Jacques Berset de retour du Cameroun, pour cath.ch
Comment en effet nourrir tous ces séminaristes, entretenir les bâtiments, mettre à jour des bibliothèques qui manquent de livres récents alors que les diocèses ne couvrent pas tous les frais? De plus, les autres sources de financement ont tendance à se tarir. Visant à plus long terme l’autofinancement, les séminaires développent désormais leurs propres ressources. Une visite de plusieus d’entre eux, début novembre 2024, permet de faire un état des lieux.
Rien que dans le Grand séminaire théologique provincial Saint Paul VI de Nkong-Bodol, dans l’archidiocèse de Douala, nous rencontrons 110 séminaristes. Ils sont 145 dans le Grand séminaire philosophique Saint Paul VI de Kouekong, dans le diocèse de Bafoussam, et 202 au Grand séminaire théologique Saint Thomas d’Aquin de Bambui, dans la province ecclésiastique de Bamenda, au Nord-Ouest du Cameroun.
Dans la capitale camerounaise, Mgr Jean Mbarga, archevêque de Yaoundé, nous accueille dans son évêché, un poumon vert avec son terrain planté d’arbres surplombant la métropole trépidante aux six millions d’habitants. Il développe son idée: «l’Eglise doit aider la population à retrouver la valeur de la terre, ne pas la brader, lui redonner le goût de la cultiver. Cela vaut pour les séminaristes, car lorsqu’ils seront prêtres dans les paroisses à la campagne, ils devront animer les paroissiens pour qu’ils mettent en valeur les terres en friche. Ils doivent produire dans la mesure du possible leur propre nourriture, là où les sols sont favorables. Des paroisses ont des terres, certaines d’une surface de 60 à 70 hectares, souvent pas cultivées».
«On en est resté aux hôpitaux et aux écoles, et il est vrai que si l’Eglise catholique renonçait à ses écoles primaires, à ses écoles secondaires et ses Universités, les Ministères de l’Éducation de base, des Enseignements secondaires et de l’Enseignement supérieur s’effondreraient, tout comme le Ministère de la santé publique. Mais nous avons manqué la troisième étape, celle du développement. Ici, l’Eglise n’a pas vraiment mis en œuvre l’encyclique du pape Paul VI Populorum Progressio (26 mars 1967, ndlr) sur le développement des peuples.»
Alors que nous venions de passer devant un collège où quelque 10’000 étudiants en uniforme se massaient le long des trottoirs, l’archevêque de Yaoundé déplore que ces jeunes risquent de ne pas trouver de travail: la capitale est une ville qui offre des places dans l’administration, mais cette dernière est saturée, et il n’y a que peu d’industries.
«Beaucoup de jeunes diplômés ne trouvent pas de places de travail, car il n’y a que peu de débouchés pour les formations académiques». Mgr Mbarga rêve d’une jeunesse créative et d’une communauté qui développe des micro-entreprises, des ateliers d’informatique, de la pisciculture, des élevages de volaille, «et dans les paroisses, c’est aux curés de montrer l’exemple!»
«L’Eglise camerounaise insiste sur ‘Foi et justice’, c’est bien, sur ‘Foi et dignité humaine’, c’est aussi bien, mais maintenant, c’est ‘Foi et développement’ qu’il faut promouvoir!» Pour Mgr Mbarga, qui fut, durant une décennie, recteur de séminaire, les futurs curés, qui seront les personnes de référence dans les communautés villageoises, devront aussi être des moteurs de développement. «L’Eglise camerounaise ne manque pas de prêtres brillants théologiens, mais les paroisses ont aussi besoin de bons administrateurs». Trop de curés sont de piètres administrateurs, qui gèrent trop souvent leur paroisse au jour le jour, lance l’archevêque, partisan convaincu de la synodalité selon le pape François. «Dans les paroisses, ce n’est pas seulement le prêtre qui doit décider, il doit le faire ensemble avec la communauté, s’entourer de laïcs responsables».
La délégation d’«Aide à l’Eglise en Détresse» qui visite les projets qu’elle cofinance dans les divers diocèses du Cameroun, emprunte les 27 kilomètres de route cabossée et encombrée de motos surchargées, pour arriver, après 1h30 de trajet, au Grand séminaire Saint Paul VI de Nkong-Bodol. Le long de la route, c’est une succession de lieux de culte des milliers de sectes qui pullulent dans le pays: Eglise de réveil, Centre de miracle Bonabo, Eglise de la Sanctification du Cameroun, de l’apôtre Jones Tam, Salle du Royaume des Témoins de Jéhovah…
Accompagné par l’abbé Serge Eboa, chancelier du diocèse de Douala, nous rencontrons, le 9 novembre, les séminaristes affairés à leurs tâches. Ils nettoient la bananeraie et la palmeraie destinée à la production d’huile de palme pour la consommation de la cuisine.Ils travaillent à la cuisson des noix de palme et mouillent le maillot comme maçons pour l’extension de la porcherie sous l’œil vigilant d’un chef de chantier. Ils nettoient le poulailler, récoltent du bois de chauffage ou les tubercules de macabo, ou encore fauchent les broussailles. Le Père Michel Albert Mbas, économe du séminaire, nous explique qu’il se bat pour que l’institution soit la plus autonome possible: il reçoit des financements des diocèses qui envoient les séminaristes, de la fondation pontificale «Aide à l’Eglise en Détresse ACN», de la Fondation Roncalli, de Missio Autriche, mais cela ne suffit pas.
Grâce au travail des séminaristes, durant leur temps de congé, il peut assurer 20% de la consommation annuelle de l’institution. En raison des fréquentes coupures d’électricité, l’économe pense à équiper le séminaire de panneaux solaires. Il doit encore penser à renouveler le parc de véhicules, malmenés par l’état déplorable des routes.
Même discours du recteur Mathieu Nana au séminaire Saint Paul VI de Kouekong-Bafoussam. Il souligne la «détresse permanente» de son économe, qui doit faire face à des charges de plus en plus lourdes, avec des professeurs qui touchent un salaire horaire de 2’000 francs CFA (environ 3 Euros), soit la moitié moins que dans les autres séminaires.
Le Père Nana veut agrandir l’installation agricole du séminaire: porcherie, poulailler, élevage de lapins, etc. «Nous avons produit cette année 20 tonnes de maïs, des haricots, des fruits. Cela représente environ 12% du budget de notre maison. Nous devons trouver nos propres ressources, on ne peut pas toujours tendre la main», explique-t-il à notre délégation, rejoignant ainsi le slogan de Mgr Mbarga: viser l’autosuffisance dans l’esprit de l’encyclique Populorum Progressio. (cath.ch/jb)
Rédaction
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