Par Luc Balbont pour cath.ch
On en comptait deux millions avant la guerre de 2011, entre l’armée syrienne et les groupes rebelles, soit 8% à 10% de la population. Ils ne seraient plus que 500’000 aujourd’hui (2% environ). A 24 heures de Noël, comment les chrétiens de Syrie, orthodoxes et catholiques, s’apprêtent-ils à passer leur premier Noël (*1), après la chute de la famille Assad? «Les nouveaux dirigeants du HTC (Hayat Tahrir al-Cham, Organisation de Libération du Levant) sont passés nous voir pour nous demander de continuer toutes nos célébrations, et de ne rien changer à nos habitudes», confie le Frère Georges Sabé (voir encadré).
Seule différence, poursuit le religieux, l’heure qui sera avancée dans les familles: «Avant, les rues étaient bondées, et la fête commençait après 23 heures. Aujourd’hui, les gens ont peur. A huit heures, ils sont rentrés chez eux et n’en bougent plus. Il y a un grand sentiment d’insécurité.» Georges se souvient des Noëls de sa jeunesse, où les paroissiens rendaient visite à leur évêque, c’était une tradition à Alep: «Les nouveaux dirigeants du HTC viendront-ils souhaiter de bonnes fêtes aux évêques, pour perpétuer la coutume?», se demande Georges. Pour lui, ce serait un signe positif.
Le Mariste relève un détail encourageant. Entre Alep et Damas, la région conquise par le HTC, les routes sont libres, il n’y a plus de contrôle. Les familles qui étaient séparées vont pouvoir enfin se retrouver.
«Les chrétiens syriens ne veulent plus être considérés comme une minorité protégée, mais comme des citoyens à part entière»
Sous le régime de la famille Assad, la communauté chrétienne était décrite, notamment par les Occidentaux, comme une «minorité protégée». «Nous ne voulons plus être taxés ainsi, nous voulons être traités comme des citoyens normaux, à l’image de toutes les autres communautés qui composent la mosaïque syrienne, avec les mêmes droits. Car, même ‘protégée’, la dictature d’Assad nous imposait sans cesse des contrôles, nous étions surveillés, obligé de rendre des comptes en permanence sur nos activités. Ainsi, si je recevais chez moi un ami, un parent, je devais en aviser l’administration, même si nous n’étions pas persécutés, exceptés pour certains chrétiens, ouvertement hostiles au pouvoir.» Frère Georges évoque entre autres un souvenir douloureux: celui de la suppression en 1967 des écoles catholiques par la dictature Assad. «Le régime avait pourtant promis de les rendre. Il n’a jamais tenu sa promesse.»
L’espoir suscité par la chute de la dictature est tempéré par les craintes des chrétiens face à ce gouvernement issus de l’islamisme … «Aujourd’hui, nous sommes prêts à participer à la construction de la nouvelle Syrie. C’est ce que nous demandons au HTC, mais nous avons beaucoup de craintes, devant ces dirigeants issus de l’islamisme.» Le HTC tiendra-t-il ses promesses? Beaucoup de chrétiens se remémorent la visite du pape Jean Paul II à Damas en 2001, et ses effets positifs sur la vie quotidienne des Syriens. «On a tous cru au changement. Hélas, l’espoir a été vite déçu», se rappelle le Mariste.
Depuis son arrivée au pouvoir il y a quelques semaines, le HTC donne des gages d’ouverture, non seulement aux Syriens mais à la communauté internationale. Il promet de construire une Syrie unie et démocratique. Ce changement soudain de discours et d’attitudes des nouveaux dirigeants syriens a surpris les puissances occidentales qui, peu à peu reprennent langue avec Damas. Est-ce une stratégie ou un espoir réel? «Nous sommes dans l’inconnu, répond le frère, partagé entre l’espoir et une grande inquiétude.» A Alep, Katia une enseignante éprouve ce même sentiment de malaise et d’incertitude «Pour le moment, pas de problème, pas de discriminations antichrétiennes, au contraire, reconnaît-elle, mais que nous réserve l’avenir? Rien qu’à voir ces hommes avec leurs longues barbes et ces femmes couvertes de la tête jusqu’aux pieds, ça me donne la chair de poule.»
«J’attends le texte de la nouvelle Constitution pour être vraiment rassuré»
Comment le HTC va-t-il gérer la mosaïque syrienne? Comment fédérera-t-il les ethnies, les croyances? Le droit des femmes, même celles qui ne portent pas le voile, sera-t-il pris en considération? Comment passer de la parole aux actes? «Du dire au faire, se demande le frère Sabé, tous les citoyens seront-ils traités sur un pied d’égalité? Appliqueront-ils réellement ce qu’ils ont promis? Des principes laïcs seront-ils acceptés? J’attends d’avoir le texte de la nouvelle Constitution entre les mains pour me prononcer.»
Georges Sabé insiste sur l’apport de chrétiens dans cette Syrie unie, notamment dans le domaine d’une éducation citoyenne. «Nos enfants, musulmans et chrétiens, doivent être assis à une même table pour être enseignés par un programme commun à tous,» insiste le religieux qui conclut: «S’ils sont peu nombreux, 2% à peine, le rôle des chrétiens est capital dans cette Syrie future. Le chemin sera long et plein d’embûches. C’est un pari que l’on doit gagner, sinon on retombera une fois encore dans une dictature clanique.»
(*1) Compte-tenu de la situation dramatique du pays et de ses découpages en communautés, ces chiffres ne sont que des estimations.
Né en 1951 à Alep, dans une famille maronite de six enfants, Georges Sabé étudie au collège des frères Maristes d’Alep. C’est avec Nabil Antaki, lui aussi ancien élève des Frères Maristes et son épouse Leyla qu’il cofondera l’association des Maristes Bleus, une ONG de 160 membres qui prend en charge les familles les plus pauvres de la ville, sans distinction de religions ou d’ethnies.
Excepté l’Espagne pour son noviciat et des études à l’Université de Louvain, en Belgique, licencié en psychologie et en Théologie, spécialiste de l’islam, Frère Georges, n’a jamais quitté Alep durant les plus sombres années, où il a tout affronté: la guerre jusqu’en 2016 dans une ville coupée en deux, entre l’armée syrienne et les groupes rebelles, le tremblement de terre en 2023, et enfin la récente conquête de la ville en décembre 2024 par les islamistes du Hayat Tahrir al Cham. «Je ne cours pas après le martyr, mais Je n’aurais jamais pu fuir Alep, et laisser derrière moi tous ces gens en souffrance. Je dois être avec eux, être un témoin. C’est la mission que Jésus m’a donnée.» LB
En 1905, les chrétiens Syriens constituaient environ 15% de la population, soit environ 3 millions d’individus. En 2011, au début du conflit, ce qu’on a appelé «les printemps arabes», ils représentaient entre 8% et 10% de la population, soir 2 millions de personnes. Aujourd’hui leur nombre s’élève à 500’000 à peine, environ un peu plus de 2% de la population.
Depuis toujours les orthodoxes (60%) sont plus nombreux que les catholiques (40%). La plus importante Église orthodoxe est l’Église grecque orthodoxe, puis vient l’Église arménienne orthodoxe et l’Église syriaque orthodoxe. Six Églises catholiques: les Grecs catholiques (Melkites), les Syriaques catholiques, les Arméniens catholiques, les Maronites, les Chaldéens, et les Latins. En comptant, les Églises protestantes et évangéliques, il y a 11 communautés chrétiennes en tout en Syrie. LB (avec l’aide précieuse du docteur Nabil Antaki à Alep)
Rédaction
Portail catholique suisse
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