Père Samih Raad: une nouvelle réalité s’installe au Proche-Orient

La récente guerre sanglante entre le Hezbollah et Israël a fait plus de 4000 morts au Liban. Les bombardements israéliens ont rasé au sol des dizaines de villages au Sud du pays et dans la plaine de la Bekaa, détruit des quartiers entiers du Sud de Beyrouth, ainsi que nombre d’infrastructures, d’hôpitaux et d’écoles, et déplacé près d’un million et demi de Libanais.

Jacques Berset, pour cath.ch

Finalement interrompue par le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, cette guerre dévastatrice, qui a également totalement détruit la bande de Gaza et s’étend maintenant à la Cisjordanie occupée, instaure une nouvelle réalité au Proche-Orient, confie à cath.ch le Père Samih Raad, depuis septembre 2017 curé de la Communauté de paroisses de sainte Catherine de Hombourg, en Moselle, à quelques encablures de la frontière allemande.

Le projet de l’Iran dans la région est fini

Le prêtre melkite libanais, qui tient à ne parler que comme observateur, se refusant de mêler religion et politique, constate que c’est notamment la fin des projets politico-religieux menaçant le pluralisme libanais. «Je suis un philosophe, pas un poète. Je ne rêve pas, je lis les événements. Le projet de l’Iran dans la région est fini, la région va entrer dans une période de paix sous un parapluie occidental…» Il ajoute également que les projets nationalistes appartiennent désormais au passé.

Il y a deux ans, le Père Samih Raad était moins optimiste, qui nous déclarait: «Malheureusement, si on connaît la date du début de la guerre au Liban, il n’y a pas de date qui commémorerait la fin de cette guerre: les chefs des groupes armés sont toujours là. Ils sont au pouvoir, ils ont échangé leurs tenues militaires pour des costumes cravates…» Aujourd’hui, il se veut plus confiant.

Tout en préparant pour ses hôtes accueillis dans son presbytère de Hombourg-Haut le markouk – un pain fin comme une feuille cuit sur le saj, une sorte de tôle bombée chauffante – le Père Samih Raad se réjouit que son pays ait enfin un président de la République.

Le Père Sami Raad prépare le pain libanais dans son presbytère de Hombourg-Haut | © Jacques Berset

L’élection du général Joseph Aoun met fin à une vacance de plus de deux ans à la tête du pays, plongé dans une grave crise économique et politique. Durant ces derniers mois, le Père Samih a tremblé pour les siens restés au pays, ses frères et sœurs, en particulier son frère Wajih Raad, un avocat, qui vit tout proche du quartier chiite de Beyrouth qui a été sévèrement bombardé et est à moitié détruit.

Naissance d’un nouveau Proche-Orient

Pour ce docteur en philosophie et islamologue, le projet du nouveau Proche-Orient débute avec les «Accords d’Abraham» signés le 15 septembre 2020 entre les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et Israël. «La région du Proche-Orient mérite d’entrer dans une période de paix, car elle ne connaît plus la paix depuis les années 1840, avec les massacres de chrétiens par les druzes au Mont-Liban (1840-1860), le massacre des chrétiens par les musulmans sunnites à Damas (1860), la Grande Famine du Mont-Liban pendant la Première Guerre mondiale entraînant la mort de près de 150’000 personnes, la 2e Guerre mondiale, la naissance d’Israël, les Révolutions arabes (notamment Nasser en Égypte et les coups d’État en Syrie), et la guerre civile libanaise de 1975 à 1990, qui a fait entre 150’000 et 250’000 morts et de nombreux disparus et exilés, sans oublier les diverses invasions israéliennes en 1978, 1982, 2006 et 2024.

La Syrie ne va pas devenir un nouvel Afghanistan à la sauce talibane

Le Père Samih a l’espoir que les nouvelles générations, juifs, chrétiens et musulmans, ne voudront plus que la guerre perdure encore pendant des générations. Ainsi, il voit également une ère nouvelle pointer en Syrie, comme dans tout le Proche-Orient, malgré la prise de pouvoir à Damas par les djihadistes d’Ahmed Hussein al-Charaa, de son nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani.

«C’est un peuple qui sait vivre et ne va pas se transformer en une sorte d’Afghanistan des talibans. L’âme de la Syrie est plus grande que le pouvoir qui l’a écrasée. La Syrie a donné de grands saints – Saint Jean Damascène, Saint Ephrem le Syrien, Saint Maroun, Saint Jean Chrysostome – des poètes, des philosophes, des juristes, des théologiens et des écrivains. Cette Syrie ne mourra jamais! Le jasmin de Damas, avec sa fragilité, est éternel, c’est le paradoxe de la vie!»

Une enfance dans la guerre

Le Père Samih a vécu toute son enfance dans la guerre. Il est né le 5 mars 1968 à Kfarnabrakh, autrefois une bourgade montagneuse mixte chrétienne-druze du district du Chouf, dans le sud du Mont-Liban, qui fut durement touchée lors de la «guerre de la Montagne» (Harb al-Jabal) de 1982-1983.

Un habitant druze de Kfarnabrakh | © Jacques Berset

Il a dû quitter sa région natale pour Beyrouth en 1976 et à nouveau fuir en 1982, lorsque l’armée israélienne a occupé le Liban. Il est alors retourné vers la région chrétienne de Beyrouth. Il a été à nouveau chassé trois fois de son lieu d’habitation en raison des guerres interchrétiennes, de 1982 à 1991. De nationalité libanaise et française, il est installé en Moselle depuis 2003. (cath.ch/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/pere-samih-raad-une-nouvelle-realite-sinstalle-au-proche-orient/