«Les Talibans ne vont pas réussir à nous réduire au silence»

Radio Begum, une radio faite par et pour les femmes afghanes, a été réduite au silence en février 2025. Créée avant le retour au pouvoir des talibans, le 8 mars 2021, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, c’était l’une des dernières fenêtres de liberté pour les femmes afghanes. Sa fondatrice, Hamida Aman poursuit le combat.

Le 4 février dernier, après 3 ans d’émission, les Talibans ont perquisitionné les locaux de Radio Begum à Kaboul et suspendu sa diffusion. Ils ont accusé cette radio emblématique des femmes afghanes de fournir des programmes à Télé Begum, une télévision couplée à Radio Begum, qui émet depuis un an par satellite depuis Paris.

Droits des femmes drastiquement réduits

Depuis leur retour au pouvoir en 2021, les talibans ont drastiquement réduit les droits des femmes afghanes, les excluant de l’espace public et professionnel. Interdit pour elles de montrer leur visage dans la rue, de chanter ou de réciter de la poésie, comme de poursuivre leur scolarité au-delà du primaire ou d’accéder à la plupart des métiers. Les Afghanes sont désormais recluses à la maison, une discrimination qualifiée «d’apartheid de genre» et dénoncée par la communauté internationale.

Dans ce contexte et jusqu’en février 2025, Radio Begum leur apportait un soutien scolaire, des conseils santé, un soutien psychologique et un espace d’expression. Une bouffée d’oxygène autant qu’un symbole de résistance pour la moitié d’une population privée de ses droits les plus élémentaires.

Sa fondatrice, la journaliste Hamida Aman, exprimait déjà en avril 2024 sa crainte que les talibans ne ferment la station: «Récemment, un décret dans quelques provinces de l’Est et du Sud du pays a interdit aux femmes de travailler en radio, expliquait-t-elle dans l’émission radio Babel. J’ai peur que notre droit de diffusion soit remis en cause». 

Nombreuses pressions

Jointe récemment par téléphone, la journaliste suisso-afghane raconte que depuis, les pressions et les contraintes des talibans s’étaient multipliées: «À l’automne 2024, on nous a ordonné d’arrêter de parler d’avortement, puis de cesser les programmes de poésie et enfin d’enlever toute musique à l’antenne, y compris pour les jingles!».

Mais face au couperet tombé février dernier, Hamida Aman ne baisse pas les bras: «Cette décision est injuste, mais les Talibans ne vont pas réussir à nous réduire au silence, réagit-elle, car ils n’ont pas les moyens d’arrêter la diffusion de Télé Begum». C’est donc sur sa chaîne TV par satellite qu’elle poursuit aujourd’hui son combat.

Car dans ce pays, la détresse psychique des femmes explose en raison de leur isolement: «80% des suicides sont le fait de femmes, explique-t-elle. Elles sont étouffées et le pays est en train mourir. Il est marqué par 40 ans de guerre et traverse une crise économique et financière sans précédent. Les filles et les femmes afghanes ont donc plus que jamais besoin d’être écoutées et soutenues».

Hamida Aman devait retourner à Kaboul, mais depuis la suspension de Radio Begum, elle attend de clarifier la situation, car s’y rendre n’est désormais plus sans risques.

En attendant, elle organise le relais sur TV Begum: «On est désormais en mesure de recevoir des appels de femmes afghanes qui nous contactent, explique-t-elle, et de répondre à leurs questions avec des spécialistes, depuis Paris ». Elle poursuit aussi sur ce canal la diffusion des cours pour les élèves privées d’enseignement. Aujourd’hui, TV Begum reste le seul média à fournir un accès à l’éducation des filles: «On a produit 8’500 vidéos de cours, d’une durée de 15’, en maths, en science et dans toutes les branches du cursus secondaire». (cath.ch/cp/bh)

Hamida Aman
Née à Kaboul en 1973, Hamida Aman a six ans quand sa famille fuit la guerre pour se réfugier en Suisse. Après des études de Lettres à l’Université de Lausanne, elle devient pigiste à 24 heures puis stagiaire à L’Hebdo. Elle décide de retourner dans son pays après la chute des talibans, en 2001. Elle développe alors plusieurs projets dans le secteur des médias, monte Awaz, un groupe de production audiovisuelle, et multiplie les allers-retours à Paris, où elle réside avec son mari français et ses enfants. Le 8 mars, elle fonde 2021 Radio Begum et le 8 mars 2024 TV Begum. CP

Pour aller plus loin :

Résistance Renaissance, ouvrage collectif publié en soutien à Radio Begum, Editions Labor & Fides, 2024

-Radio Bégum, la voix des résistantes, documentaire de Solène Chalvon, disponible sur la plateforme Arte TV.

Retrouvez l’entretien complet mené en avril 2024 par Gabrielle Desarzens dans l’émission radio «Babel»,
en nouvelle diffusion le 9.03.2025 à 11h sur RTS Espace 2
et sur podcast sur rts.ch/religion/babel, ou via l’App Play RTS, sur smartphone.

Carole Pirker

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/les-talibans-ne-vont-pas-reussir-a-nous-reduire-au-silence/