Il est vrai que dans un premier temps les bénéfices ont été grands. Les groupes européens, à l’exemple de Volkswagen, ont investi le marché chinois à la condition d’y importer leur technologie. En contrepartie les entreprises chinoises envahissaient nos marchés avec des produits bon marché. Il en a résulté chez nous une baisse marquée de certains prix et donc une hausse du pouvoir d’achat dans les années 2000-2010. La Chine a respecté ses engagements tout en développant considérablement son appareil industriel y compris dans les nouvelles technologies.
Au bout du compte, ses exportations sont passées entre 2001 et 2021 de 325 milliards de dollars à 2500 milliards de dollars. Son produit intérieur dans le même temps a été multiplié par plus de 10 alors que celui des USA a été multiplié par 2. Elle a engrangé pendant 20 ans des excédents commerciaux et a acquis 13% du commerce mondial. Elle a ruiné certaines industries européennes comme celle des panneaux solaires et s’apprête à dominer celui de la voiture électrique. Du coup, les Européens et les USA prennent peur. Ils veulent imposer une hausse des droits de douane. Est-ce là un résultat du génie chinois ou d’un vice de l’accord conclu en 1999?
«La Chine a appliqué les règles formelles du libre-échange sans en appliquer les conditions»
Pour répondre à cette question, il faut faire un peu d’économie politique. Le libre-échange est un mécanisme découvert par les Anglais au 19e siècle. Il ne procure des avantages pour toutes les parties qu’à deux conditions oubliées par les pays riches. Pour éviter qu’un pays ne devienne systématiquement exportateur comme l’est aujourd›hui la Chine, il faut que sa monnaie soit librement échangée sur le marché. En cas d’exportations trop élevées, le cours du yuan devrait augmenter fortement et les prix chinois s’envoler, ce qui réduirait les exportations. Il faut une deuxième condition: une liberté sur le marché du travail. En cas d’exportations trop fortes, les salaires devraient augmenter de façon substantielle de façon à augmenter les coûts et à limiter le surplus exportable. Or le marché du travail chinois est systématiquement encadré par la Parti communiste grâce aux entreprises publiques. Résultat: la Chine investit beaucoup mais elle consomme très peu eu égard à sa richesse. Les salaires n’ont pas augmenté à la mesure des exportations.
Capitalisme d’État, la Chine s’est bien gardée d’appliquer les deux conditions citées ici. Le yuan n’est pas coté sur un marché libre des changes. Sa parité est fictive. Le marché du travail n’est pas libre. Il limite toujours fortement les rémunérations et le système social est lacunaire. En d’autres termes, la Chine a appliqué les règles formelles du libre-échange sans en appliquer les conditions. En s’étant laissé grisé par les perspectives d’affaires juteuses, les pays riches ont omis d›exiger de la Chine la libéralisation de sa monnaie et du marché du travail. Les communistes chinois ont compris le parti qu’ils pouvaient tirer de cette double omission. Ils ont gagné temporairement la partie. On ne peut le leur reprocher. Mais leur omnipotence sonne le glas aujourd’hui du libre-échange industriel et de l’OMC. L’Europe et les USA entrent dans une phase de protectionnisme.
Jean-Jacques Friboulet
27 novembre 2024
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