Message pour la paix: un casse-tête logique au cœur d’un appel prophétique

Le message du pape pour la 58ème Journée mondiale de la Paix du 1er janvier prochain s’inspire largement de l’idée du Jubilé, alors que l’Église va célébrer tout au long de l’année qui commence une Année Sainte.

La tradition jubilaire trouve sa source dans le livre du Lévitique de l’Ancien Testament, mais le pape élargit la perspective en parlant d’un «événement qui nous pousse à rechercher la justice libératrice de Dieu sur la terre». Ainsi, le message est un appel prophétique «à briser les chaînes de l’injustice afin de proclamer la justice de Dieu». Le pape donne à cet appel une portée structurelle, il demande d’utiliser l’année qui vient pour opérer des transformations durables de façon à rendre pérennes les changements qui en seront issus.

La source de l’idée jubilaire se trouve au chapitre 25 du Lévitique. Elle y est présentée comme un «super-sabbat», un temps de restauration de l’ordre original: «Tu compteras 7 années sabbatiques, 7 fois 7 ans, c’est-à-dire 49 ans – dit le texte. Et d’ajouter: «Vous ferez de cette cinquantième année une année sainte, vous proclamerez la liberté dans le pays pour tous ses habitants. Ce sera pour vous le jubilé: chacun de vous retournera dans sa propriété et dans son clan».

«Grâce au jubilé, le temps eschatologique, s’impose au temps purement économique»

Dans le contexte historique de l’Ancien Testament, la liberté et le retour dans les terres ancestrales étaient synonymes de l’annulation des dettes – dont le non-paiement était sanctionné à l’époque par la réduction en esclavage – et de la restauration des débiteurs dans leur statut de membres pléniers de la communauté. Le Jubilé apparait donc comme un mécanisme qui, en limitant à 49 ans – la durée approximative d’une génération – le temps ouvert à l’action de la logique impitoyable de la dette et des intérêts composés, protège, en dernière analyse, la pérennité de la communauté.

Grâce au jubilé, le temps eschatologique, s’impose au temps purement économique. La question, fort débattue par ailleurs, de savoir si les sociétés de l’époque avaient mis en œuvre l’exhortation du Lévitique est secondaire, tant il est vrai qu’elle continue à résonner à nos oreilles et à nous interpeller.

L’Église proclame une Année sainte tous les 25 ans depuis le début du XIV siècle sans pour autant lui donner un contenu économique. C’est là que le pape François innove. Il met la dette entre le Nord et le Sud au centre de son message pour la Journée de la Paix 2025 et la place dans la perspective du Jubilé. «Profitant de cette année jubilaire, j’invite – dit le pape François – la communauté internationale à agir pour remettre la dette extérieure, en reconnaissant l’existence d’une dette écologique entre le Nord et le Sud.»

«Une quarantaine de pays ont bénéficié d’un allègement de leur dette»

Dans un même souffle, le pape aborde deux problèmes, celui du désendettement des pays les plus pauvres et celui de la dette dite écologique. La première dette est monétaire. Son volume total – pour tous les pays à revenu moyen et faible -est de l’ordre de dix mille milliards de dollars. Une partie difficile à estimer avec précision de cette dette est «insupportable» en termes aussi bien économiques que moraux.

Sans aller jusqu’à proposer l’annulation, saint Jean Paul II appelait déjà dans le message pour la Journée de la Paix du l’Année sainte précédente, en l’An 2000 à «trouver des solutions définitives au vieux problème de la dette internationale des pays pauvres». Par contre, l’annulation avait été au cœur de la campagne «Jubilee 2000» portée par de nombreuses ONG depuis le milieu des année 1990.

Cette campagne a réussi à perturber la réunion du G8 à Birmingham en 1998 en organisant une immense chaîne humaine. Cette mobilisation de la société civile avait fortement impressionné les chefs d’états du G8. Et, indirectement, elle a contribué à la création d’un mécanisme d’allégement de la dette pour les pays les plus pauvres sous l’égide du FMI. A ce jour, une quarantaine de pays en ont bénéficié pour un allégement total d’environ 100 milliards de dollars. C’est dire que la marge d’amélioration reste considérable.

«La finalité première du jubilé a toujours été la restauration des liens communautaires»

La dette écologique est d’une toute autre nature. Il s’agit de «réparations» pour des dommages environnementaux infligés à la planète de manière disproportionnée par les pays du Nord et dont les conséquences entravent le potentiel de croissance et sont source de coûts pour les pays en développement. Même si personne de sérieux ne conteste la contribution disproportionnée des pays du Nord à la dégradation de l’environnement, la notion de la dette écologique défendue par certains pays et de nombreuses ONG est loin d’être officiellement reconnue, notamment par les pays du Nord, de peur qu’elle ne donne lieu à des obligations financières.

C’est ainsi que les engagements pris par les pays du Nord lors de la récente COP29 à Bakou – de transférer vers le Sud 300 milliards de dollars par année (à l’horizon de 2035) pour protéger les populations des effets du dérèglement climatique – s’inscrivent implicitement dans la logique de la dette écologique.

Le message du pape peut toutefois paraître paradoxal, voire incohérent par rapport à l’idée jubilaire de l’annulation des dettes, puisque d’un côté il prône l’annulation de certaines dettes monétaires, alors que de l’autre il propose la reconnaissance de la dette écologique. Avant de pointer du doigt ce qui ressemble à une contradiction, ne perdons pas de vue que la finalité première du jubilé a toujours été la restauration des liens communautaires faits «de solidarité et d’harmonie entre les hommes» – l’annulation des dettes, tout comme leur reconnaissance ne sont que des instruments au service de cet objectif. Aujourd’hui comme hier.

Paul H. Dembinski

25 décembre 2024

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