M.D. Schaller: «L’effet de la spiritualité sur la santé est réel»

La spiritualité, la foi, la religion ont elles une influence sur la santé? Pour Marie-Denise Schaller, ancienne médecin-cheffe au CHUV, la réponse est ‘oui’. La présidente de la FEDEC-VD fait part de ses recherches sur le sujet dans une conférence à Lausanne.

Marie-Denise Schaller a de nombreuses cordes à son arc. L’une d’elles est sa prestigieuse carrière de plusieurs décennies dans le milieu médical. Elle a notamment été médecin cheffe au Service de médecine intensive adulte du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Également présidente de la Fédération ecclésiastique catholique romaine du canton de Vaud (FEDEC-VD) depuis de nombreuses années, elle a toujours exploré le lien entre les deux piliers de sa vie que sont la médecine et la foi. Membres de plusieurs commissions d’éthique médicale, elle est  reconnue pour son expertise dans la question de la dimension spirituelle du patient. cath.ch l’a rencontrée avant la conférence qu’elle donne sur le sujet le 21 novembre 2024, à l’Espace Maurice Zundel, à Lausanne.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la relation entre spiritualité et santé?
Marie-Denise Schaller: L’attention à l’autre, à son bien être, pas seulement physique, mais aussi émotionnel, relationnel et spirituel, a été ma motivation à me lancer dans la médecine. C’est bien sûr lié à la foi, qui est depuis toujours au cœur de ma vie. Au cours de ma carrière, j’ai constamment pris cela en compte. Mon but était de donner mon maximum pour guérir et soulager les personnes en souffrance, mais aussi les accompagner lors de leurs derniers instants.

«Les études sur la santé et la spiritualité ne se comptent pas par centaines, mais par milliers»

Or, j’ai rapidement constaté que les choses étaient plus difficiles, dans ces situations, pour les personnes qui n’avaient pas défini leur essentiel, leurs valeurs fondamentales, le sens de leur vie, ou qui n’avaient pas de liens affectifs solides. Ces observations m’ont aiguillée sur l’idée que bien d’autres facteurs que l’aspect purement matériel entraient en jeu dans l’état des personnes souffrantes.

Lorsque vous avez commencé la médecine, était-il aisé d’aborder ce thème de la spiritualité dans le milieu médical?
Pas du tout. Je crois que nous sommes maintenant en train de sortir d’un épisode où l’on voulait expliquer absolument tout par la science. Dans ma carrière, je n’ai jamais voulu imposer quoique ce soit, j’avais juste cette sensibilité chrétienne dont je ne me cachais pas. J’ai tout de même pu ressentir que, face à la foi, de nombreux collègues étaient indifférents, voire moqueurs.

Mais, j’ai perçu un changement vers le début des années 2000. Le tabou de la spiritualité a commencé à tomber. Je me souviens, à cette époque, d’une conférence au CHUV du jésuite et psychiatre Eckhard Frick. Tous ont écouté son exposé dans un silence religieux. J’ai alors senti que quelque chose se passait, que cette dimension spirituelle n’était plus reléguée à une forme de fantaisie ou de superstition.

Vous avez également commencé à vous intéresser à la littérature scientifique à ce sujet…
Oui, cette ouverture générale m’a permis de m’exprimer librement sur le sujet et de me plonger pleinement dans ce que la science disait à ce propos.

Et qu’avez-vous découvert?
Tout d’abord l’étendue de la matière sur cette thématique. Les études sur la santé et la spiritualité ne se comptent pas par centaines, mais par milliers. Il ne s’agit pas du tout d’un sujet de niche, mais de quelque chose qui a fait l’objet de très nombreuses recherches dans de nombreux endroits du monde. Les études ne concernent ainsi pas que la religion chrétienne, certaines ont été faites en Israël et dans des pays musulmans. Mais les résultats restent globalement les mêmes dans toutes les cultures.

Que dit cette littérature?
J’ai été frappée par l’homogénéité des conclusions. Bien sûr, en science, il est très rare que les études soient unanimes. J’en ai trouvé quelques-unes établissant un effet neutre, voire négatif de la spiritualité sur la santé. Mais la très grande majorité soulignent des effets bénéfiques. Évidemment, il y a de très nombreuses visions de ce que peut-être une spiritualité, une foi ou une pratique religieuse. Mais la plupart des recherches notent une association entre un sens de la transcendance et des effets positifs pour le pronostic de maladies. Le lien a notamment été observé sur les facteurs d’inflammation dans le corps. Des études vont encore plus loin, en observant des effets sur la qualité de vie, l’espérance de vie, voire les chromosomes…

«Ce n’est pas parce que vous pratiquez une religion que vous n’allez pas attraper telle maladie»

Vraiment?
Oui, une étude a établi que les personnes qui avaient une pratique religieuse avaient tendance à avoir des télomères (extrémités de chromosomes) en meilleur état que les autres.

Les études ont-elles pris en compte le type de religiosité?
Les panels de populations étudiées ont été souvent très larges et les chercheurs ne sont pas allés dans le détail. Je peux m’imaginer que certains types de religiosité culpabilisantes peuvent avoir un effet de stress sur la personne. Également, certaines convictions religieuses peuvent amener à des refus de traitement ou de prophylaxie. On peut mettre tout cela au rang des effets négatifs sur la santé.

Les scientifiques avancent-ils des causes?
Il faut bien avoir à l’esprit qu’il s’agit de tendances globales. Ce n’est pas parce que vous pratiquez une religion que vous n’allez pas attraper telle maladie ou que vous vivrez plus longtemps. Je n’ai pas lu d’étude expliquant pourquoi il existe une influence positive de la religion, foi, spiritualité sur la santé. Les études constatent simplement une association entre les deux phénomènes.

«Au CHUV, l’aumônerie œcuménique est actuellement très présente»

Bien sûr, des pistes sont avancées. On a remarqué notamment que la partie du cerveau activée chez une personne en méditation ou en prière était proche de la zone du bonheur ou de la récompense. Mais il n’y a pas pour l’instant de théorie complète qui pourrait expliquer l’influence positive de la spiritualité sur l’état de santé.

Quel est votre point de vue personnel en tant que croyante et médecin?
Je crois que tout être humain a une dimension horizontale et une verticale. Pour moi, le besoin spirituel habite tout être humain, et l’on ne peut pas traiter une personne sans prendre en compte cette dimension, qui nous met, finalement, tous debout.

Ce discours est-il entendu dans la société?
Je pense que cela a évolué dans les dernières décennies, en tout cas en certains endroits. Au CHUV, notamment, je sais que l’aumônerie œcuménique est actuellement très présente. Les aumôniers sont intégrés dans les équipes médicales. La dimension religieuse est aussi davantage prise au sérieux pour le grand âge. Dans le canton de Vaud, une commission de supervision des EMS a comme critère la prise en compte des «besoins spirituels» des résidents. Le problème est que les aumôniers ne sont largement pas assez nombreux pour répondre à la demande.

«Quel souci a-t-on de placer chez les enfants des récepteurs spirituels?»

D’une manière générale, il est clair que les médecins lisent la littérature scientifique et sont influencés par les études qui concluent à un effet concret de la spiritualité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) donne une définition de la santé qui va bien au-delà de l’absence de maladie, mentionnant également le «bien-être spirituel». Depuis 1989 déjà, l’ONU stipule, pour les droits de l’enfant, la possibilité de «développer sa spiritualité».

Est-ce quelque chose de réalisé dans notre société occidentale?
Je ne le pense pas. Nous sommes toujours très soucieux de faire correspondre les enfants aux attentes de la société, de faire qu’ils soient en bonne santé, performants… Mais quel souci a-t-on de placer chez eux des récepteurs spirituels? Bien sûr, à un moment, ils choisissent de croire ou pas. Mais sur quoi peuvent-ils faire leur choix s’ils n’ont pas de base? Pour moi, l’on ne peut avancer dans la vie que si l’on a des valeurs fondamentales solides. La société actuelle est certainement confrontée à un sérieux manque dans ce domaine. Elle doit ensuite faire face à de la dépression, des addictions, de la violence… elle y oppose principalement les psychiatres, la police, la justice… des réponses qui ne règlent pas le problème de base. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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