«Crois-tu cela?»
Qu’est-ce que la vie? Voilà la question pour nous ce matin. Et si nous nous la posons, il nous faut aussi explorer son corollaire: qu’est-ce que la mort? Lazare est mort, c’est le frère bien aimé de Marthe et de Marie, c’est un ami très cher à Jésus.
Il est mort depuis quatre jours. Son corps est au tombeau et déjà gentiment en début de décomposition. Marthe sa sœur est dans la peine, elle va au-devant de Jésus qui arrive un peu tard. Il aurait pu faire quelque chose s’il était arrivé à temps… S’installe alors un dialogue entre Marthe et Jésus, qui est un total malentendu, sur la question de la vie justement et de la mort. Un de ces malentendus qui nous permettent de saisir, à nous qui entendons le dialogue, qu’il y a autre chose à comprendre.
Oui, Jésus, face à la souffrance de Marthe, lui dit: «Ton frère ressuscitera». C’est une affirmation: Lazare va ressusciter. Et Marthe, qui est une femme de foi, répond du tac au tac «Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour». Eh oui, Marthe connaît son catéchisme juif: les morts qui sont morts ressusciteront un jour, et c’est là l’espérance des vivants. Elle pense que Jésus essaie de la consoler en lui rappelant que son frère ressuscitera un jour, au dernier jour. Mais le fait est que c’est maintenant qu’elle souffre de la séparation, de son absence soudaine, de son sentiment d’impuissance face à la maladie que son frère a traversée, de tout ce qu’elle aurait peut-être aimé lui dire encore, de tout ce qu’elle aurait aimé encore partager et vivre avec lui, de tous les «pourquoi lui, il était si jeune?» qui s’imposent à son esprit. Alors c’est un peu loin l’horizon du dernier jour!
Face à la mort physique, Marthe, tout comme nous, raisonne en terme de vie biologique et chronologique. Oui, la vie est ce temps dont on dispose sur terre, dans le corps qui est le nôtre pour accomplir un certain nombre de choses, pour recevoir et donner, pour transmettre, pour aimer, pour être et paraître, pour faire, etc. Et la mort c’est quoi… c’est la fin de tout cela, c’est la destruction de la personne, c’est sa pulvérisation dans l’inconnu, le néant. C’est la fin de la relation. C’est la fin.
Et puis souvent la mort est précédée de maladie ou d’une vilaine chose qu’on appelle la vieillesse! C’est fascinant de voir que la quête de la vie éternelle, qui est souvent la quête de la jeunesse éternelle (tant qu’à faire autant vivre jeune!) existe depuis la nuit des temps. Et notre temps a aussi ses héros de cette quête. Avez-vous entendu parler de ce milliardaire américain de 47 ans, vivant en Californie et qui consacre toutes ses journées et accessoirement plus de 2 millions de dollars par an pour essayer de ne pas mourir, ou du moins de vivre jusqu’à 200 ans. Hygiène de vie drastique par la nutrition et les exercices physiques, soutien des technologies de pointe en matière de santé et de longévité, il y croit. Il pense qu’on peut essayer d’échapper à la mort. Et il n’est pas le seul. Il a des milliers de clients à travers le monde, qui comme lui cherchent la vie éternelle. C’est un business bien connu aux Etats-Unis: il y a actuellement environ 800 cliniques dites «de longévité» dans tout le pays qui aident leurs patients à ralentir le vieillissement de leurs cellules.
On est là sur la compréhension de la vie comme physique, biologique, chronologique. Et la mort en est le grand ennemi, qu’il faut bannir, qu’il faut faire disparaître. Le souci c’est qu’en voulant échapper à la mort ainsi, on fait de la mort une obsession et on réduit la vie à être une lutte contre la mort. Il y a quelque chose de très morbide là-dedans.
«Je suis la résurrection et la vie»: réponse de Jésus à Marthe, dans la suite du malentendu. Je suis la résurrection et la vie. Je suis. Comme les mots de Dieu quand il s’est révélé à Moïse dans le buisson ardent en lui disant «Je suis celui qui suis». Ce n’est pas rien! Tout à coup, la vie est une personne. La vie c’est Jésus-Christ de Nazareth, celui que Dieu a envoyé pour nous. Etre en vie devient non pas être une âme et un esprit dans un corps qui fonctionne, mais croire en Jésus-Christ, recevoir ce don qu’il nous donne, dans le présent de nos vies. Pas dans un futur théorique et inconnu, pas «un jour, quand tout sera accompli». Je suis, là, maintenant. La résurrection et la vie. La résurrection c’est aujourd’hui, pas demain. La vie c’est maintenant, pas plus tard. Et il rajoute «Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais».
Frères et sœurs, le Seigneur nous dit là que notre vie, notre être, est plus que notre corps souffrant, plus que notre jeunesse perdue, plus que nos capacités physiques et cognitives qui diminuent de façon inexorable. Notre vie n’est pas définie ni déterminée par nos maladies physiques ou mentales, ni par nos réussites ou nos échecs, ni par ce que nous accomplissons de valable aux yeux des hommes. Tout cela c’est la vie selon nos critères humains. Mais le Seigneur nous dit que c’est plus que cela, que c’est au-delà de ça, que c’est même autre chose que cela. Nous sommes vivants si nous arrêtons de lutter contre tout cela, si nous guérissons de tous ces schémas et si nous recevons, comme des enfants, ce don de cette relation avec Jésus qui est lui-même la vie, la vie-résurrection que rien ne peut détruire. La vie éternelle que rien, ni la maladie, ni les calomnies, ni les échecs, ni aucune souffrance, ni aucune rupture, ni même la mort physique ne pourra nous enlever. La vie éternelle qui nous est donnée maintenant, simplement dans la foi en Jésus-Christ, le fils de Dieu.
Et nous sommes morts si nous ne sommes pas dans cette relation. Si nous sommes donc séparés de Dieu et que nous vivons dans l’illusion que notre vie ne dépend que de nous. Et si nous sommes incapables d’accueillir la mort biologique comme simplement ce qu’elle est : un passage. Alors, soyons conscients qu’il y a des vivants qui sont en fait morts spirituellement et des gens qui semblent morts qui sont vivants en Dieu.
Dans la suite du récit, Jésus va ressusciter Lazare, ou plutôt il va le réanimer car il le fait revenir à la vie, mais à la vie biologique, qui s’arrêtera encore un jour. Ce miracle est un signe que Jésus accomplit pour montrer, pour nous faire comprendre qu’Il est celui qui donne la vie, sous toutes ses formes, ici et maintenant. Qu’il peut tout, qu’il peut faire passer toute chose de la mort à la vie. Ce signe de Lazare nous est donné et devrait nous suffire, mais il n’est pas interdit de demander à Dieu d’intervenir dans des cas concrets de notre vie. Non pas pour qu’il nous prouve qu’il peut, mais parce qu’on croit qu’il le peut. Parce qu’on lui témoigne de cette foi, en lui, qui est la vie.
Car nous aussi, nous avons des Lazare, des morts dans nos tombeaux. Je veux parler de toutes ces choses qui nous paraissent perdues à jamais, tous ces «c’est foutu», toutes ces relations qui nous semblent mortes, tout ce à quoi on s’est résigné.
Et peut-être que nous croyons que l’Eglise est un peu un Lazare en devenir? Du moins sous nos latitudes ici. Il y a bien des choses auxquelles on renonce. On fusionne nos paroisses pour garder une taille acceptable et pour éviter que certaines, à bout de souffle, ne meurent. On constate, impuissants, une crise des vocations, pas seulement de prêtres, de pasteurs et de diacres, mais aussi de croyants, de chrétiens…
Frères et sœurs, c’est la question pour nous ce matin, quelles que soient nos traditions chrétiennes, nous qui récitons le symbole de Nicée dont on fête les 1700 ans, qui confessons notre foi commune en Dieu, en Christ, en l’Esprit Saint. Croyons-nous aux paroles de Jésus? Pas comme un catéchisme auquel nous adhérons par tradition ou par la partie rationnelle de notre intelligence, mais comme une vérité qui nous saisit, qui nous bouleverse, qui nous fait vivre, chaque jour. Croyons-nous que Jésus est notre vie, notre résurrection, et qu’il agit aujourd’hui et maintenant? Que cette vie et cette résurrection dont il parle ne peuvent pas être détruites par la mort, car il s’agit d’une autre vie que celle que nous voyons de nos yeux. D’une vie en plénitude, dans la paix et la joie de le connaître? Et cela, même au cœur de l’épreuve et de la souffrance?
Crois-tu cela, pour toi, pour ta famille, pour ton Eglise? Crois-tu que rien ne lui est impossible? Qu’il a toute autorité sur la vie et sur la mort? Crois-tu cela? Crois-tu qu’il peut, s’il le veut, ressusciter ce que tu crois mort? Redonner vie à des ossements desséchés, refaire pousser des forêts là où les incendies ont tout brûlé? Et t’aider à traverser, vivant et debout, ce qui ne peut pas changer?
Crois-tu cela? Crois-tu ce qu’Il nous dit dans l’Apocalypse (au premier chapitre): «Ne crains pas! Je suis le premier et le dernier, le vivant. J’étais mort, et voici, je suis vivant à tout jamais. Et j’ai les clés de la mort et du séjour des morts.»
Alors, qu’est-ce que la vie? Elle t’est donnée, aujourd’hui et maintenant: c’est lui, c’est Jésus-Christ. Lui qui est aussi le chemin et la vérité. Choisis-le, rechoisis-le, par la foi et tu vivras avec lui, à jamais. De cette vie nouvelle selon Dieu, selon son amour et sa grâce. Où Jésus, le Ressuscité marche avec toi, même dans la mort et au-delà.
Amen
(cath.ch/rz)
https://www.cath.ch/predication-du-19-janvier-2025-jean-1117-27/