«C’est une première reconnaissance, mais elle n’efface pas la souffrance encore très réelle des familles qui ont subi les déchirements de la séparation obligatoire. Beaucoup disent que leur vie a été détruite. Que ce soit celle des enfants placés ou celles des parents à qui on a enlevé les enfants», témoigne le jésuite Christoph Albrecht.
Entre 1926 et 1973, la fondation Pro Juventute, des organisations caritatives religieuses ainsi que des autorités politiques ont organisé le placement de près de 2000 enfants des gens du voyage, enlevés à leurs familles et placés dans des foyers, des familles d’accueil, mais aussi des asiles psychiatriques et des prisons. Des adultes ont aussi été mis sous tutelle, placés dans des institutions, interdits de mariage ou stérilisés de force.
Au vu de la gravité des accusations, le Département fédéral de l’intérieur (DFI) a commandé il y a près d’un an un avis de droit au professeur Oliver Diggelmann, de l’Université de Zurich. Celui a conclu que les actes en question doivent être qualifiés de «crimes contre l’humanité».
À la suite de cet avis de droit, la conseillère fédérale Baume-Schneider a rencontré le 20 février une délégation de Sinti et de Yéniches suisses. Puis, le même jour, le Conseil fédéral a écrit une lettre d’excuse aux Yéniches, signée par la présidente Karin Keller-Sutter.
Mais plusieurs questions se posent à propos des excuses du Conseil fédéral et de l’avis de droit du professeur Oliver Diggelmann, de l’Université de Zurich, souligne Christoph Albrecht. Elles expliquent pourquoi des Yéniches de Suisse se disent aujourd’hui à nouveau blessés.
Dans son rapport, Oliver Diggelmann note que «les actes de persécution dont il est question violaient de manière systématique les droits fondamentaux des membres du groupe en raison de leur appartenance à ce dernier». Pour le Père Albrecht, si parler de «crimes contre l’humanité» est positif en soit, la communauté yéniche aurait préféré gardé le terme de ›génocide’ qui inclut la notion de peuple. Sa définition officielle inclut l’intention d’éradiquer une culture donnée, même sans massacres physiques à l’appui. On aurait donc pu le choisir.»
«L’appellation de ‘crimes contre l’humanité’ est certes une reconnaissance très forte des méfaits commis à l’encontre des Yéniches, mais elle ne rend pas toute à fait compte de l’objectif politique qu’ils servaient, soit l’éradication de leur langue, de leur culture, de leur manière de vivre, soit du nomadisme, à travers une assimilation forcée.»
Un autre point fait encore problème, relève le Père Albrecht. La lettre d’excuse signée par Karin Keller-Sutter déclare: «En 2013, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a présenté à toutes les victimes de mesures de coercition et de placements extra-familiaux les excuses du Conseil fédéral pour les injustices qu’elles avaient subies. Ces excuses s’adressaient aussi aux Yéniches, quoique cela n’ait pas été explicitement mentionné.»
Ce propos est mal passé auprès des Yéniches. Si les communautés des Manouches et des Yéniches ont longtemps attendu des excuses de toutes les instances politiques historiquement impliquées, à tous les échelons, donc pas seulement des excuses fédérales, mais aussi cantonales et communales, ce n’est plus le cas aujourd’hui. «Chaque canton doit faire mémoire de sa propre collaboration. On le doit à ce peuple», dit l’aumônier des gens du voyage.
Comme il le souligne, les excuses ne suffisent pas. Ce que ces communautés veulent, c’est que ce travail de mémoire se traduise par une reconnaissance et acceptation concrète de leur mode de vie. «Cela passe par un élargissement des places de stationnement mises à leur disposition par les communes, par exemple.» (cath.ch/lb)
Une pastorale en mouvement
On estime le nombre de Yéniches en Suisse entre 30’000 et 50’000; 3’000 d’entre eux vivent encore une existence semi-nomade. Depuis 2016, le jésuite Christoph Albrecht dirige la pastorale catholique des gens du voyage en Suisse. Il estime sa communauté ›stable’ à près de 200 personnes. Mais bien des demandes surgissent du cercle plus élargi.
«Même si je souhaite construire une Église interculturelle et non de ›guichet’ je réponds bien sûr à tous leurs appels dans la mesure du possible. Je rends visite aux Yéniches où qu’ils se trouvent. L’aumônerie est connue dans la communauté, et on m’appelle régulièrement pour un baptême, des premières communions, des funérailles. Beaucoup de paroisses nous accueillent très généreusement», témoigne-t-il. LB
Lucienne Bittar
Portail catholique suisse
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