L’entrée en vie religieuse, une réalité en constante évolution

Qui sont celles et ceux qui font le choix, aujourd’hui, d’entrer au couvent ou à l’abbaye? Comment les communautés religieuses peuvent s’adapter à ces nouveaux profils, aux changements de la société? Des questions scrutées lors d’une conférence de la sociologue Isabelle Jonveaux, le 5 février 2025, à Fribourg.

Bien qu’en perte de vitesse, la vie religieuse garde une importante force de fascination. En témoigne la grande affluence qui marque la conférence d’Isabelle Jonveaux, intitulée «Entrer dans la vie religieuse aujourd’hui», organisée par le Centre romand des vocations (CRV). La quarantaine de chaises installées dans la salle de paroisse du Christ-Roi, à Fribourg, sont toutes occupées. Des religieuses et religieux sont certes présents, mais aussi un public intéressé par la vie consacrée.

Une vie avant le monastère

La chute impressionnante des vocations, en tout cas en Europe, est un constat qu’Isabelle Jonveaux ne peut éviter. La spécialiste de la vie religieuse dans ce continent et en Afrique a réalisé ses recherches sur des ‘entrants’ de Suisse, de France et d’Autriche. En territoire helvétique, seuls 9 questionnaires lui sont revenus, 16 en Autriche et 128 en France. Malgré leur maigreur, ces données, complétées par d’autres études, ont permis d’esquisser un certain nombre de tendances sur l’état de la vie consacrée dans les pays occidentaux.

La sociologue Isabelle Jonveaux est spécialiste de la vie religieuse en Europe et en Afrique | © Raphaël Zbinden

Un tableau réalisé en Autriche sur 70 ans montre que l’âge d’entrée dans une communauté n’a cessé d’augmenter. De 22,1 ans en moyenne durant la période allant de 1952 à 1965, il est passé à 33,6 ans entre 2011 et 2024.

Une réalité qui comporte des avantages autant que des inconvénients. Les nouveaux entrants sont souvent des personnes ayant eu «une vie», notamment au niveau professionnel et relationnel. Une expérience qui peut apporter beaucoup aux communautés, mais qui en même temps génère des attentes «plus clairement formulées», note Isabelle Jonveaux. «A l’époque, une jeune fille passait souvent directement de l’autorité du père à celle du couvent, les relations d’obéissance étaient bien définies.» A l’heure actuelle, il n’est plus possible pour les institutions de fonctionner comme avant, selon le mode de «l’institution totale», en particulier concernant la formation.

L’importance d’un «charisme bien défini»

Les statistiques montrent également que les communautés dites «nouvelles» attirent davantage de jeunes. Elles bénéficient d’un cercle vertueux selon lequel la présence de jeunes attirent d’autres jeunes. Les communautés apostoliques (dont la mission principale est l’action dans le monde) semblent également moins attractives que les instituts monastiques (qui ont pour vocation la prière, la contemplation et une vie retirée du monde).

Les congrégations semblant le mieux tirer leur épingle du jeu sont en général les plus connues et celles ayant «un charisme clairement défini». Les communautés traditionalistes en tirent notamment parti.

«Rupture prophétique»

Les changements sociaux ont fait qu’un grand nombre de vocations dites «de continuité» ou «de proximité» se sont taries. Au siècle passé, dans cette continuité, la trajectoire des candidats à la vie consacrée les menait de l’école religieuse au couvent ou au monastère. Les instituts où l’on décidait de passer sa vie étaient également proches de chez soi. La vie religieuse permettait à de nombreuses jeunes filles de faire des études, de se former pour des métiers tels qu’infirmières ou enseignantes. Un contexte qui a aujourd’hui largement disparu. Les candidats privilégient au contraire des lieux de vie plus lointains dans une démarche plus contemporaine de «rupture prophétique», selon laquelle il s’agit de laisser sa vie d’avant derrière soi.

«Aujourd’hui, qui ne communique pas, n’existe pas»

Les ‘entrants’ viennent aujourd’hui en grande partie de familles très pratiquantes dans des milieux favorisés à très favorisés. Leur socialisation s’est faite souvent dans des groupes de jeunes associés au catholicisme, tels que les scouts d’Europe. Une bonne partie ont également été servantes ou servants de messe.

«Ce qui apparaît comme certain est l’impossibilité de renoncer totalement à internet»

Ils ont connu leur communauté en majorité à travers des liens personnels et ont déterminé leur choix en visitant les sites internet. Isabelle Jonveaux note ainsi l’importance pour une communauté de soigner cette ‘porte d’entrée’. «Aujourd’hui, qui ne communique pas, n’existe pas», remarque-t-elle. La fraternité et la spiritualité sont les deux mots clés revenant en majorité pour décrire les motivations des personnes intégrant la vie religieuse. La «joie» se situe également en bonne place. Alors que le sacrifice ou l’ascèse ne sont plus à l’ordre du jour.

Une juste «distance utopique»

Des motivations marquées par les impératifs sociaux de réalisation personnelle. «Les attentes d’épanouissement et la recherche du bonheur sont plus fortes que par le passé. Cela peut créer des difficultés avec les anciennes générations qui ne comprennent pas forcément cette mentalité.»

Graphique représentant la «distance utopique plausible» entre société et vie religieuse | © Raphaël Zbinden

L’individualisme ambiant est l’un des défis les plus importants pour l’intégration des nouveaux venus. Les communautés sont appelées à appréhender cela en tenant notamment compte de la juste «distance utopique». Selon ce concept sociologique, la vie religieuse doit proposer quelque chose qui soit à la fois différent de la société, mais qui n’en soit pas non plus trop éloignée, afin de «rester plausible». Une réalité en constante évolution.

Internet rend la clôture «poreuse»

A l’heure des questions, la place de la technologie, et notamment d’internet, retient les esprits. «La clôture est devenue poreuse», remarque un dominicain qui s’interroge sur le bon équilibre à garder au sein des communautés dans l’utilisation des ordinateurs et des smartphones. Faut-il interdire? Réglementer? La réponse des institutions est diverse. Ce qui apparaît comme certain est l’impossibilité de renoncer totalement à internet, qui, s’il est utilisé comme un «instrument» au service de la foi, peut aussi porter de bons fruits. «Nous avons l’opportunité d’inspirer au monde une utilisation plus juste de ces technologies», relève le dominicain.

Des carmélites présentes assurent discuter fréquemment entre elles des enjeux posés par la recherche de relève et les nouveaux profils des arrivantes. Elles mettent en avant l’importance de l’approche personnalisée. «Il est vrai que les femmes qui entrent maintenant au couvent ont des profils un peu différents, remarque une religieuse âgée. Mais finalement, toutes ont la même soif de Dieu et l’humanité est toujours la même.» (cath.ch/rz)

Isabelle Jonveaux est sociologue des religions, spécialiste de la vie religieuse en Europe et en Afrique. Elle est actuellement responsable de l’Institut de Sociologie Pastorale de Suisse romande (SPI, à Lausanne) et chargée de cours à l’Université de Fribourg. Elle a notamment publié Moines corps et âme (2018) et Une culture de la satiété (2024).

Raphaël Zbinden

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