecture pendant les messes et elle pouvait même distribuer la communion, vu qu’elle n’était pas remariée.» Mais pour Gabrielle, hors de question qu’elle s’engage en paroisse pour faire les petites mains.
«Assez croyante», comme elle se définit elle-même, la jeune fille se sent vite heurtée néanmoins par la place dévolue aux femmes dans l’Église. Alors qu’elle étudie les Sciences politiques à l’Université de Genève, au début des années 1980, elle connaît ses premières remises en question de l’institution Église.
«Ce que je voulais, ce n’était pas que les prêtres fassent un petit peu plus de place aux femmes, mais que les femmes puissent être prêtres, que les prêtres puissent être mariés, qu’ils aient une autre expérience de vie. Je ne supportais plus le Vatican. C’était, à mes yeux, une confrérie masculine, machiste, dotée de beaucoup trop de pouvoir et d’argent. Le Vatican promouvait des valeurs qui ne me convenaient pas en tant que féministe, par rapport à l’avortement par exemple, et à fortiori de la contraception.»
«Ce que je voulais, ce n’était pas que les prêtres fassent un petit peu plus de place aux femmes, mais que les femmes puissent être prêtres.»
L’étudiante, néanmoins, reste engagée dans des réseaux d’Église, ne se contentant pas du parcours de foi minima. Elle rejoint la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), que plusieurs aumôniers, «plus progressistes», animent.
«Ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant la lecture des textes bibliques, ni les rites, mais l’engagement concret à partir des valeurs chrétiennes. Il y avait des étudiants qui ne pouvaient pas venir au cours, parce qu’ils travaillaient par exemple, et je leur prêtais mes notes. Cet état d’esprit n’était pas courant à l’Uni. La JEC proposait aussi de s’engager dans le Conseil de faculté pour représenter les étudiants. En fait, c’était plus un engagement de service qu’un engagement religieux proprement dit», explique Gabrielle. Cette voie d’action correspond bien à l’étudiante catholique engagée mais «anticléricale» qu’elle est alors.
La tentation de quitter son Église pour passer chez les protestants l’effleure pour la première fois suite à un voyage biblique œcuménique. «Mais j’ai abandonné l’idée. On ne quitte pas l’Église si facilement quand on a baigné dedans depuis toujours, souligne Gabrielle. Nous étudions à l’université les théories du sociologue Max Weber sur les liens entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. En tant que chrétienne de gauche, là non plus je ne me retrouvais pas. En plus, le catholicisme m’offrait un aspect communautaire que je ne pensais pas pouvoir trouver chez les calvinistes qui, de par ma compréhension, vivaient leur foi de manière plus individuelle.»
«Je peux dire aujourd’hui que je me trompais!» s’exclame Gabrielle, qui a rejoint il y a quatre ans la paroisse protestante de sa commune. Elle y est même engagée dans son conseil de paroisse, «la question des femmes n’étant pas un problème chez les protestants».
Mais à l’époque, l’étudiante Gabrielle décide de rester catholique, à sa façon. Sa foi, elle veut bien l’entretenir et l’approfondir, mais auprès de prêtres choisis, et surtout continuer à la pratiquer sur le plan politique et associatif, guidée par les valeurs de la pensée sociale chrétienne.
Devenue ensuite mère de famille, elle fréquente la paroisse de son quartier où elle apprécie le dynamisme du prêtre. Des années plus tard, officiant dans une autre paroisse, celui-ci sera accusé d’avoir abusé d’un mineur… Vient, pour Gabrielle, le temps de la méfiance, de la désillusion puis de la colère.
«Après avoir fait sa confirmation, ma fille m’a dit: ‘Avec toutes ces histoires de pédophilie, je ne veux plus entendre parler de l’Église.’ Je la comprenais, mais j’essayais encore de faire la part des choses. Un dimanche, cependant, j’ai entendu un sermon qui m’a révoltée. Le prêtre s’est mis à nous accuser, nous les paroissiennes et paroissiens, de n’avoir pas réagi face aux crimes de pédophilie commis par des prêtres, de ne pas les avoir dénoncés. J’ai cru tomber de ma chaise! Et nous avons été obligés d’écouter son sermon sans pouvoir lui répondre ni nous défendre! C’était trop pour moi.»
«Ils se sont contentés le plus souvent d’envoyer les prêtres néfastes dans une autre paroisse. Ils leur ont offert de nouvelles jeunes victimes sur un plateau!»
Elle relève que dans les années 1960-70, en Valais, les prêtres avaient un pouvoir qui frôlait la toute-puissance. Dénoncer un curé pour attouchement, c’était prendre le risque d’être mis au ban de la communauté. «Les abus, c’est un problème structurel, qui concerne tous les baptisés, certes, mais avant tout l’Église en tant qu’institution. Les évêchés auraient pu déplacer les prêtres néfastes en les envoyant, par exemple, dans des monastères où ils n’auraient plus eu de contacts avec des enfants. Mais non, ils se sont contentés le plus souvent de les envoyer dans une autre paroisse. Ils leur ont ainsi offert de nouvelles jeunes victimes sur un plateau! J’ai donc décidé de quitter l’Église catholique», conclut-elle.
C’est ainsi que Gabrielle a rejoint une équipe paroissiale protestante qu’elle avait déjà eu l’occasion de fréquenter à l’occasion d’un parcours œcuménique. «Outre le pasteur, avec qui j’ai des affinités spirituelles, j’apprécie que des pasteures et des théologiennes y organisent des cultes et des partages de la parole, y dirigent la Sainte-Cène. Cet acte communautaire, souvenir du geste du Christ, ne doit pas nécessairement être réalisé par un pasteur, et cela correspond mieux à ma vision d’une communauté où ‘le pouvoir’ est réparti.»
«Je trouve beaucoup plus enrichissant, poursuit-elle, d’avoir des femmes qui officient qui ont une autre expérience de vie en tant que femmes, épouses, mères, grand-mères, et un pasteur qui vit aussi les réalités de couple, de père et de grand-père. Les prêtres catholiques ne savent pas ce que c’est. Quand ma mère a eu des problèmes de couple, elle a consulté le prêtre qui était son confesseur. Moi, je n’aurais jamais cherché conseil à ce propos auprès d’un prêtre.»
Pour Gabrielle, l’Église catholique a un vrai problème avec la sexualité et, par ricochet, avec la procréation. «J’ai réalisé au fil du temps que, pour l’Église, un prêtre qui a des relations homosexuelles avec un homme consentant est moins problématique que s’il a une compagne, avec le risque qu’un enfant naisse, preuve de sa ‘faute’. Beaucoup de ces ›femmes de prêtres’ ont été traitées comme les dernières des dernières et l’existence de ces enfants niée par leurs propres pères.»
Est-elle officiellement membre de l’Église protestante de Genève aujourd’hui ou, finalement, est-ce plutôt une communauté paroissiale particulière qu’elle a rejointe? «Les protestants n’ont rien exigé de moi», précise-t-elle, même si elle a, pour sa part, déposé une demande formelle auprès d’eux. «En fait, je ne sais pas ce que je suis devenue… Toujours est-il que je paye à présent mes impôts à l’Église protestante de Genève. Je considère important de subvenir aux tâches sociales des aumôneries.» (cath.ch/lb)
Lucienne Bittar
Portail catholique suisse
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