Images suggestives, ce samedi, au cours de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame à Paris. Lors du Magnificat, au moment où le chœur chante: «Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles», sont apparus en gros plan les visages de Macron et de Trump. L’effet était peut-être trop tentant pour que le réalisateur y résiste. L’image renvoie à une force de l’Église, mais aussi à un danger qu’elle court. Force, parce qu’elle est capable de dire cela à une brochette de puissants qui ne sont pas particulièrement connus pour leur modestie. Mais danger parce qu’à désigner la paille des uns, on risque d’oublier sa propre poutre. Cette paille et cette poutre sont celles de l’orgueil, que la tradition morale range parmi les péchés capitaux.
Ceux-ci sont des déterminismes qui nous rappellent que nous sommes toujours sur une ligne de crête quand nous tentons de cultiver les vertus.
On a parlé de la vertu de grâce comme de la capacité d’exprimer les dons de Dieu, capacité de vibrer et de faire vibrer le monde de la beauté du créateur. On peut légitimement pour cela convoquer les artistes et artisans pour qu’ils donnent le meilleur de leur art au service de cette Beauté à faire voir. Mais n’est-il pas très tentant, pour les uns et les autres, de tomber dans l’autosatisfaction, de trouver qu’on a fait preuve de talent et qu’on est beaux dans nos costumes ou nos chasubles de grands couturiers. Le passage de la grâce à l’orgueil est très subtil. Il faut savoir chercher l’excellence, c’est-à-dire chercher à donner le meilleur de nous-mêmes tout en n’en faisant pas un but en soi.
«Cette gloire de Dieu est à rechercher et à manifester aussi, et même plus encore, dans les laideurs»
Nous devons alors cultiver cette vertu de l’humilité pour éviter d’être dans «l’appétit désordonné de sa propre excellence» selon les mots de Thomas d’Aquin. Il s’agit dans l’humilité gracieuse, d’une vertu qu’on pourrait aussi appeler transparence. Donner à voir la beauté et la grâce sans se les approprier. Je ne suis pas moi-même talentueux ou beau, mais je donne à voir un talent et une beauté qui viennent d’au-delà de moi et dont je ne suis que le porteur.
L’Église peut et doit construire et reconstruire des cathédrales comme lieux privilégiés de la prière, de la célébration et de la louange. Mais elle doit garder cet équilibre subtil qui lui fasse avoir conscience et dire publiquement que tout cela n’a de sens que «Ad majorem Dei gloriam». Dire aussi publiquement et surtout vivre le fait que cette gloire de Dieu est à rechercher et à manifester aussi, et même plus encore, dans les laideurs, les recoins sombres, les cabanes branlantes ou les tentes provisoires de notre monde.
Ces lieux dont les puissants ne s’enorgueillissent pas et qu’ils visitent rarement, l’Église humble doit les reconnaître comme ses lieux. Elle doit savoir les investir et les illuminer aussi bien qu’une cathédrale. N’oublions pas que la première du Magnificat n’a pas eu lieu en mondovision, dans une somptueuse église ou une salle de concert, mais dans un village de montagne près de Jérusalem, dans l’humble rencontre d’une vieille femme enceinte de manière inattendue et qui restait cachée depuis cinq mois (Lc 1,24) et de sa jeune cousine, elle aussi enceinte sans qu’elle soit mariée.
Thierry Collaud
11 décembre 2024
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