Cardinal Bustillo: «Il y a de l'admiration» entre E. Macron et François

Le 15 décembre prochain, le cardinal François-Xavier Bustillo, évêque d’Ajaccio, recevra le pape François dans son diocèse. À deux semaines de cet événement historique pour la Corse, il s’est confié sur le sens de ce voyage et sa relation avec le pontife. Il a insisté sur l’importance de ne pas opposer ce voyage à la réouverture de Notre-Dame de Paris, qui aura lieu une semaine plus tôt sans la présence du pape.

Le pape François se rend à Ajaccio le 15 décembre prochain, le premier déplacement d’un pape en Corse. Pourquoi a-t-il accepté de participer au colloque sur la «religiosité populaire en Méditerranée» que vous organisez?
Cardinal François-Xavier Bustillo: Le pape est très sensible à la dimension populaire, à la proximité de l’Église aux piétés traditionnelles. Mettre en avant ce colloque rejoint sa vision ecclésiale et sa spiritualité. Il s’agit de parler au cœur avec des gestes, et pas seulement parler à l’intellect avec l’intellect. De plus, il faut noter la proximité géographique de la Corse, qui est à 300 km à vol d’oiseau de Rome. Dans le passé, les papes Jean Paul II, Benoît XVI et François sont allés en Sardaigne, en Sicile, à Malte, à Chypre… mais la Corse n’avait jamais été visitée. Elle est au cœur de la Méditerranée tout en étant une réalité périphérique: nous sommes 350’000 habitants, c’est-à-dire peu de chose, beaucoup moins que de grandes métropoles. Et le pape est aussi sensible à ces deux dimensions: périphérique et méditerranéenne.

Que sait-il de la religiosité populaire en Corse? Connaît-il par exemple la Madunnuccia, patronne d’Ajaccio devant laquelle il devrait y avoir un temps de recueillement lors de sa visite?
Dans le passé, j’ai rencontré le pape et nous en avons parlé. Je lui ai dit avec beaucoup de simplicité ce que je vivais dans mon diocèse, dans ma mission. Comme chaque évêque, il me semble, j’ai pu lui partager mon expérience et lui raconter les traditions que j’observe. Il s’agit de faire remonter au pasteur universel qu’est le pape ce ressenti local. Cela l’aide à avoir une vision plus large et complète de ce qui se vit dans certains espaces géographiques, dans mon cas au sein de la Méditerranée.

«Je me sens toujours novice, et après un an, j’apprends toujours»

Concernant la Madunnuccia, il en connaît l’histoire parce que nous avons eu le privilège d’accueillir Mgr Edgar Peña Parra, le substitut de la secrétairerie d’État, qui est venu pour célébrer la fête de la patronne d’Ajaccio en mars. Sur place, il a pu voir la procession spectaculaire et le monde fou autour de cette festivité. Cette fête marque chaque année l’histoire de la ville et offre un beau moment de contact, de partage. Mgr Peña Parra a pu parler avec le pape et lui a raconté ces belles traditions. Il lui a raconté la foule de gens qui se retrouvaient dans la rue, à marcher ensemble, manifestant leur foi chrétienne simplement, avec joie et «sans se prendre la tête». C’est une manière intéressante d’honorer le sacré dans l’espace public, sans créer de confusion et de polémique.

Cela fait désormais plus d’un an que vous êtes cardinal. Comment percevez-vous cette mission que le pape vous a confiée?
Je me sens toujours novice, et après un an, j’apprends toujours. Mais je crois que le plus important est de bien articuler le côté local, ici en Corse, et la dimension universelle que recouvre ma vocation. Depuis ma création cardinalice, je suis souvent invité dans des diocèses en France, je vais à droite à gauche pour faire une conférence, pour célébrer une messe. Et parfois même à l’étranger. Je fais cela tout en continuant à être pleinement évêque de Corse.

«Il y a une évolution extrêmement positive dans la notion de service à toutes les Églises»

Être cardinal, cela veut enfin dire venir régulièrement à Rome. Comment percevez-vous le fonctionnement de la Curie romaine, cette administration centrale qui travaille autour du pape François, et que ce dernier a réformée récemment pour lui permettre d’être plus au service de l’Église?
La Curie romaine est une instance extraordinaire en matière de service aux Églises locales et à l’Église universelle. À chaque fois que je viens à Rome, je peux me rendre dans les dicastères, rencontrer ceux qui sont en responsabilité. C’est une bénédiction de savoir qu’il y a des personnes au service de l’Église. On peut leur demander des conseils, des orientations. Je trouve qu’il y a une évolution extrêmement positive dans la notion de service à toutes les Églises. J’ai reçu un accueil et des conseils remarquables. C’est un souhait du pape François, qui veut une Curie plus disponible, plus au service des Églises locales.

Vous avez eu l’occasion à plusieurs reprises de rencontrer la pape François. Qu’est-ce qui vous frappe le plus chez lui?
Ce qui me frappe, c’est sa grande liberté. C’est important dans un monde où on est souvent dans le calcul, dans l’intention, à mesurer ce que l’on dit, pourquoi on le dit, comment et à qui on le dit. Le pape François est totalement libre. Et il est libre parce qu’il est habité par sa mission. C’est un des aspects de la personnalité du pape que j’admire le plus.

«Dans l’Église catholique, on n’est pas une secte»

Une partie des fidèles catholiques en Corse, en France ou dans d’autres parties du monde peuvent parfois exprimer une certaine incompréhension à l’encontre du magistère du pape François. Comment accueillez-vous ces postures critiques?
Dans l’Église catholique, on n’est pas une secte, on n’est pas des clones, et le pape n’a pas pour mission d’endoctriner les consciences et les intelligences. Quand le pape parle, ce qu’il cherche, c’est le bien et l’unité de l’Église. Et comme il parle à un milliard de catholiques, il peut y avoir des personnes d’accord ou pas, nous restons libres. Mais si on peut discuter de l’enseignement du pape, il est important dans un premier temps de l’accueillir.

Mais le problème vient quand on sème la confusion et la division. L’Évangile est clair: un royaume divisé est voué à sa perte. Que nous ayons des idées différentes, c’est normal, on peut se poser des questions. Mais une opposition systématique au magistère du pape est quelque chose de dangereux. On touche à l’ecclésiologie, c’est-à-dire au ministère d’unité du pape. Quand on est critique, il faut donc être vigilant. Non pas peureux, mais vigilant.

La visite du pape François sera aussi l’occasion d’une rencontre entre le pontife et le président de la République Emmanuel Macron. Vous aviez rencontré ce dernier l’année dernière, juste avant le consistoire. Comment décririez-vous la relation actuelle de l’Église catholique avec le président de la République?
Je trouve qu’il y a une relation de confiance. À l’occasion de la visite du pape, j’ai été en contact avec le président Emmanuel Macron, avec des responsables du gouvernement, avec la collectivité territoriale de Corse, avec la préfecture, avec la mairie d’Ajaccio. Tout se passe très bien, nous recevons une grande aide de la part des autorités, notamment dans les questions d’organisation et de sécurité. Je dois souligner leur réelle volonté d’aider, et les échanges se sont faits dans une atmosphère cordiale. Depuis le début, j’ai ressenti qu’il n’y avait aucun obstacle majeur à l’organisation de ce voyage.

«La réouverture de Notre-Dame et le voyage en Corse sont deux événements fédérateurs»

Dans certains médias, notamment en Italie, certains opposent le pape au président de la République, voire parlent d’un conflit. Je ne comprends pas pourquoi, cela ne correspond pas à la réalité. Au contraire, il y a du respect et aussi de l’admiration entre ces deux personnes. Il faut sortir de cette logique d’opposition systématique. Nous avons de bonnes relations, nous sommes civilisés et nous cherchons ensemble le bien pour la population.

Enfin, il ne faut pas opposer le voyage en Corse et la réouverture de Notre-Dame de Paris comme certains l’ont fait, en expliquant notamment que cela avait éloigné notre président et le pape. Non! Il faut mettre en valeur ces deux événements merveilleux qui viennent à la fin d’une année compliquée pour le pays sur le plan politique et social, je pense notamment aux élections du mois de juin. Au centre, à Paris, il y aura d’abord la réouverture de Notre-Dame, un événement extraordinaire pour tout le pays et même pour le monde. Et en périphérie, en Corse, la venue du pape. Ce sont deux événements fédérateurs, d’unité, qui doivent rassembler les gens et apaiser les esprits. (cath.ch/imedia/cd/rz)

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