Lucerne: un Jésus numérique 'confesse' 900 visiteurs

«Trouverai-je un jour le véritable amour?" «Que se passe-t-il après la mort?« – «Ai-je fait assez pour aller au paradis?« Telles sont quelques-uns des questions posées à l’avatar numérique de Jésus placé derrière la grille d’un confessionnal de la chapelle Saint-Pierre à Lucerne.

Wolfgang Holz, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page

En deux mois de fonctionnement, d’août à fin octobre 2024, l’installation artistique Deus in Machina  dans la chapelle de la vieille-ville de Lucerne a trouvé son public. Pas moins de 900 personnes sont venues interroger le Jésus numérique installé au confessionnal. Un symposium, organisé sur place le 27 novembre 2024, a permis de présenter les premiers enseignements de cette expérience théologico-artistique.

«Trouverai-je un jour le véritable amour?» – «Comment puis-je mieux montrer mon amour?» – «Que se passe-t-il après la mort?» – «Ai-je fait assez pour aller au paradis?» – «Pourquoi y a-t-il tant de souffrance dans le monde?» – «Que dois-je faire si je me sens perdu?» – «Comment trouver l’amour de Dieu?» – «Dieu existe-t-il vraiment?»

Ce sont des questions de ce genre, existentielles, religieuses et spirituelles, que les quelque 900 visiteurs de la chapelle Saint-Pierre de Lucerne ont posées à l’avatar numérique de Jésus. Jusqu’à la fin du mois d’octobre, l’installation d’art expérimentale et participative Deus in Machina y a été présentée en collaboration avec la Haute Ecole de Lucerne.

L’avatar numérique de Jésus était placé derrière la grille d’un confessionnal | capture d’écran youtube

L’amour, la vie, la mort

Ces ‘entretiens’ ont montré que les grands thèmes abordés restent l’amour, les relations, la mort, la solitude et la paix. Pour les organisateurs, il s’agissait d’une expérience purement artistique qui explorait l’interaction entre la technologie et la spiritualité, sans jamais prétendre remplacer le sacrement de la réconciliation. Mais les participants ont parlé avec le «Jésus de l’IA» de leurs soucis les plus profonds, de leurs espoirs et aussi de questions de foi.

Selon les transcriptions, les visiteurs ont souvent pris congé en exprimant un remerciement, ce qui souligne la résonance émotionnelle du projet. L’installation a attiré non seulement des croyants, mais aussi des athées et des agnostiques.

La chapelle Saint-Pierre est la plus ancienne église paroissiale de Lucerne | © regula-pfeifer

Inspirant et respectueux

A la sortie du confessionnal les gens se voyaient proposer un bref questionnaire sur l’expérience vécue. De nombreuses personnes interrogées ont indiqué qu’elles avaient trouvé l’expérience inspirante et respectueuse. Les chrétiens, en particulier, ont indiqué que les discussions avaient souvent suscité des moments spirituels.

«Ces découvertes soulèvent en tout cas de nouvelles questions: Comment la foi évolue-t-elle à l’ère numérique? a expliqué à kath.ch le collaborateur du projet et théologien Marco Schmid. Quel rôle la technologie peut-elle jouer dans la quête spirituelle ? Le projet d’IA ne fournit pas seulement des réponses, il montre aussi à quel point les questions sur l’amour, la mort et la paix restent pertinentes – indépendamment de l’origine religieuse».

Une nouvelle boîte à idées religieuses

Le théologien Marco Schmid a collaboré à l’installation ‘Deus in machina’ | © Team Peterskapelle

Plus largement, l’intelligence artificielle deviendra-t-elle éventuellement la nouvelle boîte à idées religieuse pour les questions auxquelles les hommes ne peuvent pas répondre? Des questions que l’on n’ose plus poser aux humains – notamment parce que, contrairement à une intelligence artificielle, les humains finissent par réagir avec agacement? Ou parce qu’il y a aujourd’hui de moins en moins de personnes et de clercs en qui les gens ont confiance et qui les écoutent?

«J’observe dans mon entourage proche que ChatGPT est souvent utilisé par les gens lorsqu’ils ont besoin d’un conseil et qu’il n’y a pas de personne avec qui échanger sur le moment», relève Marco Schmid. Selon lui, il ne faut probablement pas sous-estimer l’importance de l’utilisation de l’IA chez les personnes isolées.

Pour le théologien, «il serait donc intéressant, d’un point de vue pastoral, qu’il y ait un outil d’aide à l’IA responsable, disponible en permanence, et qui puisse apporter des conseils d’un point de vue chrétien».

Moins de honte à poser des questions personnelles aux systèmes d’IA

Pour Marco Schmid, il est clair que l’accès à bas seuil à l’IA a certainement été l’une des raisons pour lesquelles le «Jésus numérique» a été visité en si grand nombre et par des personnes si différentes. «La honte de poser des questions même personnelles et sensibles est sans doute moins grande avec les systèmes d’IA. Car le système ne juge pas et ne condamne pas, mais répond simplement sans réserve».

Le projet n’a pas permis de mesurer la confiance générale des gens dans les acteurs pastoraux. «Ce qui est sûr, c’est que la confiance est la base décisive de la relation pastorale. Si les gens devaient avoir plus confiance dans les systèmes d’IA que dans les êtres humains, ce serait une remise en question très sérieuse de notre action, à nous les agents pastoraux», conclut Marco Schmid. (cath.ch/kath.ch/wh/mp)

Avatars spirituels
La chapelle Saint-Pierre de Lucerne, en collaboration avec l’Immersive Realities Research Lab de la Haute Ecole de Lucerne a lancé ce projet innovant pour explorer l’utilisation de personnages virtuels basés sur l’intelligence artificielle générative dans un contexte spirituel.
Une étude d’accompagnement est menée conjointement par l’Immersive Realities Research Lab, la Faculté de théologie pastorale de l’Université de Lucerne et la chapelle Saint-Pierre de Lucerne. L’objectif de l’étude est d’examiner les thèmes qui surgissent lors de conversations avec un système d’IA à but spirituel et d’analyser la manière dont l’IA aborde différents sujets.
«Je suis impressionné par la manière dont le système a fonctionné» a relevé le professeur Aljosa Smolic, de l’Immersive Realities Research Lab, lors de la clôture de l’installation le 20 octobre 2024. «En l’occurence l’IA a été très crédible et très ›émotionnelle’. Il y a eu des controverses positives et négatives, mais dans tous les cas le niveau technique était bon.»  MP

Maurice Page

Portail catholique suisse

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